La pluie tambourine à la fenêtre. Tu es assise à une table, ton café disposé en évidence devant toi. Tu contemples l'eau s'écouler dehors, une main pour soutenir ta tête alors que tu mélanges ton breuvage machinalement. Tu ne penses à rien. Tu ne réfléchis pas. Tu observes.

Je referme mon parapluie et j'entre. Quelques gouttes glissent de mon imperméable. La pluie m'a fait du bien, elle lave les corps des chagrins et me redonne de la fraîcheur. Je m'installe à une table près de la fenêtre. Une femme me fait face, à une autre table, dans le vide. Je la regarde, et comme elle, je tourne la tête vers la vitre. Tout est calme.

Le bruit de la pluie repose. La pièce est calme. Pas de brouhaha. Tu bois une gorgée, plisse les yeux. C'est chaud. Tu replonges tes yeux dans le vide. Une femme t'observe, en face. Tu souris. Tu es polie. Tes mains embrassent ta tasse. Le temps humide les a rafraîchi. Tu baisses les yeux, prend une gorgée et regarde devant toi. Elle t'imite. La pluie la repose aussi, enfin certainement.

La femme me sourit, je lui réponds par un sourire timide avant de me reperdre dans mes pensées. Le garçon de café me sort bientôt de ma rêverie et je lui demande : Un thé s'il vous plait. Il fait volte face et s'en retourne vers le comptoir. Je retourne la tête et mes yeux se reposent sur cette femme. Une inconnue, comme tous ces gens de Banff. C'est ça de débarquer soudainement. Je suis étrangère à tous, et tous me sont étrangers. Pour combien de temps ?

Banff te semble si différent de la vie que tu menais avant. Tu es seule. Tu ne connais personne et tu t'en rends compte car, une fois de plus tu es assise seule. Personne n'est là pour te tenir compagnie, tu n'as personne à qui parler. La solitude te ronge. Tu sens que si tu ne te familiarises pas avec l'endroit tu risques de ne plus te reconnaitre. Change, prend toi en main, agis. Ces pensées te traversent l'esprit. Tu ne peux pas rester où tu es indéfiniment. Ton café devient froid. Imbuvable. Tu le regardes avec dédain, tu le repousses. C'est alors que tu te lèves, et te remarques en train de faire l'impensable. Tu t'asseois en face, en face de quelqu'un, en face de cette femme. Tu souris, encore. "J'espère que je ne dérange pas." Visiblement, la pluie fait réfléchir.

Le garçon de café revient, dépose délicatement la tasse de thé bouillante sur la table. La note posée à côté. Merci. Je souffle sur l'eau et la chaleur de la fumée qui s'en dégage me réchauffe le visage. Je n'ose pas encore prendre une gorgée. Alors que mes yeux sont rivés sur la tasse, je vois une ombre qui s'approche. C'est elle. Blonde, teint pâle. Nouveau visage. Elle sourit, je la regarde et souris à mon tour. Un peu de compagnie ne se refuse pas. Je l'invite d'un geste de la main à s'installer face à moi. Je ne sais pas trop quoi dire. Pourtant, lorsqu'on rencontre quelqu'un, des milliers de possibilités s'offrent à nous. Mais je ne sais pas, je suis comme ça. Je remarque qu'elle a laissé sa tasse de café encore pleine à l'autre table. Vous ne le finissez pas ? Cette première approche est étrange. Tant pis.

Si ta présence ne gêne pas tu te sens soulagée. Tu n'avais pas parlé à quelqu'un depuis ton arrivée. C'était comme si tu recommençais une nouvelle vie, sans repère, sans quelqu'un pour te guider. Le seul fait de pouvoir parler à nouveau t'enivrait de plaisir. La jeune femme t'invite à t'asseoir, vous échangez des regards, des sourires mais ne parlez pas. Dieu que l'ambiance peut être tendue. La pluie continue de tambouriner sur les vivres, c'est certainement l'unique son que l'on entende. Elle montre du regard la tasse isolée sur ta table. Non, tu ne la finis pas. "Froide" tu répliques en marmonnant. Tu n'as jamais réellement étais timide pourtant, mais tu sembles intimidée par ce qui t'entoures, ton nouveau monde. Tu n'aurais peut être pas du partir. "Vous venez ici souvent?" Tu brises la glace, les quelques sourires que vous vous lanciez ne suffisaient plus.

