isolée de tous. recluse du monde et délaissée des autres. c'est agréable, ce sentiment d'abandon.
adossée contre un arbre. gigantesque arbre. petite fille, minuscule enfant. perdue, perdue dans ses pensées.

Tu marches, ca fait une heure. C'est lourd, ton dos est plié. Pourtant la seule chose qu'il te manque c'est l'eau. T'es stupide, t'aurais du prévoir. T'avais encore la tête ailleurs. Comme d'habitude. Sous tes pas, les branches craquent. Tu t'arrêtes, tu souffles. Mais tu vas ou au juste. Tu observe. Une fille, adossée à un arbre. Peut être ta seule chance de pas mourir déshydratée. Tu t'approches. T'es crue, tant pis. "T'aurais de l'eau?" Un temps. "S'il te plait." avec la formule de politesse ça va tout de suite mieux.

quelqu'un s'approche de toi. tu ne la vois pas. elle a une chevelure de blé. comme toi. elle te parle. tu ne la vois toujours pas. tu secoues la tête. t'as rien. alix, t'es vide, c'est le néant, autour de toi et à l'intérieur de toi. t'es venue ici. pas seulement en ce lieu, mais en cette ville aussi, sans rien. sans bagage matériel, sans bagage émotionnel. t'ouvres les yeux.

Elle t'entends pas. Elle a les yeux fermés. Tu t'approches un peu. T'as peur de la réveiller. Mais t'as soif, terriblement soif. Peut être qu'elle est plus futée et qu'elle a pensé à apporter de l'eau, mais tu vois rien. pas de sac, rien. Elle doit être autant paumée que toi. Tu fait tomber ton sac par terre pour libérer tes épaules. Tu fouilles une dernière fois. Toujours rien. T'as une barre de céréale, comme si ça allait te nourrir. Tu tournes la tête. Elle a ouvert les yeux. Tu réitères ta question. "Désolée mais.. t'aurais pas de l'eau? Une gourde? Un truc comme ça?" T'es pas très aimable en plus mais t'as l'air désespérée. T'aurais mieux fait de pas te lever ce matin.

la fille insiste. elle n'a pas compris. tu ré-expliques, cette fois avec des mots. non, j'ai rien. ni ici,ni ailleurs. elle semble perdue. pire désespérée. la preuve, elle s'est adressée à toi. râté, tu n'es pas la bonne personne.

Bon, tu tombes toujours sur les bonnes personnes apparemment. Ce n'est pas la première fois. En même tu déranges. T'es en pleine forêt. Tu sais pas comment rentrer et puis on peut pas dire que t'as de la compagnie. Tu refermes ton sac et l'enfile sur tes épaules. Tu renoues tes lacets, t'as mal au pied. T'aurais aussi mieux fait de prendre les bonnes chaussures, mais t'en as pas des masses. Tu te relèves. Adresse un nouveau regard à la jeune blonde. Comme t'as pas été très aimable, t'essayes de te rattraper. Y a personne dans le coin, faut bien se socialiser. "T'es sure que ça va?"

simple point d'interrogation. est-ce que ça va alix? est-ce que t'en es sûre au moins? t'étais seule, t'étais bien. maintenant elle est là. tu fais avec. reprends-toi. 't'es perdue?' tu lui demandes, plus gentiment.

Elle ne répond pas à ta question. T'en conclus qu'elle a pas envie d'en parler. Elle te demande si t'es perdue. Sûrement. T'aimerais bien rentrer mais t'as pas vraiment de "chez-toi" et puis l'argent coule pas à flot. D'ailleurs tu sais même pas comment rejoindre la ville. "Ouais, je crois." Tu prends racine, tu sais pas quoi faire, ni comment. Tu reposes ton sac à tes pieds et tu t'asseois. Tu l'ouvres, une barre de céréale. "T'en veux?" Si seulement elle connaissait un peu mieux l'endroit que toi.

