« Tiens, mange ça. » Le chien ne se fait pas prier pour le faire, d'ailleurs. À peine ais-je prononcé ces mots, voilà que celui-ci a déjà le museau recouvert de pâté. Je souris, quelque peu. Je me demande quel est son nom, à ce chien. Son collier ne porte pas de gravure. Je suppose donc que cela veut dire que j'en ai le libre arbitre, non ? Après tout ... C'est moi qui l'ai libéré de son maitre abusif. Il y a quelque chose à savoir, impérativement, sur moi : je déteste la violence sur les animaux. Je pense que cela doit bien être la seule chose que je ne tolère pas ... Et ce n'est pas peu dire ! En venant ici, lorsque j'étais dans ma bagnole, j'ai croisé un con, à l'entrée du village. Un con qui battait son chien. Alors je l'ai un peu bousculé, évidemment. Et puis ... Et puis on s'est battus. Parce que les hommes finissent toujours par se battre, de toutes façons. Je l'ai mis à terre, éventuellement. J'ai réussi à reprendre le dessus, et je ne me suis donc pas gêné pour le lui prendre, son clebs. Ça tombe bien parce que le mien a disparu, la semaine dernière. C'est d'ailleurs pour ça que je suis venu ici. Enfin ... En partie. Ouais, en partie, voilà. Même si je sais que mon chien n'aurait jamais pu s'égarer aussi loin, je suis venu ici pour le retrouver. On va dire ça comme ça. J'avais mis le cabot inconnu dans ma caisse, donc, et je m'étais remis en route. Et à l'entendre haletant et pantelant sur la banquette arrière ... J'ai rapidement compris qu'il avait faim, ce dalmatien. Alors, plutôt que de passer mon chemin, je me suis arrêté dans ce village étrange. Banff. Je me suis garé. J'ai pris le clébard par sa laisse et je me suis demandé où est-ce que je pourrais bien lui trouver à bouffer. Et là ... On m'a indiqué le chemin du supermarché. Alors je l'ai attaché dehors, un peu inquiet, parce que j'avais peur que son propriétaire ne le retrouve et que je ne veux pas qu'il reparte avec lui. Je suis ensuite rentré dans le magasin et j'ai fait aussi rapidement que j'ai pu. Je n'ai même pas pris le change à la caisse ... Et je suis ressorti. Comme ça.

Le chien relève de la tête lorsqu'il a fini sa pâté. Il me regarde, de ses gros yeux globuleux. Je crois qu'il en veut encore. M'accroupissant à ses côtés, je lui souris donc, avant de caresser sa fourrure tâchée de noir avec ma grosse main maladroite. « C'était bon, hein, Rex ? » Il s'appellerait donc Rex. Le regardant de plus près, je souris en me disant que c'est un prénom qui lui irait plutôt bien. Malgré son oreille rognée et son air de chien battu, il a quand même l'allure d'un roi, à mes yeux. Oui, il s'appellera Rex, et ceux qui ne seront pas d'accord auront affaire à moi. Personnellement.

La fille que je vois devant moi est bien couverte. Cela contraste avec moi, qui me contente d'une simple chemise, par ce temps frais. Il faut dire que je n'ai jamais réellement été affecté par le froid. Lorsque l'on vient d'un pays comme le mien, après tout, l'on a pas d'autre choix que de s'habituer à des climats ... Tous sauf cléments. Mais revenons en à la blonde armée de son chien, un instant. Celui-ci semble apprécier Rex, visiblement ... Mais je n'ai pas l'impression que ce sentiment soit réellement réciproque. En effet, mon nouveau chien sort des crocs, peut être un peu trop prématurément, alors que l'autre ne semble pourtant pas être à la recherche d'un conflit. La jeune femme s'excuse alors de son chien trop enthousiaste et, légèrement gêné par l'antipathie du mien, je passe une main dans mes cheveux légèrement bouclés par le temps. « C'est à moi de m'excuser : le mien semble avoir oublié ses bonnes manières. » Déconcentré par les aboiements du mien, de clebs, je ne me gêne pas pour - tenter - de le dominer, ne serait-ce qu'un peu. « Du calme, Rex ... Couché ! » Si mon ton exigeant ne parvient pas à l'interrompre immédiatement, je parviens éventuellement à avoir raison de lui, non sans efforts.

Une fois que celui-ci s'est calmé, marquant la fin de ses aboiements intempestifs par un simple couinement, je me retourne alors vers l'inconnue pour lui tendre ma main libre et lui faire un sourire chaleureux. « Sebastian. Enchanté. »

