Tu traines ton corps fatigué jusqu'à un banc, il y en a un à l'ombre de un arbre qui semble presque être là pour toi. Tu poses tes affaires à tes pieds, chaque mouvement tire sur tes muscles. Tu observes rêveuse ton sac : c'est tout ce que tu as pris, tout ce qu'il te reste. Par reflex tu passes ta jambe dans la hanse de ton sac, c'était ta technique pour ne pas qu'on te le pique quand tu dormais dans le bus. T'es à peu près sûre de ressembler à un boy scout qui vient de s'enfuir mais tu t'en fiches. Il y a du vent, il y a de l'ombre et c'est tout ce qu'il te faut.

Assise en tailleur sur la ferraille glacée tu ne peux retenir un baillement. Voyager, ça fatigue. Tu regardes passer les promeneurs qui te lancent parfois un regard intrigué, c’est vrai que t’as une sale dégaine. T’as de la poussière sur tes vêtements, ton jean est déchiré aux genoux mariant tâches de sang séché et herbe fraiche et puis tes doigts sont maculés de cambouis, t’en as même sur le visage et tu sais même pas ce qu’il fait là.
Tu as chaud, trop chaud, ton jean est trop serré et tu sens ta transpiration qui goutte dans ton dos.Tu t’apprêtais à sortir tes ciseaux pour couper son jean quand tu as remarqué quelqu’un. Il semblait avoir des vues sur le banc lui aussi tout à l’heure, maintenant il est sur la pelouse. Tu croises son regard. Tu déplies tes jambes, pousses tes affaires sur le côté et finis par un petit signe de tête lui signifiant qu’il pouvait venir s’il voulait. T’étais devenues plutôt douées avec les signes muets en trois jours.

Il récupère ses affaires, tu lui rends son sourire. À vrai dire, t'as l’impression de sourire beaucoup plus depuis ce « voyage », un vrai rayon de soleil. Ce départ te fais vraiment du bien. Voir le monde au-delà des catastrophes du 19-20 t’émerveille. T’as toujours pensé que tu faisais parti de ceux qui voyaient le monde en couleurs, le bien chez toute être, pourtant la gentillesse spontanée des personnes que tu as rencontré t’ont estomaqué, moins ils avaient, plus ils étaient près à partager. Une mentalité depuis longtemps oublié de là où tu viens. Ton invité s’assoit à tes côtés, tu te demandes si tu lui aurais proposé de te rejoindre quelques jours plus tôt, il se présente. Son prénom te rappelle un livre, ou serait-ce plutôt un film? Tu t’apprêtes à tendre ta main en retour, bien que le geste te suprenne,  avant de te souvenir qu’elle a été repeinte avec la graisse de ta chaine de vélo. « Je suis désolée, mais je voudrais éviter de te salir. » tu lui montres l'épaisse couche sur tes ongles. « Moi c’est Audrey. » Comme tu te sens un peu coupable de lui mettre un vent comme ça, tu ajoutes « Enchantée. » Il te remercie et tu ne sais pas trop si c’est pour la place que tu lui as laissé ou si c’est pour ta présence d’esprit de ne pas lui avoir tâché la main. Tu préfères en avoir le coeur net plutôt que de passer pour une idiote. « De rien, mais c’est plutôt pour t’avoir laissé la dernière place à l’ombre ou pour vouloir faire bonne impression et ne pas m’essuyer directement sur toi? » Tu ponctues ta phrases avec une intonation qui montre bien que tu rigoles, tu viens d’arriver ici, tu voudrais éviter les ennemis sans humour. « Enfaite ce serait plutôt à moi de te remercier, je me serais sentie un peu bête sinon, surtout que je dois faire un peu peur comme ça. »