elle pense être perdue. comme toi. sauf qu'elle, elle cherche comment se sortir de là. pas toi. toi tu préfères attendre, te laisser mourir, te laisser pourrir. t'attends, même si tu ne sais pas quoi. elle te propose un bout de barre de céréale, c'est gentil, mais tu déclines. tu ne veux pas te sentir redevable, jamais. 't'as pas un téléphone, quelqu'un à appeler?' tu tentes à ta façon de l'aider.

un type apparaît. il va pouvoir emmener la fille qui te tient compagnie, la sauver, jouer au prince charmant et caetara. il salue la forêt, les fleurs et le chemin de terre. il vous salue vous, aussi. une âme égarée de plus. il sort sa gourde, tu l'avais prédit, c'est un sauveur ce gars. il a une façon de vous regarder particulière, comme s'il n'avait jamais vu une scène pareille. 'salut' tu dis, laissant ta voisine expliquer la situation.

T'es assise, t'as mal aux jambes. Elle décline ton offre. Tant pis, tu déchires le papier et commence à déguster. Oui, déguster. D'habitude tu manges pas en pleine journée. Surtout que t'as quelques pièces et des billets, mais les billets ça sert plus à se loger qu'à se payer à manger. Elle te regarde, te demande si tu as un téléphone. Oui t'as un téléphone, mais à quoi ca sert quand les contacts que tu as habitent à plus de mille kilomètres ou ne t'ont pas adressé un signe de vie depuis des années. "Non." Solution de facilité, comme ça t'as pas besoin de te justifier. Au loin t'entends des pas. Vous êtes pas toute seule. Quelqu'un approche. Tu arrives à le distinguer. C'est un jeune homme brun qui s'avance. Il a l'air tout au temps perdu que toi. Vous avez presque la même dégaine. Sac plein et jambes engourdies. Il vous salut. Tu prêtes pas forcément attention, il va surement continuer sa route. Et là il sort quelque chose qui est plus susceptible de t'intéresser. De l'eau. Il a de l'eau. Tu te lèves. Tes jambes sont lourdes mais tu t'avances. Il en propose. Bon dieu, il est descendu du ciel celui-là. T'as cru que t'allais crever ici mais il t'apportes le saint graal comme sur un plateau d'argent. Tu essayes de ne pas paraître trop excitée. "J'en veux bien s'il te plait. Tu me sauves."

Il te tend la gourde en ajoutant qu'il faudrait penser à de l'eau. Oui, tu sais et tu te sens assez conne de l'avoir oublié comme ça. Pas la peine qu'on te le rappelle. Tu bois. Moment de jouissance extrême. C'est pas comme si il faisait chaud en plus, c'est juste que quand tu marches, ta gorge devient sèche. Tout en buvant tu remercie le seigneur de t'avoir apporté ce gentil garçon. Il demande où se trouve la route la plus proche. Tu espères que la jeune blonde avec qui tu étais jusqu'à présent lui répondra puisque toi tu n'en as aucune idée. Tu te contentes de lui sourire et de lui rendre la gourde. "Honnêtement j'en ai pas la moindre idée. Si je savais je ne serais certainement pas là à attendre comme une débile." Et c'est en attendant que tu vas plus facilement retrouver ton chemin? Qu'est ce que tu peux être bête.

la fille boit. le garçon demande son chemin. personne ne sait, pas même toi. ils semblent se tourner dans ta direction, comme espérant que tu surgisses soudainement une carte de la forêt. ils rêvent, toi, t'es comme nue, t'as rien, rien du tout. 'vous avez qu'à marcher tout droit, vous finirez bien par arriver quelque part.' n'importe où, n'importe quand, mais quelque part, ailleurs, c'est l'essentiel. pourquoi veulent-ils tant sortir de cette forêt, qui t'abrite, qui te protège, à qui tu livres tes secrets et tes pensées. ils la voient comme une ennemie, grande, trop grande, qui les empêche de retrouver leur chemin. alors qu'elle est ton amie.