Elle prend place face à moi et je me dis que c'est la première personne à qui je vais véritablement parler depuis mon arrivée. Les gens de Banff sont-ils différents de ceux que je connaissais avant ? Je ne sais pas, mais j'ai fait le choix de partir, alors il faudra s'adapter. Sortir de cette coquille qui m'isole. Je le sais, je le sais, c'est difficile d'oser. Aller vers les autres et s'ouvrir, s'assumer. Son café était froid. C'est malheureux ma foi. Et on est là, sans trop savoir quoi dire encore une fois. Elle a l'air comme déstabilisée, j'ai une étrange impression. Et puis finalement, elle parle alors je réponds. C'est la première fois. Je viens d'arriver en ville en fait... Je me dis qu'il serait poli de lui retourner la question, alors voilà : Et vous ? Je porte machinalement la tasse à mes lèvres en attendant sa réponse. Je me brûle et grimace.

Tu as croisé les bras sur la table et tu écoutes. Tu sens la conversation se fluidifier, devenir plus naturel. Mais quelque chose t'embête. Tu es jeune, tu ne veux pas être vouvoyée. "Moi aussi, je suis perdue.. Je préfère que l'on se tutoie, je trouve ça plus intime." Tu sens que tu es devenue impolie mais qu'importe, tu ne reverras certainement plus jamais cette femme, tente toujours. "J'ai l'impression d'avoir changé de planète, j'ai du mal à savoir où je suis."

Elle se sent perdue, et c'est un peu ce que je ressens aussi. Banff ne ressemble en rien à l'endroit d'où je viens. C'est déstabilisant. Elle a l'air de vouloir vraiment faire connaissance, et c'est tant mieux car je suis seule ici. Et elle m'inspire plutôt confiance. D'accord. C'est juste que je n'osais pas... Je pince des lèvres. C'est dur de parler à une inconnue. Je suis d'accord avec toi, c'est effrayant comme cet endroit est différent de ce que je connaissais. Mais c'est exactement ce qu'il me fallait tu vois, quelque chose de totalement à l'opposé de ma vie d'avant.

Tu appelles le serveur, la voyant siroter son thé, cela te donne envie d'en prendre une gorgée. "Un deuxième café s'il vous plait". Tu te redresses. Tu comprends la situation de cette femme, tu es dans la même. Tu te rends compte que vous n'êtes pas si différente à vrai dire mais pourtant tu es curieuse. Ca te démange, tu ne peux pas t'empêcher de poser des questions, tout le temps mais lorsque ça ne te regarde pas. "Ta vie d'avant ne te plaisais pas?" Tu poses ta tête sur la paume de ta main, accoudée à la table, tu essayes de paraître naturelle et agréable.

Ma langue se délie petit à petit. Est-ce la faute, ou plutôt grâce à ce thé qui m'a brûlée ? Je n'en sais rien, mais ce serait bien que je cesse de chercher des petits signes partout. Je me reprends alors. L'inconnue commande un autre café pendant ce temps-là. J'entremêle les doigts de mes mains posées sur la table. Elle vient de me poser une question difficile. Ma vie d'avant était vraiment bien. Tu vois, j'étais heureuse... Les souvenirs défilent devant mes yeux, j'esquisse un petit sourire sans m'en rendre compte. Et puis je me souviens de la suite : Mais tout s'en va... J'ai perdu quelqu'un de cher. Pas de larme dans mes yeux, juste de la nostalgie. Et toi, qu'est-ce que tu fais là ?

Le serveur revient avec ta tasse de café. Tu tentes de la prendre mais retire très vite tes doigts qui, à peine ayant effleuré la tasse, se brulent. Tu souffles rapidement sur le liquide tout en écoutant ton interlocutrice. Visiblement la question était un peu déplacée, tu t'en rends compte après. Tu sens que ses paroles sonnent sensiblement faux, qu'elle a des regrets. Tu ne sais pas quoi dire, tu n'as pas vraiment vécu la même expérience. "Je vois, tu as eu besoin de t'évader? De quitter tout ça? Tu pensais qu'en t'échappant tu serais heureuse?" Tu interprètes ses paroles. Tu as toujours fais ça, même lorsque tu avais tort. Elle te retourne la question, tu te sens un peu bête. "J'avais envie de partir. De m'évader. De changer radicalement de routine. Mon quotidien me hantait, j'étais prisonnière. Je suis partie." Tu sirotes une gorgée, il vient de refroidir.

