C'est un petit morceau de chocolat ambulant, tu peux pas le perdre dans la foule, il fait tâche, tâche couleur, tâche bonheur. Mon bonheur. Mes joies quotidiennes en cinq lettres. Cosmo. Cosmos. Mes étoiles. Mon plan drague aussi. Mon aimant à filles.
Mon fils. Mon sang et mon coeur.
- T'éloigne pas trop Cosmo ! Fais gaffe aux vagues !

c'est pas sur ce genre de plages que je vais pouvoir bronzer. ça fait chier bordel. cependant, j'profite d'un peu de soleil pour sortir, foutre une serviette sur le sable froid, mettre des lunettes de soleil pour la forme et m'occuper de papiers que j'dois signer et renvoyer au plus vite si j'veux sortir de ce trou pourri. après tout, c'est qu'une punition d'être ici et en effet, c'est la pire punition que ton père n'ai jamais trouvé. mais j'ai 20 ans... et quelques, j'ai passé l'âge qu'on me punisse pour des conneries. et puis évidemment, j'me fais déranger par un clébard et son proprio que j'entends à un volume sonore déjà trop important pour moi. je soupire, mais j'dis rien pour l'instant. calme-toi Sookie, tout ira bien.

Je le regarde courir sur le sable, pépite de chocolat. Ma pépite d'or. Il s'approche trop près d'une fille qui bronze, comme je l'ai fait avec sa mère, trop près, à lui faire un enfant. Il la pointe du doigt, me crie :
- Maman ?
Son rire. Mon sourire. J'approche.
- Non Cosmo c'est pas ta maman ...
Il escalade mon mètre quatre-vingt et vient élir mes bras comme refuge. Bébé.
- Excusez-moi, à chaque fois qu'il voit une jolie fille il pense que c'est sa mère.

wow, la chose s'approche de moi sans que j'capte vraiment. ah mais non, va-t-en sale chose. j'ai envie de faire des gestes dans tous les sens, aucune envie qu'il me bave dessus ou qu'il me couvre de sable. maman ? non mais il est sérieux ? son père qui s'précipite presque pour venir le chercher et lui annoncer que non, j'suis pas sa mère. encore heureux, ça va pas ou quoi. « j'aurai pas enfanté ce monstre, dommage pour lui... » non parce qu'autant je doute pas du tout du fait que je suis belle, autant je doute sérieusement de mes capacités en tant que mère. j'aime pas les gosses de toutes façons. « ça vous dérange pas d'avoir un truc qui vous bave dessus en permanence ? » sérieux... « ah, j'peux pas voir ça. » non mais il lui bave dessus son gosse, ah... j'détourne le regard, j'peux pas voir ça. c'est juste horrible.

C'est difficile d'imaginer que Cosmo et moi, on partage le sang, c'est une question de palette de couleurs, lui est dans les marrons, moi les blancs. On dirait que c'est pas mon fils. Mais il a ces yeux, il a mes yeux.
Deux océans séparés par la colline de son petit nez. C'est vers la jeune femme qu'ils se tournent quand elle dit :
- J'aurai pas enfanté ce monstre, dommage pour lui ... Ça vous dérange pas d'avoir un truc qui vous bave dessus en permanence ?
Je la regarde.
Et putain je sais pas quoi lui répondre.
- Si tout le monde est aussi accueillant que vous on va peut-être pas s'attarder alors ... Je suis désolé qu'il soit venu vous embêter mais c'est pas non plus la peine d'être désagréable.

« Si tout le monde est aussi accueillant que vous on va peut-être pas s'attarder alors ... Je suis désolé qu'il soit venu vous embêter mais c'est pas non plus la peine d'être désagréable. » comment ça, si tout le monde est aussi accueillant que moi ? « j'suis pas de là, mais j'suppose que y'a pleins de gens chaaaaarmant qui ne rêvent que de toucher à votre machin qui bave. » et puis j'rajoute. « non mais vous en faites pas, j'suis toujours désagréable. rien à voir avec vous. » j'ments même pas, c'est tout à fait vrai c'que j'dis. « non mais sans rire, vous faites comment pour élever un truc pareil ? » et je jure que ça m'intéresse, j'comprends vraiment pas le plaisir qu'on peut y trouver, et c'est le premier à qui j'pose la question. j'suis gentille, regardez, j'peux même tenir une conversation sérieuse.