Tu l’écoutes, tu l’observes, tu trouves que c’est drôle cette façon qu’il a de sourire, t’as l’impression que ses sourires servent de ponctuation. Tu lui souris en retour même si tu sens que la fatigue commence à prendre le contrôle. Tu ne veux pas t’endormir. « On sait jamais, tu pourrais être un maniaque de ton hygiène des mains. » T’es un peu déboussolée quand il te décortique du regard, t’as jamais fait parti de celle qui aiment être au milieu de l’attention. Non, toi ton rôle c’est celui de la petite souris dans son trou qui regarde, qui commente. Tu préfères de loin être le bras droit marrant du héros qui dédramatise la situation que le héros lui-même. Tu ris franchement au compliment. « Si on aime le style man vs wilde version boy scout je suppose. » Tu te dis qu’il a un rire communicatif enfaite. C’est là que tu mets la main sur le souvenir que son nom te rappelait. Le Magicien d’Oz, le film qui t’as fait le plus peur de toute ton enfance. Tu souris au souvenir pendant qu’il parle du banc. Ton banc? Toi aussi tu viens d’arriver ici, tu ne peux pas t’en proclamer propriétaire pourtant ça te plairait bien, avoir ton petit banc à l’ombre, comme ces banc que tu peux acheter à New York pour y poser ton inscription. « Ah désolé mais moi je ne suis ici que depuis que le dernier bus est arrivé, donc si ça se trouve on est sur le banc du gangster du coin et que c’est pour ça que personne ne squattait et on va finir attachés au gros scotch sur le porte drapeau façon Wiveel dans Véronica Mars… » Tu fais comme si tu cherchais une quelconque inscription. « Pourtant il a l’air clean le banc, on a plus qu’à croiser les doigts! » Tu mimes pendant que tu parles avec un large sourire. Il te propose son sandwich mais tu as déjà mangé le tiens dans le bus et la digestion ne s’est visiblement pas encore faite. « Ah désolé j’ai déjà mangé… Mais pour te faire plaisir je veux bien manger le bout de salade qui dépasse s’il est imbibé de sauce salade ou de mayo! » Tu souris à pleines dents puis, tout en t’essuyant préalablement les mains sur ton pantalon qui ne tiendra plus très longtemps, tu cherches ta paire de ciseaux dans ton sac. « Tu vas me prendre pour une folle si je coupe mon jean? » Mais bon, après tout,t'as rien à perdre.

Spoiler:

Tu lui souris, cette façon qu’il a de faire des clins d’oeil te donne l’impression qu’il avoue un secret alors que tu doutes sérieusement que s’en soit un. T’aimes bien cette impression, c’est comme si tu étais son amie alors que vous ne vous connaissez que depuis quelques minutes. « Et bien on peut alors former la ligue des mains sales! On sauvera le monde grâce à… nos mains sales qui font peur! » Tu lui fais le regard du héros qui plisse les yeux vers l’avenir puis tu laisses ta cape imaginaire et lui tire la langue puérilement mais fais une grimace avant même de pouvoir sur répondre. « J’adooooore me manger de la graisse… » T’avais oublié qu’il t’en restait sur les lèvres, pourtant tu l’avais bien senti avec ton sandwich triangle, mais d’une certaine manière ça t’arrangeait, t’es pas vraiment à l’aise avec les compliments, tu laisses ça aux filles qui savent quoi répondre. C’est drôle tu avais aussi penser à garder le banc, pour toi mais ça tu vas le garder pour toi, histoire de passer pour quelqu’un de bien. « J’achète! On a juste à laisser nos noms dessus histoire de faire peur à tout le monde. » Tu lui montres tes doits à nouveau, t’as beau les avoir essuyés il reste encore pas mal de noir. Tu commences par écrire son nom, c’est celui qui a le moins de lettres puis tu enchaînes sur le tien. Il faut bien chercher pour apercevoir le y mais tu es fière de toi. Destruction de bien publique, autant bien faire ton arrivée mais après tout, les bancs ça sert à ça aussi. Tu penses que peut-être il ne voulait pas avoir son nom, au pire c’est pas grave tu peux encore le recouvrir s’il te le demande. Quand il te tend le sandwich tu ne sais pas si tu dois le prendre ou simplement mordre dans la salade. Pour faire un peu civilisé t’essayes d’attraper le sandwich avec les avant bras mais c’est peine perdu, tu vas surtout le faire tomber si tu continues. Alors tu te contentes de tirer la feuille de salade, qui en a profité pour ajouter des taches de sauces sur tes cuisses. « Merci. » Tu lui souris. Tout en mâchant la feuille tu admires l’oeuvre d’art qu’est devenu ton pantalon avant de soupirer. « Il fait chaud, j’ai besoin d’un short et il est mort de toute façon, il ne passera pas la nuit. » T’as l’impression de parler d'un blessé et pas d’un short mais peu importe. Sa proposition sonne comme la meilleure chose qu’on aurait pu te proposer aujourd’hui. « Vraiment?! Je donnerais un rein pour une douche! Tu peux vraiment faire ça? » T’as la tête d’une gamine à qui on vient d’annoncer son départ pour DisneyLand et t’as envie de te jeter sur lui pour lui faire un câlin mais tu te retiens, il te restes de la dignité quand même. Tu ne peux t’empêcher d’observer tes bras.« Je me demande si je suis réellement bronzée ou si c’est de la poussière… » puis tu lui refais le sourire de la gagnante au gros lot du loto. « Tu sais que tu es le meilleur voisin de banc au monde? »

Spoiler: