mon corps oppressé par quelque chose d'invisible, j'ai l'impression de m'éveiller d'un songe éveillé. comment est-ce possible? je ne vois rien. c'est peut-être parce que j'ai les yeux clos. je les ouvre, difficilement, mais j'y arrive. autour de moi, que de l'eau. je suis entourée d'eau. qu'est-ce que je fous là, bordel? quelqu'un arrive. ou quelqu'un est là avec moi. qui? je ne sais pas. tout ce que je sais, c'est que j'ai froid.

quelqu'un s'approche. l'eau bouge, me submerge presque. je vais crever dans l'eau, si ça continue. une tête blonde apparaît. c'est qui? je la connais pas. tout comme je ne sais pas la raison de ma présence ici. parfois, j'me dis que j'débloque. que j'suis folle. on devrait m'enfermer, pour mon bien. elle crie. je plisse les yeux. ça me donne mal au crâne. salut. bah ouais, j'sais pas quoi lui dire, moi. j'veux pas passer pour une conne. euh... j'sais pas vraiment. je suppose que j'suis venue ici pour me baigner... loupé. je passe pour une débile. pitié, achevez-moi.

c'est vrai, faudrait peut-être que je sorte. mais j'ai l'impression de ne pas savoir comment faire. comme si mes jambes ne répondaient plus, tout comme mes bras. comme si mon cerveau avait rendu les armes. je sais pas trop... je sens plus vraiment mes jambes, en fait. voilà, c'est dit. j'en ai assez d'être au milieu de l'eau, alors je me tourne lentement vers elle pour la regarder. la pauvre, j'suis vraiment conne. je l'ai faite venir dans l'eau. enfin, je l'ai pas obligée mais elle est venue, pensant que j'allais me noyer. enfin, c'est peut-être vrai. peut-être que si elle était pas là, mes poumons seraient en train de se remplir de cette eau glacée qui nous tient. tu peux m'aider s'il-te-plaît? je lui souris puis je lui tend la main. j'ai l'impression d'avoir pris racine.

oui, j'ai l'air d'une conne. oui, je fais pitié. oui, j'ai honte de moi. non, je ne tiens pas à expliquer la raison de ma présence au milieu de ce foutu lac. parce que je ne la sais même pas moi même. si elle pouvait me le dire, tiens, ça m'arrangerait grandement. je prends sa main lorsqu'elle me la tend puis j'essaye de la suivre. mes jambes ne fonctionnent plus, mais je sais qu'elles ne vont pas tarder à reprendre le contrôle. j'ai l'habitude. je galère à rejoindre la berge mais lorsque j'y arrive, je suis soulagée. ouf. je lance un sourire à ma sauveteuse. franchement, merci. si t'avais pas été là, je sais pas ce que j'aurai fait. je serais morte, peut-être? dans tous les cas, j'peux pas rester comme ça, maintenant, je me sens redevable. merci beaucoup. qu'est-ce que je peux faire pour te remercier? on est trempées, peut-être que la première chose que je pourrai faire serait d'aller chercher des serviettes dans ma tente. oui, c'est une bonne idée.

le frottement de l'air sur ma peau me fait frisonner de plus belle. je croise les bras pour tenter de retenir la chaleur de mon corps, sans succès. mes habits dégoulinants d'eau ne m'aident pas et capturent plus la fraîcheur de la brise que la chaleur de mon corps. et vu comme la jolie blonde se tient, ce doit être la même chose pour elle. ces paroles ne font que plus me motiver pour parcourir les quelques centaines de mètres qui nous séparent du camp de tentes. viens avec moi, je vais t'en donner une ! puis je me mets en route, direction mon logement de fortune. j'ai même peut-être quelques habits de rechange si elle souhaite aussi troquer ses habits mouillés contre des vêtements secs. je lui dois bien ça. t'habites où? je me demande aussi ce qu'elle faisait là, au bord du lac. elle devait sûrement observer le paysage quand elle a vu une pauvre fille plantée au milieu de l'eau en mode "jevaismesuicider". j'ai encore plus pitié de moi. au loin, j'aperçois le camp.

