en arrivant ici, j'ai dû faire un choix. un choix difficile, long, éprouvant ; le choix de mon logement. si, si, c'est très difficile. mais pas tant que ça. j'ai pas de caravanes. dormir en pleine nature dans une tente, très peu pour moi. trop pauvre pour un hôtel. j'aime trop la compagnie pour avoir un appartement. bon. auberge de jeunesse, alors. alors je me suis installé, comme chez mémé, et la grande chambre est encore presque vide de monde. c'est pas les lits qui manquent, pourtant. ça, non. j'ouvre la porte de la chambre à la volée pour descendre déjeuner. manger, manger, je dois manger. je serais presque en hypoglycémie, ça fait quelque chose comme trois heures que je n'ai pas mangé, c'est énorme. vraiment. mais en chemin, je percute un quelqu'un, le choc est violent, je tombe presque en arrière. si, si, je suis fragile moi, l'estomac vide. « oooooh, pardon, je t'ai pas fait mal dit, hein ? j'ai pas cassé tes affaires, je t'ai pas cassé ? tout va bien ? »

l'appel du ventre me fait presque marcher les yeux fermés, si bien que je le percute, lui et ses cheveux bruns. je manque de tomber en arrière. j'en perds pas ma bonne humeur pour autant, quand même. à l'écouter, je ne l'ai pas cassé, c'est tant mieux. casser un si joli jouet, ça serait dommage. il a un visage gêné. moi, je souris. je souris tout le temps. ou presque. en fait, je souris beaucoup depuis que je respire l'air de banff. ça agit vraiment, c'était pas juste une rumeur. j'ris avec lui, ouais, c'était très violent, un peu plus et il me cassait le sternum, et je mourrais. oh, merde, j'ai failli mourir le ventre vide, c'est horrible. « assez violent, ouais, faut dire, je regardais pas vraiment non plus, j'avais trop faim pour regarder en face de moi, tu sais, le ventre qui gronde, j'suis un ventre sur pattes, qu'il paraît. t'as faim, tu veux manger ? » c'est ce qu'on dit de moi, c'est vrai. on dit aussi que je parle trop, mais ça, j'suis pas sûr qu'ils aient raison.

J'avais besoin d'un endroit pour dormir. Un endroit où laisser traîner mes trucs. Un endroit où je pourrais rencontrer des gens bien – Pas que les touristes que j'avais vu depuis mon arrivée n'étaient pas amicaux, seulement, j'avais besoin de relations plus profondes que des « un peu plus à gauche – le bouton de capture est là  - la photo est jolie? ». L'auberge avait été une évidence; c'était ce qui ressemblait le plus à la maison.

C'est donc comme cela que je me retrouve, dans cette cabane, le sac sur les épaules, les pieds endoloris, à chercher les dortoirs. Un lit. Un sommeil profond. La libération promise. Je suis les indications de la tenancière, à gauche, à droite, en haut, en bas, macarena – et je tombe sur deux garçon qui parlent une langue que je ne comprend plus, à cause de la fatigue. Cela ne m'empêche pas de remarquer a quel point ils sont chou – épuisement de la juliette = hormones dans le tapis – et a quel point un des deux semble gêné. Mon coeur se met à battre à la chamade, la tumblr girl en moi fait surface. « Bonjour, je suis Juliette et je suis une fille. Je voulais juste vous dire que je vous ship grave, mais que je dois vraiment dormir. » Je remarque à quel point j'ai l'air stupide. « Désolée. Lits, quelque part? BYE.» mauvaise première impression. Je soupire. « Je ne suis pas toujours si impolie. » J'ajoute, en guise d'excuse, laissant entendre mon horrible accent : un mélange welsh-québécois horriblement raté.