La pauvre. Elle peut bronzer tant qu'elle voudra, moi je la trouve triste et sans couleurs, je sais pas ce qui a pu lui arriver dans la vie pour qu'elle se décolore autant et je veux pas savoir. C'est juste une observation.
- J'suis pas de là, mais j'suppose que y'a pleins de gens chaaaaarmant qui ne rêvent que de toucher à votre machin qui bave. Non mais vous en faites pas, j'suis toujours désagréable. rien à voir avec vous.
J'ai envie de rire.
Alors c'est son état normal. Elle est presque fière.
- Non mais sans rire, vous faites comment pour élever un truc pareil ?
Y a toujours Cosmo, « le truc », accroché à mon cou, de là il peut voir un peu mieux les étoiles. J'ai envie de lui dire dans l'oreille, non, non c'est vraiment pas ta maman, ta maman avait (a) une autre grâce, si avec moi elle a été une garce c'est parce que je lui ai donné toi et qu'elle s'y attendait pas vraiment.
- C'est naturel. Au début j'me disais comme toi, surtout que je l'ai eu à ses deux ans et demi, et puis en fait ça vient doucement ... D'ailleurs il en a trois maintenant, et il bave plus du tout.
Je la regarde.
Je la teste.
- Tu veux essayer d'le tenir ?
Et j'y crois.

il m'tutoie. ok, très bien. j'vais faire comme si j'avais rien remarquer. ou alors j'le tutoierai si j'me sens de le faire. d'habitude j'tutoie tout le monde, j'sais pas pourquoi lui, j'le vouvoie. c'est n'importe quoi Sookie, c'est vraiment n'importe quoi. ça vient doucement, qu'il dit. de pouvoir élever son gosse. non mais sérieusement, ça viendra jamais chez moi, c'est pas possible. il dit qu'il bave plus, son gosse, mais j'le crois pas. j'l'ai vu baver en direct live, faut arrêter les conneries. mais j'dis rien, j'me tais. j'sais pas pourquoi d'ailleurs, j'aurai des tonnes de choses à dire, mais c'est comme ça, j'me tais. et puis, il me demande si j'veux le tenir. et autant dire que ça me déstabilise. « hm... bah... j'risque de le casser, en fait. » non parce que laisse tomber, s'il se débat et tout, moi j'fais pas le poids à côté. et puis j'ai peur de ces machins moi. « et puis, donnez pas votre truc à n'importe qui comme ça, quelqu'un risquerait de vous l'embarquer un jour. », j'marque une pause et puis j'reconnais : « bon, pas moi. mais quelqu'un qui aime les ptits humains comme ça. » non, j'arrive vraiment pas à dire "enfant", c'est si simple pourtant.

Je me rends compte que j'ai oublié le vouvoiement loin derrière moi, c'est pas très poli mais c'était très naturel. Elle a tellement l'air d'une gamine qui a mal, je peux pas forcer le "vous". C'est pas normal.
- Hm... bah... j'risque de le casser, en fait.
Mon rire casse la barrière entre nous. Y a rien de cassable chez Cosmo, pas plus que chez nous, c'est pas du cristal, c'est pas une étoile. Enfin si. Mais dans des métaphores.
- Et puis, donnez pas votre truc à n'importe qui comme ça, quelqu'un risquerait de vous l'embarquer un jour. (Pause) Bon, pas moi. mais quelqu'un qui aime les ptits humains comme ça.
Du rire encore.
J'ai l'impression qu'il y a quelque chose à découvrir sous la surface brusque, mais je suis pas équipé pour aller explorer le fond de son âme. Non pas aujourd'hui.
Truc, petit humain. Je sais pas si c'est qu'elle manque de vocabulaire mais en tous cas elle fait des efforts gros comme des montagnes pour contourner le mot "enfant". Ça me donne envie de la prendre dans mes bras et de lui dire : arrête.
De faire ça.
- Eh, eh, regarde mes lèvres et répète après moi : en-fant.
C'est à la limite du pas cool, mais je veux voir, je veux pousser un peu. Je me fonds dans le sable et, assis à sa hauteur, je fais passer Cosmo de mes bras aux siens. Allez, un effort, pour ses beaux yeux d'amoureux.

il s'fout de ma gueule en plus, je rêve. j'ai envie de dire un truc, mais on va voir s'il persiste, avant de faire quelque chose que j'regretterai pas. et puis il s'marre encore, alors j'décide de dire un truc. « eh, vous foutez pas d'moi s'vous plait. » non parce que c'est déjà assez difficile sans qu'il en rajoute quoi. et puis finalement, il s'assoit à côté de moi, et puis il m'demande de répéter après lui le mot enfant. j'arque un sourcil, j'ai envie de lui en coller une là. « eh, j'sais comment ça s'appelle, j'ai un master en droit. » ouais, il est important de le préciser. et puis, quand j'suis devant la barre, j'le dis ce mot, souvent. bon, j'préfère les trucs où j'ai pas besoin de défendre des gosses ou de leur parler et tout, mais de manière générale, j'y arrive quand même. et puis paf, il me colle ce truc dans les bras. bon, j'respire, paniquée. j'reste statique, j'bouge pas, j'sais pas quoi faire. « et là, j'fais quoi ? » c'est une bonne question, non ?