La fille derrière toi reprend la parole après s'être plus ou moins effacée de la conversation. "vous avez qu'à marcher tout droit, vous finirez bien par arriver quelque part." Tu réfléchis. La nuit ne va pas tarder à tomber et tu ne comptes pas dormir ici. "Je fais faire comme ça. Je vais prendre le chemin qui me semble être le bon." Tu relaces une énième fois tes chaussures et relèves ta tête en direction de la fille blonde. "Tu viens avec nous?"

ta théorie est bonne, acceptée même. de toute façon ils n'ont pas d'autres choix qu'avancer. ça les mènera bien quelque part. ensuite, ils aviseront. la fille te propose de venir avec eux. étrange, t'y avais même pas pensé, à cette possibilité que tu puisses les accompagner. t'as envie de répondre non. t'hésites. tu réfléchis. silence. 'd'accord, je vous suis.' rien à perdre, après tout. le gars fait de l'humour, il parle de ravin, et ça te fait sourire, cette façon qu'il a, de dire n'importe quoi. son petit nom, c'est ariel. comme la fille sirène, le plus joli poisson des mers. ariel, l'homme-gourde, ah ah ah.

Elle décide finalement de vous suivre. Curieux car quelques minutes plus tôt elle serait restée sous son arbre. Le garçon est plutôt sympa. Il s'appelle Ariel. Déjà qu'il t'a aidé à tenir le coup tu lui en dois une. L'ambiance se détend. T'as plus l'impression d'avoir à faire à une mini colonie de vacance qu'à des randonneurs perdus. Enfin randonneurs est un grand mot puisque toi même t'as jamais vraiment fait de randonnée avant. Et puis le sport et toi ça fait pas bon ménage. Vous commencez à marcher. Au moins si tu te perds encore, tu te perdras pas seule. "Appelez moi Pom en fait." C'est bizarre comme prénom quand on le prononce à voix haute. Toi aussi tu souris. T'as de la compagnie. Ca faisait longtemps.

la petite blonde platine vous donne son nom, pom. c'est mignon, ça lui ressemble, ça lui va bien. à ce moment tu comprends que c'est ton tour de te livrer, mais t'attends un petit moment, t'hésites à te délivrer. puis finalement, t'hausses les épaules, ça coûte rien de leur offrir ton nom. alix tu dis. t'attends que l'un d'eux prenne l'initiative de s'envoler, trouver une direction et la suivre. tu préfères pas t'y aventurer, parce que ton sens de l'orientation, vaut mieux pas s'y fier.

Tu sens qu'elle est pas très rassurée, même quand elle prononce son prénom. Elle devrait pas se sentir intimidée, vous êtes tous nouveaux par ici, en tout cas toi tu l'es. Le chemin se rétrécie. T'es pas vraiment sûre de ton coup mais tu pointes une direction. Et puis comme on dit, tous les chemins mènent à Rome non? "Vous pensez qu'on est perdus?" Tu dis ça sous le ton de la plaisanterie mais t'en es plutôt certaines. Pourquoi a-t-il fallu qu'ils fassent des forêts aussi denses? Et surtout, pourquoi il a fallu que tu t'y aventures.

Ariel paraît confiant. Ne faisant pas confiance à ton sens de l'orientation tu le suis, mais au fond, tu vois bien que personne ne sait pas ou aller. Tu proposes de continuer tout droit, il y aura bien une route au final. Tu suis Ariel, Alix vous emboîte le pas. "Si on arrive à sortir de cette forêt je vous paye à boire." tu ajoutes en plaisantant.

souvenirs oubliés, tu ne sais plus comment t'es arrivé là. dans ce recoin de forêt perdu, contre cet arbre, entourée de tas de feuilles mortes et comment tes pensées se sont mises à t'échapper. t'es juste là. et contrairement aux deux autres, tu ne t'inquiètes aucunement de comment sortir d'ici. t'es pas perdue. être perdu ça signifie ne pas savoir où on est. toi tu sais, t'es là, dans une forêt, avec deux inconnus perdus. le gars essaie de se convaincre, ne jamais perdre espoir c'est peut-être ça la solution. la fille, quant à elle, pense à la suite, mais t'apprécies pas son "si", tu préférerais un "quand". tu les suis, docile et nonchalante, t'as pas peur. "allez." tu les encourages un peu, car ils en ont besoin.