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La scène entre la blonde et son cabot m'amuse un peu. En la voyant, je me revois moi avec mon chien. Pas Rex. Celui que j'avais avant. Je me revois donc en train de lui parler, de le caresser. De me moquer de lui ... Et je me dis que ces animaux auront toujours le meilleur de moi. Même lorsqu'il n'en restera plus à donner. Ces bestioles m'ont toujours accompagné lorsque j'en avais besoin et ça ... Je ne l'oublierai jamais. Elle me complimente au sujet de mon prénom en me serrant la main et je ris légèrement, me disant que si j'avais duré plus longtemps à Hollywood, j'aurais réellement pu être l'un des candidats au titre "d'acteur fétiche" de la jeune fille. Mais non. Je n'avais eu que des petits rôles, moi. Puis, je m'étais tourné vers les coulisses ... Et c'est là que mon succès a réellement débuté. « Il faut croire que mes parents savaient ce qu'ils faisaient lorsqu'ils l'ont choisi. » Je ne commente pas au sujet de l'acteur, principalement parce que je ne trouve rien d'utile à ajouter. Je ne m'en fiche pas pour autant ... Mais ce serait difficile de le lui expliquer, tout ça. Donc je me tais. Elle se présente alors, dans un rire chaleureux. Un rire qui glisse doucement le long de mes oreilles. Excalie. « C'est un prénom original. D'où vient-il ? » Oui, ma curiosité est mal placée, mais je me dis que cela m'arrive tellement rarement que pour une fois, je peux me le permettre. Je n'avais, après tout, jamais rencontré d'Excalie de ma vie. Comme quoi. Le monde peut parfois regorger de surprises.  Lorsqu'elle me présente son chien, je me dis qu'il serait également temps de lui présenter mon clebs à moi, bien que je ne le connaisse, au final, pas si bien que cela. « Voici Rex, première médaille aux ... Enfin, il a un caractère de merde, quoi. » Je souris alors, gêné. Le comportement de mon chien me dérange un peu parce qu'il va finir par faire croire aux autres que je suis comme lui : un grincheux bougon et grognard qui refuse tout contact social. Ce que je ne suis pas. Pas du tout, même. Elle me demande alors si cela fait longtemps que je suis ici. À « Banff », comme elle le dit si bien. « Non. À vrai dire, je suis de passage. Je cherchais juste de quoi nourrir ce brave garçon. » Je fais alors un geste de la main en direction de la bête calmée à mes pieds avant de reporter mon attention sur la blonde qui doit avoir un torticolis vu comment son cou est étrangement tordu sur le côté, histoire de lui renvoyer sa question. « Et toi ? »

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À nouveau, je lui souris. « Tu sais, ils savent ce que c'est, les e-mails, hein. » Une petite blague, de ma part. Une petite joute inutile et, probablement peu humoristique ... Mais je la dis quand même. Elle s'accroupit alors et, un instant, j'ai envie d'en faire de même ... Comme si mon corps se souvient du mouvement qu'elle vient d'effectuer et souhaite le répéter maintenant que quelqu'un d'autre le fait. Et pourtant, je reste debout. Je me contente de la regarder de haut, au sens littéraire et non figuré, le temps que notre conversation continue naturellement. Elle m'explique l'étymologie de son prénom, et je hoche de la tête pour exprimer ma compréhension de ses mots. « En effet ! » J'hésite un instant avant de lui poser une autre question. « Et toi ? Crois-tu sortir de l'ordinaire ? » Je me demande si elle saura quoi répondre à cela. J'aime bien donner du fil à retordre aux autres, intellectuellement. Cela les rend plus intéressants, à mes yeux. Eux et leur conversation. Lorsque je lui présente le chien nouvellement baptisé Rex, Excalie commence à lui faire la conversation et je souris, à nouveau, face à ce spectacle sympathique au regard. « Fais attention, il mord. » Me rendant compte qu'au final, je n'en sais rien, je me corrige rapidement. « Enfin, parfois. » Mes doigts viennent alors gratter l'arrière de mon crâne ... Mais mon regard ne les quitte pas un seul instant. Lorsqu'Excalie se relève enfin, je me permets de faire un constat. « Il a l'air de t'apprécier. » Après tout, il ne l'a pas mordue. C'est plutôt bon signe ... Non ? Je lui renvoie alors sa question et elle me raconte son parcours. Son passé, son présent ... Les raisons qui l'ont poussées à venir vivre ici, quoi. « C'est sûr que peu de personnes ne viennent pas par ici « par hasard » . » Seuls ceux connaissant assez bien le pays du sirop d'érable doivent déjà avoir entendu d'un village aussi paumé que celui-ci, après tout. Pour ma part, je ne savais même pas qu'il existait avant d'y avoir mis les pieds aujourd'hui. Elle me dit alors qu'elle est en retard. Ou plutôt, elle se parle à elle-même et je me contente simplement d'écouter son discours. « En retard pour quoi ? » Plus par politesse que par curiosité, je lui demande où elle va. Si je suis de bonne humeur, je l'y conduirai peut être. Surtout si c'est loin d'ici, en fait. Cela ne se fait pas, de laisser une demoiselle en détresse. C'est ce que mes parents m'ont toujours appris.