La tête qu'elle fait.
On dirait moi. On dirait moi y a presque un an quand "elle" m'a greffé de force Cosmo dans les bras. C'est le même air qui comprend pas. La mécanique des membres qui parvient pas à s'activer. Paralysie du corps, déchaînement du coeur. Pareil, pareil à un détail près : moi, j'avais les étoiles. Dans les yeux. Moi, j'avais envie. De comprendre comment faire pour coordonner nos mouvements de père et de fils, d'adulte et d'enfant. J'avais envie au delà même des limites du système solaire. On dirait moi oui. À quelques étoiles près.
Et puis moi, personne m'a montré le chemin, la lumière.
Là, la fille, je la guide pas à pas, et puis Cosmo est gentil aussi. Il pose sa tête chocolatée sur son coeur, j'ai plus qu'à prendre sa main aux doigts fins pour la poser sur le cou de Cosmo. Figure d'accompagnement.
- Tu vois, il mord pas, il se brise pas en mille morceaux, c'est facile.

bon, respire Sookie. j'respire, j'respire. c'est dur là, limite j'ai de l’urticaire juste à toucher cet... enfant. il pose sa tête contre ma poitrine, pfouuuu, c'est dur. putain d'merde, c'est dur de pas le jeter à l'autre bout de la plage et de partir en courant. mais non, j'suis pacifique aujourd'hui, presque pacifique. et puis j'sens la main du mec qui prend la mienne et qui la pose sur le cou du gamin. aaaarh, c'est trop, c'est trop. en fait j'sais que c'est psychologique, que j'ai pas vraiment peur des enfants et qu'au fond, ils sont mignons. genre lui, il est tout ce qu'il y a de plus adorable. seulement faut que j'me conditionne. j'veux pas de gosse, j'veux pas de gosse, jamais. ça détruit nos corps, ça nous rend grosse. bref, y'a rien de bien dans le fait d'être enceinte, et encore moins de trucs bien dans le fait d'être mère. « Tu vois, il mord pas, il se brise pas en mille morceaux, c'est facile. » non, c'est pas facile, mais oui, j'me calme. j'respire encore, j'fais une petite caresse sur le cou du môme avec mon index, genre j'le fais pivoter de haut en bas. j'reconnaitrais jamais qu'il est chou, mais c'est vrai qu'il l'est. il bouge pas, il reste calme. sérieux, il va s'le faire kidnapper un jour, vu à quel point il s'défend bien. « il est plus lourd que j'pensais, aussi. » que je balance, histoire de pas être trop gentille, ça me ressemble pas. « c'est quoi son nom, sinon ? »

J'imagine des étoiles pour peupler ses yeux. J'aimerais que quelque chose se débloque chez elle, qu'elle fasse un grand plongeon dans la piscine des yeux de Cosmo mais tout ce que je vois sur elle, c'est un air handicapé. Son problème, je pense, je crois qu'il s'étend à tous les êtres humains.
Mais quand je retrouve son regard j'y vois quand même un mini-quelque chose qui a changé.
- Il est plus lourd que j'pensais, aussi,
elle me dit, pour effacer ce qu'elle sait que j'ai vu - son doigt comme une caresse dans le cou de Cosmo, tendresse.
- C'est quoi son nom, sinon ?
Une invention de sa mère. J'ai même pas eu le droit d'y ajouter ma touche personnelle.
- Cosmo. Comme le cosmos mais sans le S à la fin. Comme le cosmos avec les étoiles et tout, mais t'inquiète c'est pas un big bang qui va t'écmater au visage.
Je sais pas ce que je raconte, un peu n'importe quoi.
C'est sa voix plus gentille, moins désagréable, de la voir en position radoucie qui me fait faire du gloubiboulga.
- Et moi j'm'appelle Tom au cas où tu voudrais savoir.

Cosmo. putain, mais le pauvre. c'est qui le mec qui a trouvé ce prénom ? non parce que le pauvre, vraiment. il a pas de chance ce pauvre gamin, il va s'faire martyriser toute sa vie. et puis dans la foulée, il se présente aussi. ah ouais, c'est vrai que j'ai pas pensé à demander. eh bah entre le gamin qui a un prénom digne d'un nom de chien, et son père avec un nom de chat, ils sont bien dans la merde. « et il a pas de ptit nom... genre moins... canin ? » c'est pas méchant, c'est une question ! « sinon, bah... moi j'suis Soukaïna. enfin Sookie quoi. » c'est la première fois que j'me présente ici, j'viens de penser. les gens, ils sont souvent trop énerver pour s'intéresser à mon prénom. c'que je conçois parfaitement, ceci dit. mais du coup, ça m'fait bizarre de dire mon prénom et tout, à un inconnu et à un gamin. d'ailleurs, il est toujours dans mes bras lui, il bouge pas, il reste calme. j'sais pas comment il fait, moi ça me saoulerait qu'on me prenne pour une peluche qu'on peut foutre dans les bras d'un peu tout le monde. en fait c'est surtout l'idée de rester sage, qui me saoulerait à sa place.

