Il traîne dans le rayon philosophie, sans gêne aucune. Il hume certains vieux livres, envisage d'en acheter plusieurs, avant d'en voir un autre et de refaire mentalement la liste de ses achats. Tout son argent était dépensé dans les bouquins, et ce depuis son plus jeune âge. Il y avait dans cela quelque chose de pathétique, mais il n'avait pas réellement l'intention de se changer. Il aimait la vie car elle apportait avec elle sa part de connaissances. Il rêvait de les absorber, de parcourir l'univers à la recherche de toutes les histoires qu'il refermait. Il voulait lire Kant, quand une personne accapara son attention par une beauté agressive qu'il ne pouvait ignorer. Alors, il laissa de côté sa montagne de livres, manquant d'y trébucher, et avança dans sa direction, le coeur battant un tambour douloureux.

Tu t’es perdue, là, dans ce lieu d’histoire.
Parce qu’il avait l’air intéressant, du dehors.
Il l’est toujours du dedans. Le problème est que c’est un vrai labyrinthe.
Pas celui de Pan. Ni le tien. Non, il est pas vraiment à toi.
T’y viens pas assez souvent pour ça. C’est pour ça que tu te perds.
Comme un enfant sans sa mère, t’essayes de te repérer. Pis y’a
tous ces noms qui défilent, que tu connais pas vraiment.
Pas du tout presque.
T’es où Stav ?
T’es où ?

Elle arbore un air perdu, un air déchu. Il l'observe sans rien dire au début, laissant ses sens s'émerveiller de sa présence. Il cherche les mots, mais il ne peut rien dire car tout repère spatio-temporel disparaît - l'extase esthétique. Du bout des lèvres, il murmure un « bonsoir ». Mais sans doute n'eut-il pas la passion nécessaire pour se faire entendre, car elle ne sembla pas le remarquer. Alors, il tira doucement sur le pan de ses vêtements et s'approcha d'elle, afin d'exister - temporairement - dans son environnement immédiat. « Je peux peut-être vous aider. » Maintenant il devait avoir l'air d'être libraire. Tant pis. Il avait juste envie d'être là.

Un froissement de tissu, et en un clin d’œil, une personne à tes côtés.
Il fait mystérieux, l’homme. Comme un enseignant.
Comme un intelligent.
« Perdue. » Lui murmures-tu, pour ne pas troubler le calme.
Tu regardes rapidement autour de toi, sans trouver c’que tu cherches.
T’es pas à ta place.
T’en as plus souvent l’impression.
Tu montres tes mains tachetées de peinture à l’homme bouclé.
T’étais forte en mime, étant gamine. Lorsque le soleil te mangeait encore la peau.
Mais aujourd’hui, y’a plus de soleil. Pis tu n'es plus compréhensible.
C’est p’t-être pas
plus mal.