Sa réponse me fait la regarder d'un air curieux, car je me demande alors si elle me donne un défi. Celui d'apprendre à mieux la connaitre. Cela ne me semble pas improbable et je ne suis d'ailleurs pas contre une telle idée. Mais non. Je me rends compte que je ne suis ici que de passage. Je ne sais même pas si je reviendrai, un jour. Je ne sais même pas si je saurai retrouver ce village si isolé et lointain de tout ce que je connais ... Ce serait déraisonnable, vraiment. « Malheureusement, je ne pense pas en avoir le temps. Je ne compte pas rester bien longtemps, ici. Je ne suis que de passage. » La journée, probablement. Et après ... Après, je rentrerai sans doute à la maison. Encore faut-il que je puisse retrouver mon chemin. Elle regarde Rex, et un instant, je suis tenté à l'idée de le lui offrir. Il n'est pas à moi, après tout ... Et peut être aurait-elle davantage de temps pour s'en occuper. Mais non. Cela ne se fait pas. Je ne l'ai même pas emmené voir un véto, encore, et cela pourrait très bien être un cadeau empoisonné. Je l'aime bien, en plus. Je vais le garder. Son constat me fait sourire, parce que j'aimerais bien penser qu'elle a raison et que les chiens soient plus sensibles qu'on ne pourrait le croire ... Mais je ne partage pas entièrement son point de vue. « Tu viens de le dire : certains de ces chiens subissent des choses atroces. Et pourtant, ils ne s'enfuient pas. Je ne pense donc pas qu'ils savent qu'on leur veut du bien. Je pense plutôt qu'ils ne savent pas reconnaitre le mal lorsqu'ils se retrouvent en face de lui. » J'hésite un instant à lui parler davantage de Rex. Je regarde le cabot, comme pour lui demander son avis ... Et lorsque je crois voir sa queue agiter, c'est là que j'arrête d'hésiter et que mon regard se tourne à nouveau sur Excalie. « D'ailleurs, Rex se faisait battre par son ancien maitre. » Lorsqu'elle me parle de son cours, une idée germe dans mon esprit. « Nos chiens ne semblent pas autant se détester que cela, au final. Je peux garder le tien, si tu veux. Je me mettrai dans un parc, quelque part. » Ce n'est pas comme si j'ai grand chose à faire, aujourd'hui, après tout. Certes, j'ai une pile de travail à effectuer, une fois rentré ... Mais ça, ça peut encore attendre. Il faut bien se changer les idées et penser à autre chose qu'au travail, de temps en temps, après tout.

Ce qu'Excalie me dit ensuite me trouble, légèrement, car je crains ne pas réellement comprendre le sens de ses mots. Elle me dit qu'il manque des personnes me "ressemblant dans le coin", comme si je suis un homme extraordinaire ayant reçu des prix Nobels ou autres titres prestigieux de ce calibre. Certes, j'ai rédigé le script de plusieurs films à succès modéré et réalisé certains d'entre eux, mais cela ne fait pas de moi une star internationale pour autant ... Donc je dois avouer être perdu face à cet élément qui, à ses yeux, me rend si différent du reste des hommes qu'elle aurait pu croiser depuis son arrivée ici. D'autant plus qu'elle ne me connait pas et, à s'en fier à ce qu'elle m'a dit plus tôt, elle ne doit pas avoir eu le temps d'apprendre à les connaitre, eux non plus. « Je suis persuadé qu'un autre Sebastian se trouve caché dans ce petit village, pourtant. » Je la regarde intensément afin de développer le fond de ma pensée. « On ne dirait pas, comme ça, à premier abord, mais les gens se ressemblent généralement plus qu'ils ne souhaitent l'admettre. » Je lui fais alors un sourire compatissant, comme pour la rassurer de ... Quelque chose. Je ne sais pas quoi. Je sais simplement que c'est le bon moment pour agir ainsi. Je sais également qu'il vaut mieux me taire et ne pas détruire ses illusions. En effet, je ne suis pas moins fade que ces habitants qu'elle décrit. Ma substance n'est pas plus originale ni plus belle que la leur et je ne suis certainement pas l'homme le plus coloré qui ait arpenté cette Terre depuis la nuit des temps. Mais tout cela, je me garde de le lui avouer. Elle me remercie alors pour ma proposition et m'offre un paiement pour le déplacement. Je me contente de lui répondre en agitant passivement ma tête de gauche à droite, pour lui expliquer que cela ne sera pas nécessaire. « Cela ne sera pas nécessaire. Je comptais me promener un peu avant de rentrer, de toutes manières. » Me disant alors que je l'ai assez retenue, je commence à me tourner vers ledit parc ... Avant de me rendre compte que j'ai oublié un détail assez important. Pivotant alors sur moi-même, je fais face de nouveau à la blonde qui m'a accueilli ici. J'hésite un instant, plongeant ma main dans la poche qui contient mon porte-feuille avant de me raviser, sachant pertinemment que lui donner la carte de visite d'un scénariste-réalisateur Hollywoodien ne serait peut être pas la meilleure des idées pour garder un profil bas. C'est donc avec calme que je résume temporairement notre conversation. « Je suppose que tu as besoin de mon numéro pour pouvoir retrouver Dastan ? » J'hausse alors mes sourcils en la regardant, attendant une certaine confirmation de sa part. J'en profite d'ailleurs pour plonger mes yeux bleus dans les siens.

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