La musique résonne. Boum, boum. Jusqu'au fond du crâne de Grimm, qui grimace. Il est jeune, et pourtant, lui aspire plutôt à un bel endroit au clair de lune en pleine forêt qu'un de ces endroits. Mais traîné ici par une connaissance récente à qui il a promis de venir ce soir, il a fait l'effort. Pourtant, au bout d'une bonne heure à écumer l'endroit, il comprend bien vite que le type ne viendra pas. Il a dû oublier. L'oublier. On l'oublie souvent, Grimm. Parce qu'il peut passer des heures assis sur une pierre à ne rien faire. À penser, à rêver, à s'inventer des histoires. Alors, on ne le voit plus, on l'oublie. Rapidement. Arrivé au bar, il commande un truc. Il ne sait même pas quoi, le barman doit avoir compris autre chose d'ailleurs, mais poliment, le photographe paye son verre. Il s'installe sur un tabouret. Seul face au reflet ambré qui flotte dans son verre. Il observe les alentours, et c'est là que ses deux yeux bleus se fondent dans ceux, noisettes, d'une demoiselle pas très loin de lui. Elle a l'air seule. Elle a l'air aussi mal à l'aise que lui ici. Il hésite. Baisse les yeux. Les relève; croise de nouveau son regard. Timidement, de loin, il lui fait alors un signe.

Il a un peu peu qu'elle ne vienne pas. Qu'elle préfère la compagnie de la solitude à la sienne. Un inconnu, tout ce qu'il est. Pourtant, il a cet espoir un peu bête de ne plus l'être pour longtemps. Grimm est comme ça. Il espère ce qu'on n'ose pas espérer. Il croit en l'incroyable. Il imagine, ce que la raison nous empêche d'imaginer concrètement. Mais soudain, elle s'approche. Son soulagement se mêle abruptement d'une angoisse familière : la timidité. Il a peur, à présent, de ne pas parler assez fort. D'écorcher un mot, avec son accent français. De rougir, bêtement, comme un adolescent. Son coeur bat vite et fort. Mais elle semble aussi fébrile que lui. Elle semble du même monde. Ou justement, comme lui, hors du monde. Hors de l'espace-temps qui leur échappe. Elle sourit. C'est très bref, mais pendant un instant, ça éclaire Grimm jusqu'à l'âme. Il se fait la promesse de tout faire pour la refaire sourire de nouveau, très vite. Et plusieurs fois. « Bonsoir. » Un peu décalé, peut-être, dans cet endroit où l'on s'accoste par des t'es bonne et autres t'es célib ? mais Grimm n'a jamais su s'adapter. Se fondre dans le moule. Grandir, tout simplement. Dans ses yeux bleus se dresse encore le royaume caché de son enfance, peut-être le pays de Peter-Pan. « Vous aussi, vous.. ne savez pas vraiment ce que vous faîtes là ? » tente-t-il doucement, d'une voix assez audible – il l'espère – et pourtant caractérisée par cette douceur, ce calme qui trace des mots à l'encre blanche dans l'air.