Je suis debout sur le sable, il y a du vent. Je suis seule. Je ne pense à rien. Une silhouette dans le flou du brouillard.

Tu t'avances avec ton fidèle compagnon. Le brouillard t'enveloppe comme un écrin protégeant un diamant. Tu souris. Tu n'es pas seule. Bonjour l'ami. Tu t'approche. Ce sera amie alors. Tu tiens ton chien au cas où. Tu ne dis rien. Tu laisses faire.

Il y a quelque chose dans le brouillard, une masse pas vraiment nette qui s'avance. Je la regarde s'approcher. Je pensais pourtant être seule sur cette plage, seule dans ce monde vide. Même moi je suis vide. Je n'ai plus rien, mais je m'en fiche, je m'y suis faite. La vie blesse les corps et n'épargne personne. Il fallait que ça m'arrive un jour, c'était dans l'ordre des choses.
C'est une femme. Et il y a un chien. Je la regarde, je ne dis rien. Mon visage est vide de toute expression. Tout est vide chez moi, oui.

Le chien s'en va et le vent souffle encore plus fort. Je resserre les pans de ma veste contre moi. J'ai froid. J'ai froid depuis un mois maintenant. De toute façon, lorsque le cœur est froid, tout est froid. La peau glacée comme du marbre. Sauf que oui, moi je suis loin d'avoir l'air d'une statue, je n'ai pas leurs traits gracieux. Et surtout, je suis éphémère. Le vent emportera mes cendres plus tôt que l'on ne le croit. La fille parle, je tourne la tête vers elle. Non, je n'en ai pas. Je ne fume pas, mais là, tout de suite, une petite cigarette me ferait peut-être du bien. Je n'en sais rien en fait. Ça fait du bien ça, de fumer ?

Elle me regarde longuement. Je me demande à quoi elle pense. Moi je regarde ses cheveux qui volent dans le vent : c'est joli, très très joli. Oui, parce qu'il y a le vide de la mer, le vide du sable, l'horizon et ses cheveux. On dirait presque un tableau. Si je savais peindre, je peindrais ce souvenir parce que c'est une image et une émotion très belles. J'ai l'impression qu'on est seules au monde, avec le chien aussi. Ca faisait trois mois ? Je ne comprends pas. Elle dit que je suis téméraire. Moi ? Non, pas vraiment. D'habitude non, je ne suis pas comme ça. C'est juste qu'il y a du vent, et il me pousse à te parler.

Elle me répond et je comprends qu'elle vient d'ailleurs. C'est étrange car j'ai l'impression que tous les gens de Banff viennent d'ailleurs, comme si la ville était le repaire de tous ceux qui se sont perdus. Elle fume et puis jette sa cigarette presque violemment au sol : ça n'a pas l'air de procurer tant de bien. Elle sous-entend, d'après ce que je comprends que j'ai bien fait de lui parler. Je souris légèrement, sans trop savoir pourquoi. Elle rappelle son chien, que je vois revenir, une masse dans le flou, au loin, qui se rapproche doucement. Oui, je suis arrivée il y a trois jours. Et toi, j'ai compris que tu n'étais pas d'ici non plus...? Et puis sa phrase résonne dans ma tête, et quelque chose me dérange : elle m'a vouvoyée. C'est bizarre, moi je l'ai vouvoyée, alors que d'habitude j'ai une sorte de réserve, et vouvoie tout le monde. Mais le fait est que là, l'atmosphère de la plage dans la brume, comme si on était seules, je me suis tout de suite sentie proche d'elle. Alors voilà. Si tu veux, on peut se tutoyer ?