tes mains tremblent, dissimulées dans les poches de ton sweat-shirt. ton visage est fermé, concentré sur la tâche à venir. tes lèvres sont pincées, les marques de l'inquiétude, de l'angoisse, qui semblent de trop sur un visage si jeune, sont inscrites partout sur ton front. ton estomac est noué, ton cœur bat à la chamade, tu as peur qu'il va exploser, et te laisser morte, là, sur le trottoir. mais tu ne recules pas. tu dois le faire. c'est aujourd'hui que tu dois le faire, n'est-ce pas? tu pénètres dans le bureau de poste. tu sors la lettre, bout de papier qui semble si minime, si peu important, mais qui pourtant, pèse si lourd dans ta main, main qui semble soudain frêle, fragile, face à ce géant en papier. tu le regardes, tu lis l'adresse, comme tu l'as fais des centaines de fois en quelques heures. tu pâlis. non. non, tu ne peux pas, comment as-tu pu croire un instant que tu pouvais? tu la range. tu fais demi-tour, tu t'en vas, presque en courant. tu dois fuir, vite, avant que tout change, avant que rien ne soit plus comme avant. tu sors, t'adosse au mur. derrière ce mur, c'est l'inconnu, et tu n'es pas prête. le seras-tu jamais? tu fermes les yeux, inspire un grand coup, oublie le monde. lâche, tu penses. lâche, lâche, lâche, lâche.

Il sort de l’hôtel en vitesse, casque en main, tenue de cuir pour se protéger du froid et des possibles dangers de la route, il avance vers son engin et grimpe dessus avec une aisance déconcertante, enfonçant son casque sur sa tête avant d’enfiler aussi ses gants et de démarrer. Il doit faire quelques petits achats, mais avant tout, passer à la poste pour y déposer un courrier, rassurer son oncle. Il aurait aimé pouvoir lui envoyer un simple mail, mais l’homme juge inutile la technologie, ne gardant qu’une vieille radio chez lui. Ma foi, il a arrêté de se battre pour le faire changer d’avis. Il suit les routes encore enneigées, se délectant du paysage. La poste n’est pas si loin, il s’y gare et dépose la lettre dans une des boites. Prêt à repartir, il se tourne et voit une jeune femme adossée à un mur. Elle est belle, asiatique, il se sent un peu comme à la maison en la voyant. Pinçant un peu ses lèvres, il hésite avant d’aller vers elle. Elle ne semble pas aller bien. Il retire son casque et le tient d’une main avant de se mettre face à elle. Sa voix douce et fine s’élève alors dans les airs. « Vous allez bien ? Vous voulez-vous asseoir ? » Il donne l’image d’un jeune homme sauvage et renfrogné mais sa spontanéité à aider les autres le rend alors adorable.

une voix remplace celle qui ne cesse de répéter ce petit mot, une voix très différente de celle qui ne veut pas arrêter de répéter lâche lâche lâche dans ton esprit. c'est une voix d'homme, qui ne vient pas de toi. tu ouvres les yeux, alors, parce que tu réalises que c'est quelqu'un qui parle, quelqu'un qui n'est pas toi. pendant un instant, tu as cru que tu l'avais imaginée, cette voix. mais non. il se tient devant toi, tout de noir, de ses cheveux ébènes à sa tenue de cuir. tu ne peux t'empêcher de sentir une espèce de calme t'envahir. il est asiatique, comme toi, peut-être même, qui sait, d'origine coréenne lui aussi, et pendant un court instant, tu as l'étrange impression d'être à la maison. puis tu te souviens que c'est loin d'être le cas, et que ce jeune homme est un parfait inconnu. tu lui souris néanmoins, un sourire crispé, mais un sourire quand même.  « non, non, je… » tu marques une pause, inspire un un grand coup. « je vais très bien. Pardonnez-moi de vous avoir inquiété pour rien, ce n’étais pas mon intention, je ne pensais pas que… je suis vraiment, vraiment désolée... » qu’il se soit arrêté par ta faute. qu’il perde son temps avec toi, que tu n’aies pas été capable de poster cette lettre. tu t’excuses, parce que tu ne sais pas quoi faire d’autre.

