Il lui fallait un boulot. Elle n’en pouvait plus de trainer à l’hôtel sans bouger. En France, elle avait toujours été très occupé avec ses études de médecine et aujourd’hui elle s’ennuyait de ne plus rien avoir à étudier. Paradoxal, me diriez-vous. La plupart des gens révérait de ne rien avoir à faire de leur journée mais Évie était différente. Elle aimait bosser, elle aimait lire, elle aimait les trucs que la plupart des jeunes n’aimait pas en fait. Genre la musique classique. Mozzart, c’est trop son truc. Du coup on pouvait se demander ce qu’elle foutait dans une boite de nuit qui manifestement passait tout sauf ce genre de musique. Elle était tellement désespérée de ne pas avoir de boulot qu’elle s’était pointé là en tant que serveuse. Le patron lui avait laissé sa chance pour une soirée. Voilà une heure qu’elle déambulait entre la foule de la boite de nuit pour apporter les commandes et finalement elle espérait qu’il ne l’embaucherait pas. Calvaire. Corvée. Et musique de merde dans les oreilles. Elle n’avait qu’une envie : partir de là. Et alors qu’elle avait en main une coupe de champagne elle percuta de plein fouet quelqu’un et renversa le verre sur leurs deux tenues. Merde. Et voilà que son haut blanc devenait presque transparent. « Merde, pardon. Je sais même pas ce que je fou là de toute façon. » La dernière phrase, elle se l’était murmurée à elle-même. Et elle n’osait même pas levé les yeux vers la personne qu’elle venait d’inonder.

Owen avait avec elle son éternel prénom de garçon et un verre à la main. Elle ne savait pas trop ce qu'elle faisait ici, mais elle avait envie de rencontrer du monde. Elle était des gens sociables et hyperactifs, mais qui paradoxalement une fois rentrés chez eux préféraient l'isolement le plus complet. C'était une occasion pour elle de sociabiliser. Le bandage qui serrait sa poitrine et lui enlevait sa dernière once de féminité l'empêchait de respirer à plein poumons. Mais c'était une sensation à laquelle elle était désormais habituée. Portant le verre à ses lèvres elle le bu d'un coup sec et le posa sur une des tables. En se retournant, elle fut éclaboussée d'alcool. Elle releva les yeux, et fit face à une jeune femme des plus jolies, si ce n'était qu'elle avait un côté trop bon chic bon genre pour ce genre d'endroit. Mais elle s'en fichait, Owen, elle n'avait jamais le bon côté pour rien de toute façon. « Merde, pardon.  Je sais même pas ce que je fou là de toute façon. » Owen lui sourit à pleine dents. « Ca me dérange pas en fait, chaton. » Elle s'essuya d'une main. « Par contre, vu la valeur de tes vêtements je m'inquiéterais. » Elle rit, espérant assez détendre l'atmosphère pour qu'on puisse au moins lui donner le privilège d'être regardée dans les yeux.

Effectivement, elle n’avait rien à faire là. Elle était trop loin de sa petite vie tranquille. Trop loin de la grande maison dans laquelle elle vivait avec sa mère en France. Trop loin de son petit confort. Et pourtant elle avait tellement besoin de tout ça. Mais c’était trop tard pour revenir en arrière. Et même son petit haut acheté récemment dans une grande boutique de Paris avait venait de rendre l’âme. A croire que tout le monde voulait qu’elle prenne un nouveau départ ; même ses fringues. Elle tomba donc nez à nez avec un mec. Enfin une fille. Enfin .. Elle leva les yeux vers elle. L’allure d’un mec, les yeux d’une demoiselle. Alors qu’Evie était le comble de la féminité, elle tombait sur une fille qui elle cherchait à être un garçon. Enfin c’est en tout cas ce que son apparence laissait paraitre. On ne pouvait pas connaitre les gens en un regard. « Tant pis pour les vêtements. De toute façon je crois que je dénotai un peu trop ici. » Elle avait ri légèrement. Beaucoup l’avait regardé comme une dérangée en fait. A croire qu’elle était trop chic pour être ici. De toute façon, il n’y avait pas beaucoup d’endroits où elle se sentait à sa place depuis son arrivée à Banff. « J’ai juste besoin de sortir. » Elle posa le verre qu’elle venait de renverser. Elle n’avait même plus envie de servir quoi que ce soit. De toute façon elle était nulle. Elle n’avait rien à faire ici.

« Tu peux sortir avec moi. » Elle répliqua avant de rire à sa propre blague. Elle laissa passer quelques secondes avant de froncer les sourcils. « Enfin, je veux dire, non, c'est juste une blague. Je veux dire, non, c'est pas que je te trouve pas bien, c'est une blague, c'est pr - » Pour éviter les blagues gênantes, c'était raté. Elle secoua la tête. « Bon, j'suis pas très drôle, je crois qu'on peut dire que toute l'humanité a de mauvais côtés après tout. » Elle remarqua que la blonde avait un air dépité. Etait-ce à cause des vêtements ? Pourtant elle ne semblait pas si déçue. Sans doute n'aurait-elle pas du les mentionner du tout. Et ne pas faire de blagues, par la même occasion. Mais, on ne se refait pas. « Tu es d'où ? Tu es qui ? » Demanda-t-elle pour changer de sujet. Owen n'avait croisée que des têtes inconnues jusqu'ici. « Moi je suis Owen, je viens d'arriver et si tu préfères un endroit moins hostile pour parler, le fond de la boîte est moins surpeuplé. » Ah, elle parlait beaucoup trop. Elle choisit donc de se taire et d'observer la personne partageant sa compagnie. Outre son côté quelque peu trop chic, elle avait surtout l'air d'un petit chaton dépité qui ne savait pas trop quoi faire. Et Owen non plus ne savait pas trop quoi faire, ni où aller. Mais elle prit un air assuré et lui sourit à pleine dents.