à l'aise, peut-être trop, je propose au gars d'aller manger avec moi. et ça, ça c'est une grande étape, très grande. j'estime beaucoup la personne quand je propose d'aller partager mes victuailles avec ce quelqu'un. vraiment. la bouffe c'est. c'est tout. c'est la vie. c'est le gras. c'est le goût. et il est perdu. right, right, il vient à peine d'arriver. « aaah ben faut que tu fasses le tour du propriétaire, déjà j'vais te mener à la pièce principale, et en cuisine, le pluuuus important. enfin. en fait, tu comptes t'installer ici ? » non parce que, ça n'sert à rien de lui faire faire le tour de tout s'il s'en fiche. on manque de rentrer dans une petite tête blonde en partant à la recherche de la nourriture -décidément, c'est la journée auto-tamponneuses j'crois-, et elle se met à débiter tout un tas de trucs j'suis pas sûr de tout comprendre. genre, j'comprends pas pourquoi elle nous ship. mais, j'ai capté un truc, déjà. son acceeeeent. comme le mieeeen. « oh, une québécoooooise. je crois ? » je crois, oui, je crois. lui, à côté de moi, n'peut pas l'aider, c'est vrai, j'oublie. « alors t'as une chambre là avec des lits libres » je dis en montrant la porte de la chambre que je squatte, par laquelle je viens de sortir. « et d'autres au fond du couloir là-bas, sans doute libres aussi » je jette un œil au gars. il a repéré les chambres lui aussi, c'est bon, on va manger maintenant ? j'ai faim.

« Traites moi de grenouille une fois et je te fais une cravate avec ta langue. » Je dis, d'un ton des plus amicaux, en français, tout en étant des plus sérieuses. Je pouvais me montrer juste un peu violente, parfois. « Merci » Je fini, alors que ce bon samaritain me montrait la direction des chambres. Un signe de la main en guise d'au revoir et j'y étais. Enfin. Je fis les quelques pas qui manquait, et quittai mon nouveau ship pour un lit choisi au hasard, dont je ne vérifiai même pas l'occupation, dans la première chambre.

Le matelas était confortable, c'était le plus beau moment de ma vie.

on est partis, go, je vais servir de guide alors, puisque c'est comme ça. moi, ça me va. j'ai la mémoire photographique, alors je me souviens de tout dans l'auberge, puisque, curieux, j'ai déjà fait le tour partout. « oh, deux semaines seulement ? c'est dommage, eh. » ouais, forcément que c'est dommage, deux semaines c'est un peu trop court, tiens. « ooooh, calgary, c'est beauuuu. mais. tu fais quoi à calgary ? t'es pas canadien, pourtant. » ah non, ça non, j'en suis sûr et certain, je mettrais ma main au feu qu'il n'est pas canadien. et puis blondie apparaît et disparaît pas longtemps après, après m'avoir fait rire à sa réflexion sur les grenouilles. elle a choisi la chambre dans laquelle je crèche, tiens, on va bien rire. enfin, je repars en avant, bien décidé à aller manger. (j'ai vraiment, vraiment faim, l'hypoglycémie me guette presque.) sauf que, ha, il veut savoir mon nom. oh noooon, pourquoi il gâche tout ? « eh beeeen.. » je marque une pause, et un frisé arrive. je souris. ha, sauvé par le gong, dites. « hiiiiii » grand sourire. y a pleiiin de monde, c'est bien, c'est bien pour mon moral, ça. « on allait manger, tu viens manger ? » allez, allez, viens manger.

j'en apprends un peu plus sur mon compagnon du jour. l'inconnu. le parisien. tiens, il s'appellera le parisien maintenant, tant que je ne connaîtrais pas son prénom. « oh, d'accord. et dis, c'est si beau qu'on le dit, paris ? tout le monde en rêve, moi, ça n'me donne même pas envie, en vérité. » peut-être que je me trompe, peut-être que je devrais avoir envie de visiter paris. il n'y aura personne de mieux placé qu'un parisien pour me le dire, j'imagine. puis, le frisé arrive, des salutations, et on part manger. la grande vadrouille. je mène la marche jusqu'à la pièce principale. tables et bancs, canapés, et tout ce qui va avec. « voilà, la pièce à vivre, en gros où.. on vit, quand on n'est pas un ermite qui passe son temps dans sa chambre, quoi. » en gros, la pièce où je passe le plus clair de mon temps. la pièce où tous les résidents de l'auberge traînent, ou presque. je continue à traîner mes pieds joyeusement jusqu'à la porte en face. « eeeeet la cuisiiiiiiiine, bon appétit ! » je lance, le sourire aux lèvres, en ouvrant le frigo. ha. j'ai faim, j'sais même pas si je préférerais du sucré ou du salé. sacrilège.