Elle m'a l'air gênée, mais elle ne devrait pas ! Je trouve ça soulageant de parler comme ça à une étrangère : elle a un regard totalement extérieur, objectif. Et je ne me sens pas jugée, et même si c'était le cas, je m'en moquerais ! Oui, c'est tout à fait ça. Je sais que fuir, ça peut sembler lâche... Mais bon, je ne pouvais plus vivre là-bas, il y avait trop de souvenirs, tu comprends ? Elle boit son café, je bois mon thé. Elle parle de sa vie d'avant. Elle avait l'air bizarre, compliquée, et je ne comprenais pas trop... C'est que ta vie ne te plaisait pas ? Tu es venue ici pour recommencer, et faire ce que tu veux vraiment faire ? C'est ainsi que j'avais compris ses propos. Et puis, tout à coup, je me demande comment elle peut s'appeler. Est-ce que je lui demande tout de suite ? En plein milieu de cette conversation un peu intime. Est-ce qu'en savoir plus sur une inconnue va gâcher ce moment ? Je veux dire, tant qu'on ne sait rien de quelqu'un, c'est facile de s'imaginer ce qu'on veut, d'en faire une image idéale. Non, bon, pour l'instant je me tais, et on verra après. Elle a peut-être besoin de parler de son histoire un peu plus.

Non tu ne comprends pas vraiment. T'es pas dans sa tête. T'as jamais eu quelqu'un en qui tu tenais vraiment. T'as jamais eu cette peur de perdre. Personne ne t'était vraiment cher alors quand elle te dit ça, t'essayes de te mettre à sa place mais t'y arrives pas. "Je comprends." Tu souris. Tu bois une gorgée de café. Tu hésites à lui parler de ta vie d'avant. Tu vas te trahir. T'es curieuse mais pas très à l'aise quand on te pose des questions sur ce qui t'a poussé à partir. "J'aime le Canada et j'aime voyager. Voilà." Tu vas pas trop en dire, t'aimes pas parler d'avant. Si t'es ici c'est pour vivre le moment présent. Tu te rappelles que ça fait plusieurs minutes que tu es en compagnie de cette fille. Tu connais presque sa vie mais pas son nom. Mieux vaut ne pas y aller par quatre chemins. "Moi c'est Pom en fait. On m'a toujours appelé comme ça. Je sais même pas si c'est mon vrai prénom mais je l'aime bien."

Elle n'a pas l'air de beaucoup aimer parler d'elle. Sa réponse reste énigmatique, alors je me dis qu'il vaut mieux ne pas insister. Après tout, à quoi bon ressasser le passé ? L'avenir, c'est mieux. Du moins, je l'espère. Et puis alors, comme si elle avait lu dans mes pensées, elle se présente. Pom, c'est pas commun ça. Mais j'aime bien. C'est court, c'est bien. Ca lui va bien, oui. Elle dit qu'elle ne sait même pas si c'est son vrai prénom, et ça, c'est sacrément bizarre. Tout le monde connait son propre nom d'habitude. Mais cette fille, elle est différente de tout le monde apparemment. Pom, c'est pas commun mais j'aime bien. Moi je m'appelle Autumn. J'ai toujours trouvé ça bizarre de porter le nom d'une saison. Ca donne une image morose de moi. L'automne, j'ai toujours trouvé ça triste, mais moi je n'ai pas toujours été triste. Bon d'accord, en ce moment je le suis un peu. Mais je ne suis pas tout le temps triste. Pom, c'est plus sympa comme prénom. Ca peut cacher et renfermer des tas de choses. Je me pose plein de questions sur elle, et je crois que j'ai envie de la connaitre. Alors Pom, c'est quoi tes rêves ?

Autumn. Autumn c'est joli. Ca te fait penser à la saison triste mais en même temps aux couleurs mélangées des feuilles s'éparpillant sur le sol. Tu souris. Pom c'est pas commun en effet, mais tu es fière de t'appeler ainsi, c'est un peu ta marque de fabrique. Personne ne s'appelle Pom. Ou une minorité dans tous les cas. Tu viens de finir ton café. Tu songes à en reprendre un troisième mais tu t'abstiens, ça ira. Tu finiras pas droguée à la caféine. Autumn te questionne. "Alors Pom, c'est quoi tes rêves ?" Est ce que tu sais réellement ce qu'il en est? Tu n'y as jamais réfléchi. Tu prends la vie comme elle s'offre à toi, tu n'essayes pas de modifier quoique ce soit. Des rêves c'est en fait fait pour se réaliser, alors à quoi bon rêver l'impossible? Tu ne rêves pas, tu agis. "J'en sais rien, j'en ai pas vraiment. Changer de vie c'était plus ou moins un rêve, je peux dire qu'il s'est réalisé." Un temps. "Et toi Autumn, tu en as sûrement non?" Tu esquisses un sourire malicieux, tu as connu cette fille il y a quelques minutes mais les conversations sont profondes. Ca te plait.