il est gentil, avenant. tu trouves son sourire doux, ouvert, et tu t'en veux un peu moins qu'il se soit dérangé pour toi. son affirmation semble sincère. tu ne sembles pas le déranger, et ça te rassure. silencieuse, tu le voies fouiller dans son sac. il en sort une sucette, qu'il te tend. hésitante, tu la prends. tu accepte. tu aurais pu refuser, embarrassée, mais c'est un acte de gentillesse, de la part de quelqu'un qui ne te connait pas, et refuser aurait été plus que malpolie. de plus, tu n'en as pas envie. il essaie de te rassurer, et ça te fais chaud au cœur. « merci beaucoup... moi, c'est song ki. » tu réponds en serrant sa main. tu ne lui donnes pas ton nom de famille. tu ne sais pas vraiment pourquoi. peut-être parce que tu as pris l'habitude de donner ton prénom avant ton nom quand tu te présentes à quelqu'un. « je vous suis vraiment reconnaissante. je ne sais vraiment pas comment vous remercier. »

Il tient son casque entre ses jambes et retire ses gants. Ses mains commencent à devenir trop moites. Il en passe une dans sa chevelure déjà brouillon, la rendant encore plus sauvage qu’à l’ordinaire, il se fiche pas mal de son look. Il n’est qu’un vagabond des temps modernes et la séduction n’a jamais été son fort, il sourit en entendant son prénom, une amie coréenne, maintenant, il en est sûr. « C’est très joli. » Il ne peut rien dire d’autre. Même s’il aime les prénoms occidentaux, entendre des prénoms de chez lui, lui avait cruellement manqué. « Il n’y a pas besoin de me remercier, vraiment. J’aime… pas voir les gens tristes. » ce qui semble assez ironique en soi, vu que lui-même avait un air constamment malheureux. C’est peut-être une façon de soigner ses propres plaies après tout d’être comme ça avec les autres. « Je suis content de rencontrer quelqu’un de coréen ici, ça change un peu, comme si la maison était juste à côté. »

le compliment te fais rougir. tu rougis beaucoup, de toute façon. tu es souvent embarrassée, gênée, mal à l'aise, encore plus quand on te complimente. tu ne sais pas accepter les compliments, pas sans baisser la tête, pas sans penser qu'ils disent ça pour le dire, qu'ils n'y croient pas eux-même une seconde. ce n'est pas qu'ils mentent... mais qu'ils se trompent sur la vérité. voilà, c'est ça. et tu voudrais leur ouvrir les yeux, mais tu sais d'expérience que ça ne sert à rien. et puis, c'est de ton nom, dont il parle. et tu sais que tu as un joli nom. tu as toujours aimé ton nom. tu aimes bien le sien, aussi. et tu l'aimes bien, lui. il te fais te sentir calme, en sécurité, presque. il a cet air qui te donne envie de serrer sa main dans la tienne, de lui dire que tout ira bien, mais qui te rassure aussi. « c’est l’effet que ça me fait, aussi » tu lui confies en lui souriant. tu es heureuse qu’il ait cette impression, lui aussi. ça t’enlève un poids, qu’il partage cette sensation. « ça fait… longtemps que vous avez quitté la corée ? »

Il sourit quand elle se décide à prendre la sucette, il met ses gants dans ses poches pour s’en débarrasser. Elle ressent la même chose, il en est presque soulagé. Même content à vrai dire. Il a eu peur de la gêner en disant ça mais visiblement non. « Oh… » Il regarde vers le sol pour réfléchir, à vrai dire, il n’a jamais vraiment calculé. Il lui montre un banc pas loin d’eux. « On se met assis ? » Il prend le pas et se pose sur le banc tranquillement, ils pourraient rester debout, mais les gens passants les regardaient avec un peu trop d’insistance. Il sourit en la regardant même si ses rictus restent petits et timides. « ça doit faire… » Il soupire un peu et essaye de se rappeler quand il est parti exactement. « Deux ans… J’avais envie de faire un tour du monde. » Ce qu’il a fait en réalité, passant pas l’Australie, la Chine, l’Inde, la Russie, l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Espagne, certaines îles, et enfin ici. « Et toi ? Vous… pardon. » Il ne s’est même pas rendu compte qu’il parle en coréen.

