Les yeux fixés aux vers et aux pieds, qui s'entrelacent dans une danse que la prima ballerina exécute pour la première fois. Les mots ont cette douce façon d'avoir un sens nouveau à chaque lecture anodine. Les poèmes collés à mon livret dans un recueil plus personnel qu'un journal me tiennent à la réalité, comme l'ancre d'un navire déjà échoué. La tasse de café payée avec de la petite monnaie qui clinquait au fond de mes poches est maintenant froide. Mon téléphone est branché dans une prise électrique, un fil me reliant aux possibilités du passé. Et si quelqu'un appelait. Et puis non, c'est en cas d'urgences, pas vrai ? Je laisse les mots me distraire, hésitant entre rire et pleurer de ces rimes qui creusent ma peau comme le temps qui passe dans l'ombre d'une fossette.

Pauvre enfant réduit au silence. T'entends ? Non. Rien. Ta voix se repose pendant deux secondes, perdue quelque part dans le sourire des yeux de cette fille. Blonde. Ange. Ils sont partout. Invasion dorée. T'entends ? Non. Rien. Que ça fait du bien.
Trois mots qui ne demandent qu'à comprendre.
Tu t'approches d'elle, de sa tasse à café qui ne fume plus depuis longtemps, de son téléphone qui reprend des forces, des mots étalés minutieusement sur les pages de son livre. Tu viens faire du bruit.
- Comment tu fais ?
Il est où, son bruit ? Elle est où, sa vie ? Comment elle fait pour l'exprimer ? Elle la garde à l'intérieur ? Depuis quand c'est possible ça ? Il faut qu'on t'apprennes alors.
Comment elle fait ?
Ce port de statue. Et malgré tout cette flamme dans les yeux. Cette concentration sur les lignes. Ce doux silence imposé par la poésie.
Toi, on peut pas te faire taire, même pas avec du Baudelaire.

Mes doigts caressent le papier comme la peau d'un amour passé. J'aime les crevasses de sa peau, les coin pliés, les notes de bas de page, les inscriptions à la mine, les cratères de mes ongles. C'est un amant que je ne saurais quitter, c'est un amant qui ne sait pas m'abandonner. Le monde s'installe lentement autour de moi, mon café froid, mon doute et mes choix.

Il est là, comme si je l'avais trouvé dans ma poche. Sa question fait froncer mes sourcils dans un sursaut à sa candeur. Je ne suis pas certaine de ce que j'ai fait, et je suis certaine de ne pas savoir comment j'y suis parvenue. Il y aura toujours de ces mystères et ma propre personne en est le plus grand. Quand je crois me connaître des orteils aux espoirs, la surprise me prends dans ses bras, me chavirant sans prévenir. « Mais je ne fais rien, je crois. » Rien d'autre que d'être moi. Il est là, son visage me niant son âge, la courbe de sa mâchoire un mensonge.

Les sourcils sont surpris au-dessus de ses yeux. Tu l'as sortie brutalement de sa poésie, on devrait te taper sur les doigts et te mettre au coin Maxence.
Insolence.
Enfance.
- Mais je ne fais rien, je crois.
Tu t'étonnes de son ignorance. C'est difficile de se rendre compte qu'on est beau, tu sais, Maxence. Toi, tu fais du bruit, alors tu risques pas de t'oublier, mais elle, elle. Statue silencieuse et magique perdue dans des mots d'ailleurs et d'autrefois.
Tu n'essaies pas de deviner son prénom, calculer son âge, lui voler son livre. Tu n'es qu'à moitié Maxence. Chocolat, mais silencieux. Vingt ans, mais sage sur ta chaise. Maxence.
À moitié.
T'es en congé de toi-même.
Et avec une voix nouvelle, tu dis :
- Tu peux me lire, s'il te plaît ? Ce que tu lis, tu peux le lire pour moi aussi ?

Petit prince d'un café éloigné. Étranger de mes yeux, mystère humain au coeur sous la main. Sa voix me glisse un petit mot, une requête cachetée à la cire, scellée aux oreilles des malfrats, ce sera notre secret, à toi et moi.

Je tire ma chaise vers la sienne, prête à murmurer les mots qui illuminent mes yeux. Je ne dis rien, sachant trop bien que la beauté n'a pas besoin d'introduction. Je ne change pas de page, je ne saute pas un mot, ma voix est un souffle, un silence, une prière. Il suffit d'ouvrir l'oreille.

Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J'écris ton nom

Sur les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom

(. . .)

Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Mes yeux se ferment. Ma main s'avance pour prendre la sienne, mais se retire vers ma poche. Je suis un mollusque qui s'étire de son coquillage sans jamais le quitter. Le soir venu, je m'imagine oiseau pour m'envoler loin et haut. Le matin, je me réveille au sol, et je réapprend à ramper, pour un jour savoir comment marcher.

T'as les yeux qui s'emplissent de paillettes devant la beauté de ses mots. Tu sais qu'ils viennent pas de sa tête, qu'ils sont le reflet du travail d'un poète. Mais c'est de sa bouche à elle - princesse - qu'ils sortent, alors pour toi c'est pareil.
Pour toi les mots sont à elle, poétesse, princesse.
T'es réduit au bruit du silence.
T'apprends, doucement. Que la vie sommeille pas dans le bruit. Qu'elle peut tout à fait grouiller à l'intérieur de toi sans que ça fasse un vacarme d'orage.
C'est ce qu'il se passe, dans ta tête, à cette minute même. La vie, boule d'enthousiasme au creux de tes organes. Et tout ce qui peut trahir ta joie dansante du moment, c'est ton sourire.
Grand.
De long en large sur ton visage.
Tu vas chercher la main de la fille, celle qu'elle a cachée alors que tu as lu dans ses yeux qu'elle voulait la mettre dans la tienne. Pourquoi tu sais pas. Tu t'en fiches. Toi ça te sert de merci.
Merci pour la poésie.
Merci pour le non-bruit.