nous avançons peu à peu jusqu'au campement. plus que quelques secondes, et je sais que des centaines de tentes se profileront sous nos yeux. cet endroit là, c'est la paradis pour moi. c'est paisible, calme. c'est le meilleur endroit pour les âmes perdues en quête de réflexion. c'est peut-être ce que je suis. peut-être.
les tentes sont là. je cherche la mienne des yeux tout en l'écoutant. on est un peu tous dans le même cas, alors, je la comprend. c'est sûr... avoir un van, ça doit être top ! jusqu'ici, j'y avais jamais vraiment pensé. mais ce serait la meilleure solution. mais il faudrait économiser pendant des années pour avoir la chance d'en avoir un, autrement dit... presque impossible pour les rêveurs dans notre genre. je me dirige jusqu'à ma tente, je l'ouvre puis j'entre à l'intérieur, l'invitant à en faire de même. tu peux entrer, elle est faite pour plusieurs. je confirme. je cherche vaguement deux serviettes dans mon sac puis je lui en tend une. tiens, j'ai même des vêtements de rechange si tu veux pas tomber malade ! il manquerait plus que ça, qu'elle tombe malade après m'avoir sauvée la vie. je m'en voudrai encore plus.

je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse d'avoir une serviette enroulée autour de moi. elle me paraît chaude. du moins, plus chaude que ma peau, et ce n'est pas difficile. les gouttes d'eau trouvent refuge dans le coton et j'ai déjà beaucoup moins froid. elle aussi semble aller mieux et ça me soulage de penser qu'elle ne tombera peut-être pas malade. je retourne dans mon sac pour y prendre un pantalon puis je le pose près d'elle. j'espère qu'il t'ira, je sais pas si on fait la même taille. mais à vue de nez, seulement quelques kilos nous séparent alors ça ne devrait pas trop poser de problème. elle semble intéressée par l'endroit, ça me fait sourire. oui, franchement on a pas à se plaindre. y'a tout à proximité, et puis y'a des douches communes pas très loin... si on choisit bien son heure, y'a moyen de choper une bonne place. ce genre d'endroit peut sembler un peu repoussant mais en réalité, on est tous dans le même cas alors on s'entraide. c'est toujours mieux que d'être seule. ce serait bien, qu'elle vienne habiter ici. je pourrai l'aider, moi.

je garde la serviette autour de moi. maintenant que la chaleur a retrouvé mon corps, je ne vais plus la laisser partir de sitôt. oui, ce serait bien que tu restes ! et puis je suis sûre que si après, tu te décides à rester ici, tu trouveras une place pas loin. je lui souris. je ne veux pas la forcer, après tout, si on est ici, c'est pas pour s'établir définitivement quelque part, et si elle ne voulait pas, je la comprendrai. tu as un joli prénom ! moi, je m'appelle diane. ça fait longtemps que t'es ici? Pom, c'est original. et puis, ça lui va comme un gant.

je souris. c'est bien la première fois qu'on me dit que mon prénom me va bien. à vrai dire, je trouve mon prénom assez vieux et ça me fait penser à la mythologie romaine. mes parents ont toujours eu des goûts pour le moins... étranges. merci. moi je suis là depuis seulement quelques jours, je connais pas beaucoup de choses pour l'instant... d'où l'initiative d'aller simuler une noyade dans un lac, oui oui. quoi de plus logique? puis elle me demande du thé. oh non, ça ne me dérange pas. ça me fait plaisir, même. j'aime me rendre utile, et puis elle a le droit a un service spécial parce qu'elle m'a quand même sauvée alors... je me dois d'accepter. bien sûr ! t'as une préférence pour le goût? j'en ai pleins. puis je pose la boîte contenant tous les sachets de thé devant elle, les goûts allant du plus simple au plus compliqué. puis je sors ma prise. ici, il n'y a pas d'électricité dans les tentes à moins d'aller la chercher plus loin à la borne. alors, quand je suis partie, j'ai eu la bonne idée d'emmener avec moi un cadeau que mes parents m'avaient fait. une multiprise munie d'un capteur solaire qui garde l'électricité et permet de la faire fonctionner quand on en a envie. original hein ? après avoir mis de l'eau dans la bouilloire, je la branche puis sors deux tasses que je dispose sur le sol.

