Tu sortais de ton bloc, perchée sur tes talons hauts . Et tu marchais. Un mètre, cinq, puis quinze pour finalement t'asseoir sur le premier banc à ta portée. Tu inspirais, profondément, comme pour humer parfaitement l'air frai de cette soirée, comme pour te ressourcer avant de finalement souiller ton corps. Car oui, pas plus de dix secondes s'écoulèrent avant que tu ne portes une cigarette à ta bouche. Pas plus d'une seconde pour l'allumer et en tirer une longue bouffée.

La fumée inonde délicatement ta gorge et cet arôme pourtant toxique te semble exquis. Deux bouffées, trois puis quatre. A peine quelques secondes s'écoulent entre le moment ou ce filtre jaunis touche tes lèvres et celui ou tu laisse échapper d'entre celles-ci une fumée opaque. Tu laisses ta tête basculer légèrement vers l'arrière et ton regard se perd dans un ciel sans étoiles, avant qu'un bruit ne vienne te sortir de ta fausse contemplation. Tu tournes la tête et tu vois un homme. Il te fixe. Encore. Toujours. Il n'est pas si loin, tu tires une nouvelle taffe. « T'en veux une ? » Tu attrapes le paquet de cigarette que tu avais nonchalamment laissé tomber sur le banc quelques temps plus tôt et tu le lui tend. Sans réellement savoir pourquoi. Sans même connaître la raison pour laquelle tu t'adresses à cet homme. Sûrement l'ennui.

Un signe de tête en guise de remerciement, tu n'attendais pas plus. Tu tires une nouvelle fois sur ta clope alors que le bruit d'un briquet qu'on allume t'arrive aux oreilles. Pourtant tu ne le regardes pas. Non, ton regard s'est une nouvelle fois perdu sur quelque chose que toi seule semble voir. Tu soupires, puis une toux t'arrache un léger rire. Sa toux. « Sa craint toujours les premières fois. » Il tousse encore. Tu souris toujours. Ça t'amuse, mais t'étonnes. Tu essayes alors de te souvenir de ta première clope, toutefois tu abandonnes rapidement. Ça fait bien trop longtemps.

« Oui. » En effet, tu habites ici. Ce bloc est devenu ton nouveau domicile, quand bien même ne le réalise tu pas encore totalement. Ces rues te sont toujours inconnus, les faciès que tu y croises étrangers. Même ce ciel qui s'assombrit ne t'est pas familier. Si peu de temps que tu es là et pourtant, tu t'y sens bien. Ou du moins cela ne te déplaît pas. Pas encore. « Toi aussi j'imagine ? Drôle d'endroit pour se promener sinon. » Tu tires une nouvelle fois sur ta cigarette et te rends compte à quel point cet endroit n'est pas accueillant, mais c'est chez toi. Et maintenant que tu y es, sûrement y resteras-tu un bon moment.

Il n'aime pas cet endroit. Il te le dit, simplement, sans détour et tu le comprends. Y a-t-il seulement quelque chose d'accueillant ici ? Peut-être, mais dans ce cas sûrement se cache-t-il aux yeux des nouveaux arrivants. Pourtant tu t'y sens bien, quand bien même est-ce sûrement pour de mauvaises raisons. Quand bien même n'est-ce pas pour ce qu'il y a, mais plutôt pour ce qui ne s'y trouve pas. « T'as sûrement raison. » Tu tires une dernière bouffée sur ta cigarette avant d'écraser le mégot presque entamé. Et tu détails le faciès de l'homme qui te fait face, quelques secondes, avant de finalement le placer dans la catégorie des gens normaux. Du moins il te paraît normal. Bien différent des personnes que tu as déjà pu croiser ici. « Je suis arrivée cette semaine. » Quelques jours. Cela te semble suffisant pour te faire une opinion. Opinion que tu gardes pour toi, comme si tu espérais qu'elle allait changer. Tu détournes finalement ton regard de l'homme et attrape le briquet posé à côté de toi pour le faire tourner entre tes doigts. « Tu ne trouveras pas mieux. » Laisses-tu finalement échapper d'entre tes lèvres. Convaincue.

Vraiment ? Oui. En tout cas, c'est ce que tu penses. Tu avais rapidement fait le tour des logements et tu n'avais rien trouvé de mieux. Rien. A part peut-être l'hôtel dans lequel tu avais passé tes premières nuits, mais c'était bien trop cher. Oui, trop cher même pour toi. Alors ce bloc reste définitivement le meilleur endroit à tes yeux pour vivre, mais peut-être n'a-t-il pas les mêmes critères que toi. Tu juges à l'appartement, à la superficie, à la beauté du lieu et non au voisinage. Tu ne recherches pas une belle rue, ni même un bel immeuble. Non, la seule chose que tu voulais était un endroit plaisant où vivre. Où poser tes affaires. Où commencer une nouvelle vie. Le reste tu t'en fiches. Tes voisins peuvent bien s'entre-tuer, tu t'en fiches. Les murs peuvent bien être tagués, tu t'en fiches. Voilà ta vision d'un bon endroit. Vision que ce garçon peut-être ne partage pas. Alors tu ne réponds pas, tu te contentes de fixer ton bâtiment, comme pour essayer de te convaincre qu'il n'est pas si moche que ça. Pourtant il l'est. Il l'est incontestablement. Une seconde. Deux secondes. Rien ne change et le silence s'installe, puis se brise. Une voix s'élève. Sa voix. Il a besoin de marcher. Alors tu quittes ce bloc de pierre brute du regard et tu poses tes pupilles sombres sur l'homme. Il ne semble pas aller bien. Tu te lèves par reflex et pose une main sur son épaule. « Ça va aller ? » Ta voix se veut rassurante et tu fronces légèrement les sourcils, comme pour essayer de mieux voir. De déchiffrer quelque chose sur ce visage impassible auquel tu fais face.