il te proposes de s'asseoir, et tu le suis, sans même réfléchir. tu restes un instant étonnée face à ton audace nouvelle, tant en rupture avec la song ki que tu connais. en tant normal, tu aurais rougis, te serais excusée de prendre sur son temps. new country, new me, tu penses, avant de te poser sur ce banc à côté de lui. tu écarquilles les yeux, et tu te sens soudainement comme une enfant au matin de noël quand il te dit qu'il fait un tour du monde. un tour du monde. tu trouves ça incroyable, magique. puis tu réalises qu'il t'a posé une question. qu'il te parles en coréen, et que lui répondre dans la même langue te viens naturellement. « ne vous excusez pas! vous pouvez... hum... tu peux... me tutoyer, si tu veux. » je rougis, gênée. pour le dissimuler, je me dépêche de répondre à sa question. « je suis partie quand j'avais huit ans. mon père... a trouvé un travail en angleterre, et nous avons déménagé là-bas. mais j'ai eu l'occasion d'y retourner, une fois ou deux. »

Il sourit quand elle parle de se tutoyer, c’est plutôt appréciable en réalité même si au final, en anglais les distinctions sont minimes, mais en coréen, tout devient différent en fonction de la personne à qui l’on s’adresse et il faut bien que c’est plus simple de discuter de façon informelle et amicale que soutenue et ultra polies. « D’accord. » Il pose son casque à ses côtés et rentre ses mains dans ses poches pour les prévenir de la morsure du froid. Il l’observe, elle rougit beaucoup, elle est vraiment comme les autres femmes coréennes qu’il a connu avant. C’était étrange de voir la différence entre les cultures même si à ses yeux, les européennes restaient les plus dévergondées pour le moment. « J’aurais aimé vivre ailleurs, ça aurait été plus facile pour apprendre l’anglais au moins. Quand j’ai commencé mon voyage, je n’avais que quelques bases dans cette langue et en chinois... c’était compliqué parfois… » Il a un autre petit sourire sans trop savoir le faire pourtant, Taeho est un solitaire depuis toujours qui est gêné dès qu’il se trouve trop mignon, son père ne l’ayant jamais autorisé à vraiment l’être. Des muscles, un cerveau… Un vrai homme. Quand on est fils de militaire, on a pas vraiment de choix. Il ne sait pas quoi ajouter d’autre, ni s’il peut vraiment la retenir avec lui comme ça, mais à vrai dire, il est content de pouvoir discuter avec quelqu’un comme ça. « Tu restes longtemps ici ? » Un façon détournée de savoir s’ils se reverront un peu ou pas…

tu bois ses paroles. toi, tu n'as jamais vraiment voyagé, tu n'as pas vu grand chose... manchester, londres, daegu et banff. ça s'arrête là. c'est bien plus que beaucoup de gens, c'est vrai, mais tu aurais voulu faire le tour du monde, comme lui, tu veux découvrir, explorer, en vrai, mais pourtant tu as décidé de t'installer, de te poser. tu ne sais pas trop, tu ne sais pas grand chose, si ce n'est que tu as peur, de voyager, seule, de ne jamais trouver ce qui te conviens. tu es ici, à banff, et imagines que tu partes et que tu rates une opportunité? laquelle, tu ne sais pas, mais imagine. « je... » tu hésites un instant. « je ne sais pas trop, encore. mais je cherche un appartement, donc... » tu te fais pensive. tu vas rester, pas vrai? tu devrais. « et toi? »