elle tire un sachet caramel de la boîte. je souris. c'est trop bon le caramel. tu as de bons goûts, pom ! à mon tour de choisir ma saveur. je les ai toutes essayées... et mon cœur penche dangereusement vers "fruits rouges". alors je finis par céder. je sors le petit sachet odorant, triomphante puis j'entends le clac de la bouilloire. c'est l'heure. je sais pas vraiment, en fait. c'est un cadeau. je crois qu'ils l'ont achetée dans un salon spécial où y'avait pleins de trucs de ce genre ! je pourrais lui filer l'adresse, si je la retrouve. et si elle a envie de faire des milliers de kilomètres pour s'acheter une multiprise solaire... enfin, ça en vaut le coup. je pourrais même aller avec elle. je prends la bouilloire puis je verse doucement l'eau dans sa tasse. maladroite comme je suis, je serais bien capable d'en mettre partout et de la brûler par la même occasion... alors je m'applique. une fois fait, je fais de même avec ma tasse. j'ouvre une autre boîte, puis j'en sors deux cuillères. j'ai même des trucs à manger si tu veux ! oui, la nourriture est ma deuxième passion après les clopes. je risque fort de finir atteinte d'obésité et d'un cancer du poumon. mais j'm'en fous, si je suis heureuse comme ça. tu viens d'où? après tout, il ne me semble pas lui avoir demandé. et c'est très important. en attendant sa réponse, je laisse tomber mon sachet de thé dans ma tasse puis je l'observe couler... jusqu'à toucher le fond.

l'eau de mon thé se colore progressivement d'une teinte rosée. j'ai toujours trouvé ce spectacle joli. non, ils savaient pas... mais on peut dire  qu'ils ont toujours su me faire des cadeaux utiles. c'est tout ce qu'ils ont réussi d'ailleurs, mais bon. même si parfois ça ne me plaisait pas, leurs cadeaux ont toujours eu le mérite de m'être utiles. sa réflexion me fait rire. elle a peut-être raison, en tout cas, tout ce que je sais c'est que je n'ai pas tout amener ici. je prends la cuillère puis je la plonge dans ma tasse afin de faire tourner le liquide brûlant. ah d'accord! je suis allée en Irlande une fois. c'était tout vert. les paysages sont vraiment beaux... dans ma tête, les irlandaises sont toujours rousses. mais c'est un préjugé, comme quand on dit que les allemandes sont toutes blondes avec des gros seins. moi je viens de Los Angeles... c'est pas le même coin ! je sais pas ce qui est préférable, même si je ne suis pas toujours restée dans cette ville. c'est bien de voyager. j'aimerai bien être comme elle et venir d'ailleurs. d'un pays lointain. au moins, le dépaysement est total.

la fraîcheur de l'eau sur ma peau a presque disparue et je me sens mieux. je finis par retirer la cuillère de ma tasse ainsi que le sachet puis j'approche le thé de mes lèvres pour pouvoir en tester la température. c'est chaud. peut-être trop. ça devait être mignon! j'aurai bien aimé voir ça. ça me fait sourire. mes parents ne savaient même pas comment prendre une aiguille à tricoter, au moins, il n'y avait aucun danger pour qu'ils m'offre ce genre de chose. elle me parle de l'absence de chaleur dans son pays natal, ça me fait frissonner. moi, je n'ai jamais eu ce problème. à los angeles, les hivers sont doux et humides et les étés chauds et secs. c'est aussi un petit coin de paradis... mais un paradis différent du sien. je lâche un petit rire. c'est carrément hype, même si je n'ai jamais su ce que ce mot signifiait. ça a pas vraiment de signification, mais on se comprend. j'aime bien cette ville, elle est magique. faut y aller au moins une fois dans une vie! mais faut pas y rester trop longtemps. c'est toxique.

je rigole en m'imaginant la scène. ça devait être drôle, tout de même. je compatis, on a tous eu des moments gênants étant petits. des hontes éphémères, mais au bout du compte, ce sont toujours de bons souvenirs. je trempe mes lèvres dans le liquide brûlant avant d'en boire une gorgée. c'est bon et ça réchauffe. c'est un moment parfait. un de ces moments qui réchauffent le cœur quand tout s'effondre. le bonheur est parfois dans les choses simples. je l'écoute patiemment. elle a peut-être raison. c'est comme pour tout. les goûts et les couleurs ne se discutent pas. pourtant, je trouve que dans cette ville opulente, on ne sent pas que la richesse. il y a une ambiance magique qui enveloppe chaque habitations. et je crois que l'un des meilleurs moments de ma vie a été lorsque je suis montée à vélo à la tombée de la nuit en haut de cette falaise, celle qui surplombe los angeles. le spectacle de ces milliers de lumières sous nos yeux était juste à couper le souffle. peut-être que si elle le voyait, elle changerait d'avis. oui... après, ça dépend sûrement des caractères. c'est sûr qu'après los angeles, banff me paraît d'un calme presque olympien. c'est pas plus mal, parfois. oui, le changement a été radical. mais ça m'a fait du bien et c'est pour ça que je suis toujours là.