le français me donne son avis sur paris, et j'hausse les épaules. je n'ai toujours pas envie d'y mettre les pieds, tiens. en tout cas, on finit par atteindre la cuisine tous les trois, et ça, c'est important. le-dit parisien se pose sur une table sans bouger, j'hausse un sourcil en le voyant, alors que l'autre farfouille, comme moi. je finis par sortir du frigo, triomphant, de quoi me faire un bon sandwich, et une brique de jus de fruit. je pose le tout sur la table où ils sont installés et regarde le parisien, qui a l'air de faire la tronche. « tu manges pas ? » puis, sans même aller à attendre sa réponse, je m’attelle à mon sandwich et croque vivement dedans. ahhhh, ça fait un bien fou par où ça passe. puis le frisé casse l'ambiance avec sa question. ils ont quoi, tous, à vouloir savoir mon prénom, là ? maintenant, je n'ai plus d'autre choix que d'y répondre. crotte. je prends une grosse bouchée histoire de tenter d'étouffer ma réponse. peut-être que comme ça, ils ne comprendront pas. « fleur » que je lance, la bouche pleine et en chuchotant. « et vous ? »

et voilà. voilà j'aurais mieux fait de fermer ma gueule, tiens. non, non, c'est pas mon vrai nom. connard. du coup moi, pas susceptible, sauf quand ça touche à mon prénom, j'me renfrogne. ben tiens, un sid et un asher. c'est bien banal ça, ils savent pas c'que c'est d'avoir un prénom comme le mien alors c'est facile de rire, hein. et puis il en rajoute une couche, là, sid, et asher forcément s'met à m'fixer. « est-ce que j'ai l'air de m'foutre de vos gueules ? » je lance, sec. sec, j'ai pas l'habitude de l'être. mais là. j'le porte moins dans mon cœur d'un coup, sid. « c'est bon, j'ai un prénom de merde, j'sais, allez-y foutez-vous bien de moi qu'on n'en parle plus après » ouais parce que sinon j'vais m'en aller tirer la tronche ailleurs, moi.

allez-y, allez-y, foutez-vous bien de ma gueule, c'est ça. sid me lance une claque dans le dos et m'dit de pas faire la gueule. ouais ouais. je lève les yeux au ciel. il est mignon tiens lui avec son prénom dont on peut pas s'foutre. et puis asher qui m'appelle pâquerette, allez, c'est plutôt bien trouvé je reconnais. j'souris un peu. quand même. c'est que, c'est pas asher qui a été le plus vexant des deux non plus. j'croque à nouveau dans mon sandwich et sid se penche sur moi pour me lancer son anecdote et asher rajoute que c'est utile. ouais ouais si on veut. je lance un coup d'œil bref à asher et retourne mon regard dans celui de sid. « ah ça, j'ai du succès et on se souvient de moi, c'est sûr, mais pas grâce à mon prénom de merde » j'laisse échapper un sourire entendu. ouais, pas mon prénom, s'ils voient ce que je veux dire, et c'est sans aucun doute qu'ils voient, ouais. ahah. j'pose mon sandwich sur la table et me lève pour aller prendre trois verres dans le placard en même temps qu'asher pose sa question. « besoin d'argent, et vous ? » j'hausse les épaules. enfin, ma question concerne plutôt asher, sid, j'sais déjà en fait, étudiant en vacances.