Elle range tout son fatras dans sa sacoche, retirant au passage son appareil photo, et puis elle commence à marcher. Elle a un sourire enfantin aux lèvres, elle est tous simplement heureuse. "Espèce de maso, ce travail va te tuer, et toi tu t'enjailles à souffrir pour pour quelques clopinettes par jour ?" Mais un travail au jour le jour, c'est tout ce dont elle rêvait. Elle ne sait pas où elle va dormir. S'enfoncer dans la forêt sans regarder en arrière, tout simplement parce que les arbres ont l'air accueillant. Comme des grands pères un peu viellots qui s'amuseraient à raconter des histoires au coin du feu. Le sourire persiste. Elle s'amuse à prendre en photo tout ce qui lui tombera sous la main. Mettre en scène ces chers sapins du printemps. "Au moins ça te fait une famille." Elle se dit qu'elle en a bien besoin. Elle continue d'avancer, encore et encore, à l'ombre du soleil qui va bientôt faire son lit derrière les collines. Le rouge perce les arbres, les rayons descendent petit à petit pour venir te caresser la nuque.

Et entre deux rais de lumineux, elle croit voir de la fumée. La lumière est sublime. Elle en profite pour mitrailler l'endroit, se rapprochant petit à petit de la source. Un chemin qui se coupe en deux et une touffe de cheveux blonds. Sans réfléchir, elle la prend en photo. Tu bats des paupières. Sans chercher à te justifier, tu lâches :

« La lumière est belle non ? »

Illuminée.

La jolie blonde te lance un regard noir, après avoir fixé ton appareil avec une haine étonnante. Comment peut-on détester à ce point les photos ? La brunette à l'allure androgine se met à fixer à son tour l'appareil.

"Supprime ça."

Pourquoi une simple photo peut la mettre dans cet état. Elle sourit, amusée et pas franchement disposée à effacer la photo. Elle est sûre qu'elle va être magnifique, ce serait dommage de la perdre. La blonde est sèche, elle se rapproche légèrement, clope au bout des doigt, fumée sur les lèvres. Elle a le visage de quelqu'un qui ne se laisse pas faire. Le visage d'une féministe à qui on a marché sur les pieds trop souvent étant petite.

"Supprime ok ?!"

Jaegger appuie sur le bouton de replay, visionne tout de même la photo afin de savoir si oui ou non elle est si belle. Décidément, pas moyen, elle compte bien la garder. Elle lâche, amusée :

"C'est pas toi que j'ai pris en photo, c'est les arbres et la lumière et une touffe de cheveux blonds."

Elle s'appuie contre un arbre en la fixant avec défi.

"Pas de quoi s'énerver."

L'androgine regarde ses pieds, pensive, avant d'ajouter :

"Et puis si j'efface la photo j'aurais rien pour me souvenir de cette soirée."

"Quel caractère de merde." Totalement. La blondinete s'avance pour arriver à ta hauteur, pour te dominer. Du haut de ton petit mètre soixante-trois, il semble que tu fasses pâle figure. Comme pour signaler que la bataille peut commencer, Jaegger laisse tomber son sac au sol, près de l'arbre. "Vous allez rester là un petit bout de temps ..." Sans doute. C'est ce qu'il arrive quand deux personnes d'un caractère aussi fort se confronte non ? Des étincelles. Comme les rayons de soleil qui percent entre vous. Elle est plus grande, elle a ce visage froid et dur. Et Jaegger ne lâchera pas l'affaire, elle gardera son sourire mutin jusqu'au bout.

"Ca me fait pas rire. Cette touffe blonde comme tu dis, c'est la mienne."

La brunette ne peut s'empêcher de murmurer ouvertement, histoire d'enfoncer le clou :

"Jolie touffe de cheveux soit dit en passant."

Et tout ce qu'elle trouve à répondre, c'est supprime. Encore et encore le même refrain, ça en devient lassant. Jaegger pousse un large soupir en jetant un coup d'oeil au soleil couchant. Il est beau, mais non, ça ne lui suffit pas. Pour toute réponse, elle sort son appareil et lui montre la photo. C'est la silhouette, comme paumée entre deux mondes, entre deux chemins bien distincts qui lui plait. Une silhouette majestueuse et pourtant si fine, une lune rouge devant elle et les arbres de chaque côtés.

"J'trouve ça poétique. Et c'est tout."

Cette fois elle perd son sourire et la regard avec un brin de défi. "Non tu ne me feras pas effacer cette merveille."

La photo est belle c'est un fait incontestable. Alors tu la regardes, persuadée que tu vas parvenir à la faire changer d'avis. Elle est plutôt jolie à bien y regarder, ses traits se détendent légèrement pour faire disparaître la grimace qui a pris place sur son visage. Elle n'a pas l'air particulièrement féminine, tout du moins Jaegger n'a aucuns préjugés en matière de beauté. "Forcément quand on a tout oublié ..." Il y a sans cesse cette petite voix dans sa tête qui lui donne envie de devenir folle. Plus folle qu'elle ne l'est déjà. Tout du moins elle ne compte pas céder un pouce de terrain. La blonde abdique alors dans un soupir mi amusé mi agacé :

"Bon ok, garde la si ça te fait tant plaisir."

Et alors qu'elle se remet en marche, il ne lui faut pas dix secondes pour revenir et déclarer, peu fière d'elle :

"Dis moi, toi, tu saurais pas comment rentrer dans le centre de Banff par hasard?"

Elle sort un paquet de cigarette et en allume une, comme par magie, le briquet était presque invisible. "Caché dans sa manche sans doute." Mais Jaegger préfère penser que son interlocutrice contrôle le feu ou quelque chose comme ça. Elle répond, rapidement :

"Nanp', pas vraiment, j'suis nouvelle dans la région."

Elle tourne la tête vers le lit du soleil, à présent caché par les montagnes. Comme absorbée par le paysage, elle lâche :

"J'comptais dormir à la belle étoile. Il fait doux, ce serait triste de ne pas en profiter tu ne crois pas ?"

Et sans rien ajouter, elle se laisse glisser contre l'arbre, au sol, s'asseyant contre le tronc.

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