Tu sais pas ce que tu fais là. T'es perdue dans tes pensées. T'es perdue dans ton verre de bourbon. Tu regardes le liquide ambré se mêler au glaçon. T'es triste. Tu sais pas pourquoi.
En fait si, tu sais. Mais tu préférerais pas savoir.
T'es seule, et t'en as marre. Poupée de porcelaine dont personne ne veut, t'es assise mollement dans ce bar. A moitié affalée sur un canapé, le vague à l'âme. Le cœur atrophié, à trop espérer.

Perdue dans le liquide ambré, tu ne la remarques pas. Pas tout de suite. Tu fais tournoyer le verre entre tes doigts fins, caressant le bord lisse d'un ongle distrait. Tu le portes à tes lèvres, goûtant l'amertume, goûtant le parfum brut de l'arôme. Il te pique la langue. T'arrache la gorge, lorsqu'il y glisse, malsain. Et puis tu te tournes, sentant enfin sa présence. « 'soir. » Tu déclares, la voix enrouée. Au final, qu'elle te réponde ou pas ne changerait rien. Ta soirée est condamnée à être triste. Comme ton cœur est condamné à se noyer dans tes larmes, dans ton chagrin. Et puis finalement, tu te redresses. T'es décidée : elle sera ton compagnon de beuverie. Elle te rendra le sourire. Elle a intérêt. « Cendres. » Tu dis, comme s'il était clair que tu lui donnais ton appellation.

pas question ce soir que tu sois bourrée. tu te l'es promis. mais t'es si triste, et l'alcool te fait te sentir si... bien, que t'hésites à boire. que t'hésites à porter le verre à tes lèvres rosées. la jeune femme à qui t'as adressé la parole, elle te répond pas. elle t'ignore superbement. alors tu dresses un majeur fier dans sa direction - signe que tu n'es plus très nette - et tu te retournes. tu détestes ce genre d'impolitesse. et là, tu la vois : la belle étoile filante. tu souris en voyant les grimaces que lui font faire le whisky. tu la connais, mais tu sais toujours pas son nom. t'avances vers elle, ton verre à moitié vide à la main. une main se pose sur son épaule, doucement, pour ne pas l'effrayer. et tes lèvres viennent rencontrer ses joues, comme le veut la coutume de ta france natale. « hey. comme on se retrouve. » tu déclares simplement, sans vouloir la brusquer, sans vraiment savoir où tu vas, évitant simplement le firmament de tes pensées embrouillées. c'est différent avec la belle endormie, la belle princesse : tu veux pas qu'elle soit là pour toi, pour alléger ta peine. tu veux être là pour elle, pour aspirer la douleur qui transparaît dans ses prunelles qui, avec le whisky, arborent des éclats mordorés.

ça te refroidi, lorsque tu l'entends marmonner qu'elle s'en fiche lorsque t'arrives. mais bien vite, tu penses que c'est pas de ta faute. que c'est pas à toi qu'elle parle. parce qu'elle sursaute, la belle princesse au coeur atrophié. tu t'en sens proche parce que toi aussi t'es triste ; toi aussi t'es seule. et t'as envie de pleurer en voyant son sourire léger et sa main tremblotante qui passe dans sa cascade d'or. t'as envie de la serrer contre toi et de lui susurrer. lui susurrer que tout ira bien, que tu seras là et que toi tu l'abandonneras pas. peut-être que personne ne l'a abandonné, mais t'aimes pas sentir sa cicatrice encore à vif. alors tu réfléchis pas, et le revers de ta main vient caresser sa joue. puis tu balbuties, gênée : « je suis désolée. ça m'a échappé. » tu te mordilles la lèvre inférieure et t'ajoutes : « si je peux t'aider à soulager la peine qui pèse sur tes épaules, alors peut-être que ce ne serait pas si mal que nous soyons connectées. » tu souris. t'es sincère. t'étais fatiguée ; t'étais triste toi aussi. mais pour te soulager, rien de mieux que d'aider quelqu'un d'autre. t'es gentille, et tu penses aux autres avant toi la plupart du temps. « cendres. ravie. » tu dis en réponse. puis tu demandes. « je te commande un autre verre ? ou... peut-être que tu préférerais être seule. » tes doigts maltraitent le bas de ton t-shirt. t'as envie d'être là, t'as envie d'être avec elle, mais t'as peur d'être de trop. t'as peur qu'elle préfère la solitude à ta compagnie, toi, l'inconnue qui s'incruste.