l'horizon, les champs. du rebord de la fenêtre, assise, elle regardait. naïve, candeur d'un enfant. douceur d'avant. clélie, elle souriait.

Il l'avait vu. Il avait trouvé le tableau joli, et s'était arrêté juste pour regarder, quelques secondes. Il eut peur d'être pris pour un voyeur, ou quelque chose comme ça. Il entra dans le tableau, s'aventura même à se mettre à sa hauteur. " Bonjour. Jolie vue. " Il ne ferait aucun commentaire sur la banalité de ses mots, aucun.

quelqu'un parlait. quelqu'un lui parlait. son regard sur le ciel azur, elle chuchota, murmura. elle dit, tout bas.
- je pensais que la magie, c'était l'oiseau, vous savez, cet oiseau qui sort du chapeau. mais la magie, elle est ici. c'est cette fleur, le vent, les arbres. la nature. vous y croyez, vous, à la nature ?

Il frissonna. C'était bien plus qu'un simple joli tableau, à présent. Son regard se détacha d'elle, et se perdit plus loin, mais plus proche du ressenti. Il se prêta au jeu, comme on se laisse guider dans ses rêves. " Ce serait bête de ne pas y croire, ce serait se refuser un frisson de plus, non ? "

clélie, elle répéta.
- ce serait bête. oui, c'est ça.
elle s'en imprégna, encore un instant. et puis, elle se leva doucement. le contourna, se plaça devant. une larme au coin de son oeil, elle passa une main sur la joue de l'étranger. souffla.
un mot. cinq lettres. un infini.
- merci.

Un léger sourire se hissa sur ses lèvres. Il prit sa main. Après tout, la nature, ça passe par le contact. Contact des yeux, contact des peaux, contact des souffles. Il ne comprenait pas bien d'où venait ce mot. C'était peut-être ça qui lui plaisait. Ses yeux brillaient, c'était joli. " Tu en as vu beaucoup d'autres des paysages comme ça ? " Lui, il découvrait.

elle se noyait dans le vert de ses yeux. vert clair, vert mer. et prenait le temps. de chercher les mots justes. les mots qui disaient sincèrement. ceux-là qui rendaient sourde la douleur.
ceux-là qui pansaient les plaies de son coeur.
- je. non, admit-elle maladroitement. ça n'a jamais été aussi pur.
ici, elle pensa, fort, très, trop fort. ici, c'était apaisant.

Il serra sa main plus fort, pris à la gorge par l'émotion qui émanait d'elle. Il ne savait pas quoi dire, il ne voulait pas réveiller des démons. Mais ça semblait trop tard. Face à elle, il se sentait comme un nouveau né, encore tout vierge de douleur, tout vierge de souvenir, tout vierge de sensation. Il recula, deux pas, toujours sa main accrochée à la sienne. L'entraînant avec lui, il ne savait pas trop où. " Viens, j't'invite. La nature, c'est encore plus pure quand on l'expérimente de l'intérieur. " Et petit à petit, il l'amenait à se plonger dans le champ.

où on va, où. où vous m'emmenez. elle pensait. clélie, c'était la fille aux songes. piégée dans des idéaux, des idées.
enfermée dans un monde rêvé.
et ses sens, dehors, s'éveillèrent. dans le champ, dans les herbes, ici ou là, les bras levés, elle dansait. valse lente, douce valse, tête renversée; là-haut, dans les nuages, les étoiles. l'univers.
- je voudrais dans ma main un bout de ciel.
elle voudrait. elle avait toujours voulu. jamais le soleil.

Il la laissa s'épanouir au soleil. Il rit fort en la voyant tournoyer. Et il l'imita, il écarta les bras, ouvrit grand son poitrail, balança la tête en arrière. Il était inondé de sensations. Il voulait bien se noyer. " ouvre les yeux, il est juste là le ciel, au bout de tes doigts. " Il ne savait plus trop ce qu'il disait. Il se laissa choir dans les herbes hautes. Un bain d'herbes. Il ferma les yeux, et inspira, encore et encore.