Les boîtes de nuit, t'es pas si fana que ça. T'aimes danser, mais les gens ils viennent pour baiser. Et toi t'es pas ce genre de nana, qui fait la bamboula et qui se laisse porter et abîmer. Parce que c'est ça, qu'ils veulent les mecs qui profitent : abuser de la naïveté. Accabler un corps inconnu de leurs souffrances. Alors toi tu danses, au milieu des autres. Et y'a cette chanson qui te rappelle ton enfance, qui te fait perdre ton arrogance. Tu sais pas ce qui te prend, mais tu fais une roulade en avant sur le sol, et tu chantonnes : « Ah ah ah ah. Stayin' Alive ! Stayin' Alive ! » Heureusement que le brouhaha couvre ta voix, t'en serais mortifiée de honte toi la belle ingénue, la belle inconnue, absurde.

Tu te souviens plus.
T'en as bu combien ? Tu te souviens juste de l'ocre, dans ton verre. La note de la soirée sera salée, comme à chaque fois. Tu bois trop, parce que t'es rien d'autre qu'une âme émiettée. Qu'une âme brisée. T'es un fantôme. T'es un diaphane. T'es là mais t'es transparente. T'es là mais pas ton cœur. Tu l'as laissé loin, pour le préserver. Ou parce qu'il a été déjà cassé. Il est redevenu poussière, ce pauvre organe. Manque plus que le bonnet d'âne.
Tu danses comme si ta vie en dépendait. Tu danses comme si ce jour était le dernier. Parce que y'a rien qui te garanti que tu seras là demain encore. T'es qu'un corps. Vide. Une âme en peine. T'éclates de rire en le remarquant, le brun. Pas de doute : t'es alcoolisée. « J'avoue. T'abuses. Je le refais et tu filmes ? » Tu demandes, rieuse. « J'ai toujours rêvé de faire le buzz. Mais pas toute seule. » Tu crois que tu l'as trouvé, celui qui rendra ta soirée un peu plus gaie sans que t'aies besoin de boire davantage. T'as plus l'âge. Il sourit, et ça te fascine. Oui, il a un sourire peu commun, mais tu le trouves beau. Ton index vient lui toucher quelques millièmes de secondes le bout du nez, et ça te fait rire encore. « On se fait une choré' ? » Tu demandes. T'imagines déjà le truc, et t'aimerais trop qu'il dise oui. Même si tu regretteras plus tard : on ne vit qu'une fois. Et tu veux vivre à fond, ce soir. Retrouver tes couleurs, perdre cette transparence qui te colle à la peau. Être une autre, quitter les cendres de ton passé.

tu pries l'euphorie. comme un gosse qui s'met à genoux, chaque soir, devant son lit. t'es ce gosse, gosse qui parle à dieu, gosse qui parle à une quelconque entité mystique. tu lèves les yeux au ciel et t'attends, t'espères. ton cœur bat et tu cries, tu le supplies de t'écouter. tu lui pries de t'donner l'euphorie, comme t'avais prié cette fois là. tu lui avais dit, s'il-te-plait. s'il-te-plait, regarde-moi. tu voulais l'voir vivre, encore. sourire au soleil, briller sous les étoiles.
silence.
t'avais eu que du silence en retour.
depuis tu pries plus trop. tu crois qu'à l'euphorie, ouais. tu crois qu'aux cachets, tu crois qu'à la matière. la matière, elle est là, à portée d'main. dans ta poche, dans ton sang, dans ta tête. et maintenant, même dans ton cœur. " j'suis pas très buzz ", t'avoues, en souriant. t'as cet air du mec posé, du mec qui cherche rien d'plus qu'à parler. c'est vrai ça, tu cherches rien d'plus. t'es juste toi, t'es juste là. tu te laisses approcher, ça te fait marrer. elle te fait marrer avec sa spontanéité. avec sa désinhibition, avec son sourire d'ivresse, son sourire d'ange qui a pactisé avec les démons. mais des démons plutôt cool, des démons qu't'aimes bien, toi. les démons d'la vie.  " j'suis pas très choré non plus " tu t'sens trouble-fête, trouble-espoir. " mais j'te jure que j'suis un type sympa ", t'ajoutes, comme pour te rattraper. tu veux pas qu'elle parte, tu veux pas qu'elle t'abandonne. qu'elle vous abandonne, toi et ton euphorie. " on se fait des shot ? " regarde-moi, tu lui dis. regarde-moi. peut-être qu'après ça ira mieux. t'as besoin qu'on t'pousse, toi. t'as besoin qu'on t'pousse, tout l'temps, qu'on t'sauve. et peut-être qu'après ça ira mieux, peut-être que t'accepteras de la faire, sa choré. t'es pas grand chose, gus. mais t'es pas un sale gars.
ça non.