Ses yeux répètent Cosmo dans le vide. Ses yeux disent non trop de fois de suite. Nonononon. Ils doivent dire d'autres choses aussi. Putain non mais c'est pas possible pauvre gosse Cosmo non mais c'est l'idée de qui ça.
Blablabla.
- Et il a pas de ptit nom... genre moins... canin ?
Hein ?
- Bah ... Coco, quoi.
Cocorico.
- Sinon, bah... moi j'suis Soukaïna. Enfin Sookie quoi.
Soukaïna coupé en deux et remixé pour donner Sookie. Ça me fait rire de l'intérieur, j'ai fait pareil, moi c'est Thomas. Mais Tom c'est mieux, Tom c'est clair et net.
- Sookie, Sookie, c'est marrant. C'est un peu comme cookie, ça donne faim.
Sookie. On dirait que ça lui coûte un drôle d'effort de donner son nom à un inconnu, ou alors, qu'elle est pas habituée. Handicapée, comme avec Cosmo qui somnole dans ses bras.
- Ça va ? Tu t'fais pas bouffer par le monstre ?

Coco, c'est vraiment pas mieux. j'le regarde, vraiment pas convaincue. « pauvre gosse. », que j'balance. entre Coco et Cosmo, il a pas de chance ce pauvre gamin. même pas un surnom potable. Momo c'pas bien non plus. bref, il a aucun moyen d'être à peu près aimé un jour. alors qu'il est mignon quand même. oui, j'ose le penser, c'est presque criminel, mais j'ose le penser. et puis après, il s'fout de moi, avec mon surnom. « quand a le prénom d'un chat dans un cartoon, on vient pas la ramener hein. », que j'dis, histoire de me défendre un peu. mais nooon, c'est pas méchant, arrêtez de toujours voir le mal partout. j'le taquine là, si j'voulais vraiment être méchante, j'aurai moyen, vous en faites pas. et puis il me demande si ça va, qualifie son propre fils de monstre. enfin j'sais bien que c'est en référence à moi-même, tout à l'heure, mais ça m'fait sourire quand même. « baaaah, il est pas trop féroce le monstre, ça va. », j'lance. j'sais pas pourquoi, mais le volume de ma voix s'est rabaissé un peu. ptêtre parce qu'il est entrain de s'endormir, j'sais pas. malgré moi, j'continue mes caresses dans son cou. il a une peau tellement douce aussi, ce môme. c'est la même chose avec tous ? moi j'tente, mais j'arrive pas à avoir une peau aussi douce, c'est pas faute d'essayer pourtant.

Sookie, cookie, un coup de lumière ou de vent peut-être montre des tâches de rousseur sur son nez et je trouve que ça lui donne un air d'enfant, d'adolenfant, c'est tendre et elle a l'air vulnérable comme ça. Voilà. Ça tient à des tâches de rousseur qui piétinent sur son nez et continuent leur cavaler sous ses yeux, gris, deux perles.
- Baaaah, il est pas trop féroce le monstre, ça va.
Monstre, monstre.
Elle reprend mon mot, l’insulte à Cosmo, mais on est loin de son ton de tout à l'heure, elle est tombée d'un cran mais tout en douceur, sans en avoir l'air et là soudain ses mots sont presque aussi doux que
- J'crois qu'il s'endort. C'est drôle parce que moi pour arriver à le faire dormir faut que j'chante et tout ... T'as d'la chance avec lui.
Et au-dessus de nous le soleil continue de faire le fier.

il me regarde, me balance que j'ai d'la chance parce qu'il s'endort déjà. « vous voulez le reprendre ou j'sais pas ? », parce qu'on va pas rester là toute la nuit, il va pas rester contre moi pendant des heures. c'pas que j'l'aime pas, ce gamin, mais ça reste un gosse quoi. et puis j'les connais pas moi, j'ai des trucs à faire quand même... bon c'est pas vrai, mais c'est c'que j'essaie de me faire croire à moi-même. « oh, il ronfle ou c'est moi ? » bon, c'est pas énervant, c'est à un volume tellement bas, mais faut croire qu'il dort bien.