j'aime pas faire les courses, mais faut bien que je bouffe, au bout d'un moment. j'peux pas me laisser crever d'inanition, tout ça parce que j'ai pas envie de prendre un gramme. ça suffit les conneries, quand même. alors ouais, appuyée sur mon caddie, louboutins aux pieds (oui, j'les quitte pas, même pour aller faire les courses), j'me lance à l'assaut des rayons. et puis quand j'vois quelqu'un qui est entrain de craquer pour un paquet de gâteaux au chocolat, j'peux pas m'empêcher de lancer : « tu devrais pas, t'as un assez gros cul comme ça. », ça c'est fait. et puis j'hésite pas à continuer. « tut tuuuuuut, faites place ! » ouais, qu'il (elle) pour son gros cul de là, ça va là, y'a des gens qui ont des courses intéressantes à faire.

la plainte sourde s'élève de son ventre depuis des heures maintenant. il défile à travers les rayons empilant dans ses bras diverse nourriture grasse, sucrée et caloriques. près des caisses, il repère une boîte de moelleux au chocolat vendu en sachets individuels. exactement ce qui lui convient pour la randonnée. il tend la main pour les rajouter à son butin, quand une fille l'interpelle. remarque déplacée. excuse-moi, tu devrais tenter alors, parce que question courbes, il t'en manque pas mal. avec son corps osseux et allongé, elle semble pouvoir se briser par un léger coup de vent. il songe même à la pousser lui-même, juste pour voir le nombre d'os fracturés.

oh bah tiens, il me répond machin. oui, machin, j'sais pas son prénom alors j'préfère l'appeler machin. y'en a qui appellent tout le monde bob, d'autres pas. j'fais partie de ces autres. et ça m'fait marrer, ce qu'il essaie de me lancer à la gueule. « paraît que j'ai les mensurations et le visage parfaits pour faire du mannequinat, alors la ramène pas. » j'ai les formes qu'il faut, point. certains n'aiment pas, mais c'est pas le cas de tous les mecs sur cette terre. la plupart préfère quand même les nanas comme moi aux gros boudins. faut dire que j'suis dans cette norme qui est celle des pub et de la télévision. « en attendant, j'veux pas voir le ballon que t'auras à la place du ventre d'ici moins de deux ans. » quoi qu'en fait, j'voudrai bien voir, juste pour rigoler cinq minutes. « au moins, j'ai le mérite d'être naturelle. », c'est pas le cas de toutes les filles. y'a la moitié de la population qui semble avoir fait refaire ses seins. ptêtre pas ici, mais à Los Angeles ouais. il devrait venir voir, comment c'est affreux.

il en rirait presque. le mannequinat ne définit pas la beauté, mais une conception commerciale de ladite "beauté" selon des critères esthétiques, améliorés par des logiciels photos, du maquillage et des vêtements haute-couture. elle vit dans l'illusion que son métier à un sens, mais elle n'est que cintre, fil de fer destiné à enchaîner les tenues sans pouvoir s'exprimer. car dans ce cas là, on remarquerait que l'accessoire de chair est humain, or un bout de viandes destinés à mieux vendre les canettes de bières ne devrait pas avoir de sentiments. il a presque pitié pour elle. mais au vue de son attitude, il ne ressent qu'un profond jem'enfoutisme pour sa personne superficielle. c'est bien dommage, mais de toute manière la médecine n'a pas encore amorcé les transplantations de cerveaux.

une transplantation du cerveau, il m'fait rire lui. « bah étant donné que j'en ai pas besoin, j'm'en fous un peu. », que je balance. non mais c'est vrai, j'suis intelligente. j'comprends pas pourquoi les gens le comprennent pas, ça. « tu vois, le fait est que j'ai un master en droit. donc bon, ta transplantation de cerveau, j'crois qu'elle est superflue. », voilà, ça aussi c'est fait. j'ai même un droit d'exercer en tant qu'avocate, mais j'peux pas m'en servir puisque mon père m'a envoyée ici. « mais ptêtre qu'elle te servira, à toi, la transplantation de cerveau. à arrêter de juger les qualités intérieures de quelqu'un sans le connaître outre mesure. », un clin d'oeil, et puis j'prends un pot de nutella dans le rayon, l'ouvre et casse le papier pour tremper mon doigt dedans. « et j'ai pas peur du chocolat, moi j'sais perdre ma graisse. », deuxième clin d’œil. et puis j'referme le pot. il va être choqué, mais c'est le but.

il secoue la tête, il expire bruyamment. intelligent n'est pas synonyme d'éduqué. L'apprentissage n' a rien de commun avec l'intelligence. Avoir un quelconque master ne veut pas dire que la personne est maligne, intéressante ou même capable de tenir une conversation philosophique quelque peu lumineuse. lorsqu'elle ouvre la pâte à tartiner et l'a goûte, il a décidé de l'ignorer. sauf qu'elle lui lance une autre pique. qu'il esquive facilement, sans même ouvrir la bouche. il pratique l'escrime depuis ses 8 ans. il a plusieurs fois été champion durant son enfance, puis adolescence. avec son aisance il aurait pu entrer professionnel, si ça lui avait suffit comme carrière. ses longues heures d'entraînements ont modifiés son corps et sa stature. le long de ses bras, de son torse de son dos et même de ses jambes, s'étalent de longs muscles fins, puissants et forts, à la manière de ceux d'un danseur classique. le sport lui a aussi permis d'apprendre l'agilité, la dextérité, la vitesse et l'équilibre, ainsi que pas mal de valeurs importantes qui lui servent encore aujourd'hui. à la remémoration de ses longues séances d'adrénaline pure, un curieux sourire se répand sur son visage d'ébène. il a toujours prit soin de son corps,  n'a jamais été gras, et ne le serait probablement jamais, pas même en bouffant n'importe quoi.