t'es pas toi même. nan si t'étais toi-même t'aurais jamais fait quelque chose dans ce style : parce que ça te ressemble tellement pas... tu veux pas attirer l'attention. t'es timide, t'es effacée ; c'est ce que la vie a fait de toi. tu te plains pas, non, c'est pas ton genre. tu restes dans ton coin, en attendant que des prunelles se posent sur ton être chétif. t'attends que la vie elle passe, en spectatrice.
mais pas ce soir. parce qu'il est arrivé, parce que t'as trop bu. tu sais que c'est mal, de s'enivrer comme ça. mais c'est la seule façon que t'as trouvé d'exister, toi, pauvre ingénue, toi, pauvre fleur fanée. tu affiches une moue, parce que tu l'aimes bien : t'aimes sa façon de sourire. t'y vois l'innocence, t'y vois de la souffrance. les deux à la fois, et ça te touche le cœur comme t'aurais jamais cru qu'un sourire puisse le faire. t'as juste envie de le serrer contre ta poitrine et de lui dire que tout ira bien ; que la vie, c'est pas tellement une chienne. que des fois, elle est bonne, elle est agréable. mais tu te permettrais jamais, même avec du whisky ayant rampé dans ton œsophage comme une vermine. a chaque refus de sa part, ton sourire s'étiole. t'es triste ; déçue. mais tu comprends, et tu restes gentille : tu le forceras pas. comment tu pourrais, de toute façon ? tu hoches la tête. tu doutes pas que c'est un type sympa, il a l'air. chacune de tes mains vient se positionner sur ses joues, et elles en attrapent la peau comme le feraient les vieilles dames. « je sais ! » tu dis. et tu lui fais un bisou sur le nez en riant. tu sais pas ce que t'as avec son nez, ce soir, mais c'est le seul endroit qui ne fasse pas "flirt". a sa question, tu réfléchis, genre comme si c'était la question qui donne la réponse à l'univers et le reste. « 42 ! » tu balances tout à trac. et puis tu tournes la tête de droite à gauche, puis de haut en bas. « j'veux dire, oui. oui, des shot c'est bien. » t'attrapes sa main, et la tienne disparaît. et tu le conduis jusqu'au bar, où tu tentes de hurler au gars : « un mètre de shots de... de... vodka ! ». mais il t'entend pas, toi et ta voix fluette, toi et ta tenue trop sage. à croire que si on ne voit pas la peau laiteuse du haut de ta poitrine, tu vaux pas le coup. tu te retournes vers le garçon dont t'ignores le nom, et tu dis, boudeuse : « la musique elle va trop fort. m'entend pas. ». du regard, tu le supplies de t'aider, toi l'incapable, toi l'incompétente.

quarante-deux. quoi, quarante-deux ? quarante-deux shots ? t'as beau être résistant t'es pas sûr de tenir, gus. pas après les sky coca, pas après l'exsta. elle est bourrée cette fille, tu t'dis. elle est marrante, mais elle est bourrée. ça va qu'toi aussi t'es euphorique. tu penses plus à grand chose, ça t'paraît pas bizarre ses gestes, son affection. tu la suis et tu t'dis qu'tu lui demanderas plus tard, eh, pourquoi quarante-deux. " moi c'est gus ! " tu lâches comme ça, sans trop réfléchir. tu t'laisses porter par la foule. t'as b'soin qu'elle sache, t'as b'soin d'te dire que malgré tout elle se souviendra de toi, demain. elle saura mettre un nom sur ton visage. elle t'oubliera pas. elle s'dira pas tiens, hier, j'ai rencontré une ombre. tu l'vois pas, ce truc, dans ses yeux. ce regard qui t'supplie, cet air désemparé. toi tu vois qu'la bouteille là, derrière le bar. tes yeux comme deux soucoupes la lâchent pas du regard. tu t'sens malin, tu t'sens plus fort que tout. t'attends d'croire que le barman est plus loin et t'allonges le bras. t'attrapes la bouteille et tu sautes en arrière. tu t'marres gus, tu la cherches des yeux la fille. tu veux lui montrer, regarde. tadam.
mais tu tombes en arrière.

