Le frisson. Le vent. Le bruit des vagues. L'immensité. La beauté. La douleur. L'amour. Les sentiments. La nature. L'étendue. L'inconnu.
T'étais là, pas assez ou peut-être un peu trop. Les bras ballants, t'avais jeté ton sac à tes côtés comme un vieux bout de papier. Fatiguée. Tu sentais tes cheveux fouetter ton visage avec grandeur, tu pouvais souffler, observer. Tes doigts se resserraient contre ta cigarette.  T'inhalais, incrédule, naïve, époustouflée.

tu marchais sans but. une guitare près de toi, le vent frais soufflant sur ton visage. l'artiste brisé, l'artiste au vent frais. tu marches encore et encore, sans voir où allait. une jolie blonde était là face à toi, t'installant près d'elle sans vraiment la coller. les doigts commençaient à frotter sur les cordes, les yeux clos et l'inspiration venait à toi. tu jouais une douce mélodie au rythme du vent qui fouettait ton visage. fredonnant quelques paroles de temps en temps, fredonnant des paroles à l'air du vent.

Tu t'enfumais la tête, tu brouillais tes pensées, tu faisais taire ces sentiments incessant. On t'embrasse comme la brume, on te caresse comme un fantôme. On ne sait pas qui tu es, t'es dans l'air du temps, présente et absente. T'avais senti une compagnie, rompant le silence de tes mélodies silencieuses. T'écoutais, curieuse, amoureuse, envieuse. Tu pouvais l'entendre fredonner, gratter, jouer. A ses côtés, tu te laissais aller, appréciant ce nouvel endroit et ce que ça pouvait déjà t'apporter. Tu l'accueillais comme on aime un amant le temps d'une nuit, d'une étreinte. Tu te laissais envahir, enfantine. Puis ta cigarette s'était éteinte. Tu cherchais ton briquet, venant briser dans un éclat la mort de ton immobilisme. Tu tranchais de tes mouvements la bulle qui venait de se former durant quelques secondes. Avec ta maladresse, t'avais complètement quitté le bien-être qu'on te proposait.

le silence complet, rien que le bruit de ta gratte et la fumée qui sort de la bouche de cette jolie nymphe. tu ne cherches pas à parler, juste à jouer et faire profiter le semblant de talent que tu pensais avoir aux autres. un autre homme s'avance, mais tu décides de continuer à jouer. cette fois-ci tu décides de jouer un doux morceau. d'entre tes lèvres une voix douce et à la fois émouvante s'échappe. « en haut de la rue st-vincent. un poète et une inconnue s'aimèrent l'espace d'un instant, mais on ne l'a jamais revu. cette chanson il composa espérant que son inconnue. un matin de printemps l'entendra quelque part au coin d'une rue. » chantes-tu d'une voix légère et douce. cette chanson serte poétique contait l'histoire d'une prostituée et d'un client artiste déchu. tu observais tranquillement ce jeune garçon et cette jeune fille, tu étais discret, peut-être un peu trop. mais en vérité au départ tu étais venu chanter pour te faire plaisir.

Tu fouillais, les yeux fermés. Tu cherchais l'introuvable, l'insaisissable. Tu ne trouvais pas, encore, toujours. Les poches de ton jean, avant, arrière. Les poches de ta veste, intérieur, extérieur. Tu touchais les parcelles de ton corps susceptible de loger un petit rectangle, ton sauveur. Tu sentais des clés. Les clés.  Tu sentais ton léger sourire s'évanouir, comme une fleur qui venait de faner trop tôt, trop vite. Tu n'en avais plus besoin, désormais. Tu t'arrêtais, t'observais l'inconnu à tes côtés. Le vent venait te réconforter, il te faisait frissonner. Puis de tes grands yeux, tu l'interrogeais du regard. Tu le détaillais. Il était beau, brun, enjôleur, artiste. Tu t'arrêtais un peu sur lui, l'instant de vie qu'il t'accordait. Cet échange était court, court mais intense jusqu'à ce qu'une voix s'élève. Elle ne venait pas de lui, de cet homme à tes côtés. Non, plus lointaine, plus froide, moins touchante. Briquet, criquet, lever, cliquer, frapper, allumer, fumer, liberté. Tu te retournais. Tu te saisissais de l'objet de manière enfantine. Tu plongeais tes yeux dans les siens, cherchant l'accord pour récupérer ton du. Et finalement, tu venais pas t'en emparer, comme une voleuse. Sans dire merci. Ça t'arracherais la langue de prononcer ce mot, n'est-ce pas ? Alors tu te contentais d'hocher la tête, muette. Trop interdite. La musique reprenait, finalement, dans cet instant, c'était la seule chose qui comptait.

astrée a voulu prendre un bol d'air frais. s'étouffer avec. s'asperger. l'absorber. il faut dire qu'elle veut en profiter, de cette liberté. il lui a donné, il l'a forcé à la prendre. il serait peut-être temps qu'elle essaie. être un fantôme, ce n'est pas une solution. alors elle avance, avec ses converses aux pieds. son jean trop cher. son pull trop large. l'air paumé. fatigué. quand même heureuse, les cheveux dans le vent.
elle marche sans s'arrêter, sans regarder ou elle met les pieds. juste marcher. vivre un peu mais pas trop, elle serait capable de se fatiguer.
puis elle entend de la musique. des voix. enfin une voix masculine. trois petits mots puis le silence. étrange. alors elle avance, les mains dans les poches, intriguée.
ça fait longtemps qu'elle a pas été curieuse, la lolita.
d'ailleurs, en avançant, elle voit pas la branche. le caillou. qu'importe, l'obstacle. alors elle tombe. de pas très haut mais ça fait mal. et comme elle sait que les trois-quatre personnes vont se retourner, elle s'excuse déjà.
"désolée, désolée... faites comme si j'étais pas là.", marmonne-t-elle en essayant de se relever.

il arrête de penser à ce qu'il se passe à côté, juste il cherche à chanter et à décompresser. sa voix qui résonne à travers les têtes, sa voix qui ensorcelé ceux qui osent l'écouter. celle-ci bercée par la douce mélodie de la guitare qu'il répète en boucle, chantant à pleine voix cette chanson si douce et à la fois si ancienne. il se remet à chanter de plus belle et n'écoute plus les paroles que prononcent les autres autour de lui. « la lune trop blême, pose un diadème sur tes cheveux roux. la lune trop rousse de gloire éclabousse ton jupon plein d'trou. la lune trop pâle caresse l'opale de tes yeux blasés. princesse de la rue soit la bienvenue dans mon coeur blessé. les escaliers de la butte sont durs aux miséreux, les ailes des moulins protègent les amoureux. » dit-il. il chante, mais à la fois conte une belle histoire, cette chanson si française que les hommes chantaient pour avoir une petite pièce. lui la chante pour le plaisir des autres et pour le plaisir d'être écouté. le chant est lui, lui est le chant, il ne fait qu'un avec cette discipline artistique qu'il maîtrise autant techniquement qu'artistiquement réussissant à bercer les coeurs de pierre des gros durs agés.