elle te déchire, la douleur. ta douce douleur. elle t'arrache les muscles, elle t'arrache le coeur. elle te lacère de part et d'autre de ton corps meurtri. invivable, c'est invivable. jamais tu n'aurais cru avoir à vivre quelque chose de la sorte. et pourtant, te voilà, vulnérable. dans ton fauteuil roulant, tu peines à avancer. tu ne veux pas avancer. ton corps t'ordonne de franchir les portes de l'hôpital, mais ta tête, ô, ta tête, elle t'interdit de faire quoi que ce soit. elle t'interdit d'entrer dans cet hospice et de signer ton arrêt de mort en devenant dépendante de médicaments qui foutront ta vie en l'air. mais qu'est-ce que tu racontes, fauve ? tu as déjà foutu ta vie en l'air. tu l'as fait toi-même. et pourtant, impossible. tremblante, t'es tout simplement incapable de bouger. autant crever devant les portes de l'hôpital.

une petite consultation de routine, j'ai un œil qui a une tâche de sang, tâchant le blanc de tes yeux. alors je veux juste savoir ce qu'il en est. du coup, j'ai pris un bus pour arriver là, et à peine arrivée, après avoir gravi quelques marches, je regarde vers le sol. « wow, est-ce que ça va ? » je me baisse un petit peu, tout en gardant mes distances, parce que j'ai pas envie de me faire agresser par une folle. je sais pas ce qui lui arrive, mais j'ose pas non plus faire plus pour l'instant. et puis ils font quoi, tous les infirmiers entrain de fumer leur clope ? je rêve. en Suisse, ça se serait jamais passé comme ça, c'est pas possible.

il y avait des jours comme ça, où tu n'arrivais plus à être forte. où tu flanchais. ce n'était pas tellement fréquent, mais lorsque ça arrivait, ce n'était franchement pas drôle. « ou..ouais, ça va. » tu mens par fierté, parce que tu détestes te montrer faible. « j'pensais juste aux moments où les mecs me mataient quand j'avais une mini-jupe plutôt que de leur manière de me dévisager maintenant. » et tu lâches un petit rire qui sonne drôlement faux pour ce qui est censé être un rire. tu passes une de tes mains tremblante sur ton front, soufflant un grand coup afin de te donner du courage. tes jambes te font un mal de chien.

j'la regarde, et elle a vraiment pas l'air bien. malheureusement, j'peux rien faire contre ses mensonges. « j'pensais juste aux moments où les mecs me mataient quand j'avais une mini-jupe plutôt que de leur manière de me dévisager maintenant. » j'hausse un sourcil, pas franchement convaincue. « et ça t'fait trembler à ce point ? » non parce que j'sais pas, quand j'tremble c'est parce que j'ai peur, parce que j'ai froid ou parce que je suis tout simplement malade. bon... j'fais quoi moi ? « tu veux bien que je t'aide, maintenant ? » que je balance, en lui offrant une main assurée. j'vais l'aider à arriver au moins aux portes, parce que ça doit pas être facile avec des tremblements pareils de diriger un truc à roulettes comme ça, digne d'une personne atteinte d'un Parkinson. « tu dois aller où ? les urgences, un service en particulier ? » que j'lui propose au moins de l'aider du début à la fin, c'est pas comme si mon oeil allait lâcher, j'ai le temps de l'aider. enfin j'espère.

« j'en tremble de désespoir. » tu réponds naturellement, bien que ce soit faux. tu te fichais pas mal que les mecs te regardent plus, ou moins. c'était tous des connards de toute façon. ils ne méritaient pas tant d'attention, ni tant d'énergie. tu n'en avais plus, toi, de l'énergie. « j'veux pas rentrer. » tu finis par dire, en secouant doucement la tête de droite à gauche pour montrer ton refus. non, c'était décidé. tu savais déjà ce qu'ils allaient te dire, et toi, tu voulais pas. tu voulais pas l'entendre, encore une fois. c'était trop. et pourtant, t'es incapable de bouger. t'es incapable de faire quoi que ce soit. « te dérange pas pour moi.. ça va aller. » tu rajoutes, peu convaincue par tes propres paroles. mais tu allais te montrer forte, comme d'habitude. il le fallait.

j'hausse de nouveau un sourcil. « hm, pas très convainquant. essaye encore. » j'aime pas quand on me ment, c'est juste pas possible. j'aimerai bien savoir ce qu'elle a, en vrai. que j'puisse l'aider, tant que je suis dans mon instant de générosité intense. « j'veux pas rentrer. » qu'elle me sort finalement. « si tu veux pas y aller, alors pourquoi t'es là ? », je demande. c'est pas une réponse personnelle ou quoi, que je demande. j'veux pas savoir c'que c'est, son handicap, ça me regarde pas. mais j'veux savoir pourquoi elle est là, si elle veut pas y entrer dans cet hôpital. ça sert à quoi de le regarder ? « tu vois, c'est comme à Lourdes. si tu rentres pas dans la grotte, le miracle ne risque pas d'arriver. » quoi qu'il arrive pas forcément une fois que t'es dedans non plus, m'enfin. ça c'est que ton point de vue. « te dérange pas pour moi.. ça va aller. » j'la regarde dans les yeux. « tu me déranges pas. allez go. » j'fais tourner les roues de son fauteuil et j'l'emmène vers la rampe d'accès pour les handicapés. j'suis sûre qu'elle va gueuler, mais j'ai assez argumenté.

et elle tente encore, comme si c'était pas suffisant. moment de faiblesse, mon cul. là, elle est dans son moment de faiblesse, plus qu'intense, mais ça pouvait pas être le cas avant. « mauvaise réponse. » j'parle de Lourdes, j'sais pas trop pourquoi. c'est le seul truc que j'connais par rapport aux miracles. « et d'où une handicapée est sortie guérie par miracle d'une grotte de Lourdes, hein ? » j'souris, j'me marre légèrement et puis j'lui fais : « ah ça, on y croit ou on y croit pas. moi j'peux rien faire pour toi si tu crois en rien. » j'ai assez discuté, j'en ai marre, elle va me laisser l'aider maintenant. « NON ! PUTAIN, NON ! LÂCHE-MOI, LÂCHE ÇA, JE RENTRERAI PAS LA-DEDANS ! » et puis j'garde mon calme, j'l'arrête deux secondes. sans lâcher le fauteuil pour autant, pour pas qu'elle s'échappe. « t'as peur de quoi ? en vrai. » parce que j'comprends pas cette phobie de l'hôpital là, sincèrement. j'comprends pas pourquoi elle est venue jusqu'ici et maintenant, ne veut plus avancer. c'pas comme si elle avait jamais été dans un hôpital...