gus. son prénom, il t'amuse. tu sais que ça doit être un pseudonyme, mais tu l'imagines à présent avec une tête toute trognonne de souris. tu sais pas pourquoi, mais il reste de toute façon toujours aussi chou. tu hoches la tête, pour lui faire comprendre que t'as saisi. « cendres ! » tu gueules pour qu'il entende malgré le brouhaha. et puis tu le perds des yeux, le gus, le temps d'embêter le barman qui n'en a rien à fiche de toi. tu ouvres davantage ton chemisier, et on peut même voir le début de la dentelle de ton soutien-gorge. mais ça change rien, alors tu te retournes pour le supplier, ton ami du soir, de t'aider dans ton déboire. sauf que quand tu te retournes, tout se passe trop vite pour tes yeux vitreux : il s'empare de la bouteille et a l'air fier... quelques secondes. puisqu'il s'écroule. toi t'es morte de rire, t'aurais voulu filmer. alors tu fais la seule chose censée dans ce monde insensé : tu te laisses tomber aussi, lentement, même si ça te fait peur. vous avez l'air comme deux idiots, allongés sur le sol au milieu de tous ces pieds qui se ruent vers le bar, mais toi t'es vraiment pliée de rire. tu tombes à côté de lui et tu te tournes pour lui faire face. tu te rapproches et tu murmures à son oreille : « eh, bien joué d'avoir chipé la bouteille. maintenant, on la boit ? ou on s'enfuit en courant ? » tes yeux pétillent de malice et d'excitation. tu t'amuses comme une folle. comme la folle que t'es, comme l'enfant que t'es restée.

flash. lumière. musique. sourire. alcool. exsta. cendres.
lumière, flash, cœur, souffle, silence, euphorie. tu piges plus, tu réfléchis plus. tu t'empares de la bouteille et tu t'jettes en arrière. on t'a pas vu, t'en es certain. t'es parano, tu trébuches, tu t'éclates le coccyx. cul au sol, t'es allongé sans comprendre. tout s'intensifie, le bruit, le battement d'ton cœur. t'y vois flou, d'un coup. puis ça s'rallume. y'a cendres à côté d'toi, oui, cendres. c'est ça son nom, cendres, tu t'répètes. tu sais plus si tu l'dis à voix basse où si c'est dans ta tête. tu tiens un truc entre tes mains. de l'alcool, elle t'dit. ah oui c'est ça. la bouteille. la bouteille ! on va t'prendre, on va t'casser la gueule. tu te marres. ah putain oui, tu t'marres. cendres elle s'marre alors toi tu t'marres. c'est pas plus compliqué que ça. " on s'enfuit ! " tu murmures. tu crois qu'tu murmures, mais en fait tu cries. tu t'relèves sans trop savoir comment et puis tu cours. tu traverses la salle, tu pousses les danseurs. y'a cendres qui t'suit. et peut-être le videur. oh merde. t'es créé la pagaille, gus. sacré garnement. " bang bang they shot us down " t'annonces.

t'as pas bu tant que ça, mais tu t'es rarement autant marré qu'aujourd'hui. gus, il est drôle. de toute façon, en le voyant sourire, impossible de rester impassible. il a cette aura communicative que t'es obligée de respecter. que tu te dois de suivre. il a ce petit quelque chose qui fait que tu l'apprécies, même le cerveau embrumé. sans doute que ce ne serait pas pareil si t'étais dans ton état normal, parce que t'es beaucoup plus timide. et puis il gueule. ou plutôt, il murmure en gueulant. c'est bizarre, mais tu te lèves d'un coup en comprenant ses paroles. cela dit, il te faut bien quelques secondes de trop pour les assimiler. du coup tu le suis, mais d'un peu plus loin que ce que t'aurais dû. et avec les quelques whisky ingurgités - tes grimaces étaient magnifiques - tes pieds ont du mal à suivre le chemin que leur dicte ton cerveau. tu manques plusieurs fois de tomber, et te raccroche à tout ce que tu trouves : des bras, des vêtements. enfin, vous quittez la boîte de nuit et la fraîcheur de la nuit te glace les sangs. le souffle court, tu t'arrêtes, de l'espièglerie et de la malice brillant dans tes prunelles claires. tu ris de manière saccadée. « je me suis rarement aussi amusée. » tu dis, alors que tes mains viennent s'appuyer sur tes genoux. t'en peux plus, t'as beau être sportive, courir de manière désordonnée et étant alcoolisée t'es pas entraînée. « bon, on la boit cette bouteille ? » tu demandes. t'es assoiffée. tu sais même pas ce que c'est comme alcool qu'il a volé, mais vu le prix auquel les barmans vendent ces bouteilles, vous avez réalisé une sacrée économie. tu t'humidifies de la pointe de la langue la lèvre inférieure et tu déclares, relevant les yeux vers gus en une moue désapprobatrice mais amusée : « je crains qu'on ne soit fichés et qu'on ne puisse plus jamais venir ici. » tu souris et te redresse pour lui faire face. tu t'approches et tu claque un baiser sur sa joue, ta manière à toi de le remercier pour cette bonne soirée que tu passes.