Quand elle lui lança qu’elle pouvait sortir avec elle, Évie la regarda d’un drôle d’air, les sourcils froncés, comme si elle ne comprenait pas. Et puis en la voyant s’emmêler les pinceaux dans ses explications la blondinette ne put s’empêcher de rire. Elle eut soudainement l’impression que quelqu’un était aussi paumé qu’elle. Enfin elle espérait qu’au moins c’était vraiment une blague, que la jeune femme n’allait pas lui sauter dessus tout d’un coup. Enfin de toute façon elle n’était pas sûre d’être super attirante avec son maillot trempé d’alcool. « C’est bon, j’ai compris ce que tu voulais dire, t’embête pas. C’est gentil de vouloir me tenir compagnie mais je suis certaine que tu t’amuserais plus avec les autres, je suis loin d’être très intéressante comme fille. » Elle jeta un coup d’œil à toutes les personnes qui dansaient autour d’elles. Elles avaient l’air heureux toutes ces personnes, elles s’amusaient et riaient. Pourquoi est-ce que la brunette ne les rejoindrait pas ? Puis elle se présenta, comme si elle avait envie de la connaitre. « Moi c’est Évie. Je veux bien sortir de cette foule mais attend, je dois faire un truc avant. » Elle la laissa quelques secondes pour jeter le badge qu’elle avait accroché sur la poitrine, là où il y avait écrit « serveuse », c’était pas pour elle tout ça, surtout dans une boite de ce genre. Puis elle revint vers elle, sourit légèrement et avança avec elle vers le fond de la boite de nuit. Là-bas des fauteuils libres n’attendaient qu’elles. . « T’es sure que tu veux rester avec moi ? J’veux dire, tu es pas venue ici pour t’assoir dans un fauteuil si ? » Peut être qu’elle était venue pour danser, faire la fête, s’amuser. Et voilà que sa rencontre avec Evie l’obligeait de passer une soirée calme et posée, triste réalité.

Elle avait regardé la jeune femme partir et revenir vers elle. Elle semblait très peu sûre d'elle-même et Owen se demandait pourquoi. Après tout le succès matériel était ce que la plupart des gens voulaient ? Peut-être n'était-ce pas assez, finalement, pour rendre un être humain heureux. Elle lui sourit. « Peut-être bien que si, j'suis venue m'asseoir dans un fauteuil. » Elle répondit en prenant place à ses côtés. « A vrai dire, je sais pas danser. Attends, regarde. » Elle se releva aussitôt pour faire une démonstration. Des mouvements corporels gênants s'en suivirent, et il était difficile de réellement les décrire. Owen avait l'air d'un crabe en train de subir un palper rectal. Elle fit mine d'être essoufflée pour s'asseoir au plus vite. « Je me ridiculise souvent sans y penser. Mais parle moi de toi, plutôt, Evie - C'est bien Evie ? Parce que je me rappelle jamais des noms - que fais-tu là ? Je crois bien que tu n'es pas d'ici non plus. » Et cette Evie avait surtout l'expression de quelqu'un qui avait besoin de parler. Ou de boire encore un peu. Elle fit signe à un des serveurs, V pour Vodka. Owen enleva son blouson, avant de le lui tendre. Elle aurait peut-être froid, à se balader ainsi trempée.

Le succès matériel. Il est vrai qu’elle pouvait semblait l’avoir. C’est juste parce qu’elle avait été élevé par une mère chirurgienne qui gagnait beaucoup par mois et qui a laissé à sa fille un bel héritage avant de mourir. Mais Évie toute seule elle est rien, absolument rien. Elle a abandonné ses études de médecine. Elle a plus rien maintenant. Elle ria de bon cœur en voyant Owen danser. D’accord, c’était effectivement pas très réussi. Mais ça sera peut-être une nouvelle mode dans quelques temps ? « Ok je capitule, tu fais mieux de rester assise effectivement. » lui dit-elle en un sourire. Peut-être qu’elle n’avait pas beaucoup confiance en elle mais elle était toujours assez sociable, prête à rire et sourire avec les gens qui s’intéressaient à elle. « C’est bien Évie. Et non, je ne suis pas d’ici. Je viens de France, je suis venue parce que je sais pas .. J’avais envie de changer d’air. Nan, c’était plus qu’une envie en fait : un besoin. Y’avait plus rien qui me rattachait à ce pays. » Quand votre mère meurt, que votre petit ami et vos amis se foutent de vous, quand personne ne tient vraiment à vous, à qui se rattacher ?