stairway to heaven.

Elle ne sait même pas comment elle en est arrivée là, assise sur les marches poussiéreuses d'une église, elle qui est éperdument athée, son sac à dos entre les jambes et un jeu de clefs qui danse entre ses doigts. La voiture, enfin, ce qui est désormais sa voiture, est garée un peu plus loin dans la rue, mais sa simple vue la dégoute. Ils ne lui ont laissé que très peu de temps, à peine 5 minutes pour déménager sa vie. 5 minutes et une vieille voiture bleue.
Son coeur se serre lorsqu'elle aperçoit une silhouette au loin se rapprocher. Mais elle ne sait pas. Elle ne sait pas si elle doit continuer à regarder le bord du trottoir en espérant que la personne passe son chemin sans faire attention à elle ou si elle doit attendre une réaction. Elle ne sait plus.

Ça fait des heures que Chiffo marche tout seul, lui, sa guitare et sa belle solitude. Son van traîne quelque part et Chiffo n'est même pas certain de pouvoir le retrouver du premier coup mais ça ne lui fait pas peur. Plus rien ne lui fait peur à Chiffo, il est tout seul et il n'aura plus jamais de compte à rendre à qui que ce soit. Ça fait des mètres déjà qu'il a aperçu la façade de l'église. Chiffo est croyant, il l'espère l'être encore un peu, en tout cas, même s'il a tout les fardeaux pour finir à l'abattoir des religieux. Ça fait des mois et des années qu'il n'a pas cherché à prier, à s’asseoir sur un banc, à se demander ce qui l'a mené jusqu'à cette situation-là. Peut être qu'il est prêt à faire ce pas là, à revenir en arrière, ne serais-ce que pour ça. Il monte les marches, ignore la silhouette assise juste en bas et reste bloqué à l'entrée. C'est trop grand, c'est trop sérieux, c'est trop pure. Chiffo n'est peut être pas prêt finalement. Alors il redescend, enfonce les mains dans les poches de sa veste et soupire. Ses yeux glisse sur la silhouette et il fronce les sourcils un instant. Et pourquoi pas ? Hé. il s'approche, s'assoit et observe la rue. je m'assoie là. ça ne vous dérange pas ? évidemment, que ça la dérange.

La silhouette de l'homme à la guitare continue d'avancer. Elle ne bouge pas, son regard demeure fixe alors que les pas se rapprochent. Les bras enlaçant ses cuisses et ses genoux, elle se demande l'image qu'elle renvoie. Celle d'une femme assumée qui attend quelque chose ou bien celle de celle qu'elle est réellement, cette petite chose blonde totalement égarée dans cette ville qui ne la connait ni d'Eve ni d'Adam ? Il passe, monte les escaliers sans faire attention à elle. Elle est quelque part soulagée ne de pas avoir à faire la conversation, mais au fond elle elle comprend qu'elle aurait préféré qu'il s'attarde plus sur sa personne, pour la sortir de sa torpeur. Mais elle ne bouge cependant pas.
Hé Elle tourne la tête vers l'homme qui s'est finalement arrêté et lui adresse un simple signe de tête accompagné du plus léger des sourires qu'elle est capable d'offrir. Il s'installe ensuite et dis : je m'assoie là, ça ne vous dérange pas ? . Elle dirige son regard vers le bord du trottoir, à nouveau tout en disant : Je ne sais pas... Son ton n'est pas arrogant ni agressif, au contraire, elle le dit d'une façon douce et quelle que peu résignée. Un sourire vient habiller à nouveau ses fines lèvres alors qu'elle dit, faisant à présent face au guitariste, décalant légèrement son buste vers lui : Mais la convenance veut que je dise non, n'est ce pas ? C'est d'elle même qu'elle se moque, et non de lui. D'elle même et de la société. Elle finit par murmurer, replaçant une mèche derrière son oreille : Je suis désolée... ça a été une dure journée. Une dure semaine. Un dur mois, plutôt...

Le Chiffo observe le sol, silencieux et ailleurs. Il se retient un peu, le pauvre gars, de dévisager cette femme dans l'espoir d’apercevoir dans ces traits ce qu'elle peut bien foutre là. Il n'ose pourtant pas, Chiffo se contente de s'asseoir, d'enfoncer profondément les mains dans les poches et de dévisager le paysage à défaut de son visage. Peut être bien qu'elle se repose un peu, qu'elle fait parti de ces gens qui ont un toit, une famille, des factures et un prêt immobilier à rembourser. Peut être bien qu'elle vient tout juste de sortir de l'église et qu'elle n'a pas vraiment envie de rentrer immédiatement. Chiffo n'en sait rien et il n'est pas sur d'en avoir véritablement envie. Lui ce qu'il voulait, c'est effleurer un peu le passé, non pas panser les plaies. Il tourne la tête et tente de l'observer le plus poliment possible. Sa facette de croyant le pousse à ne pas se montrer désagréable lorsqu'une croix immeuble menace de lui tomber sur la tête, là, juste derrière leurs dos à tout les deux. Alors il souffle, doucement. Je peux toujours partir. Il tentera sa chance demain, après demain ou dans un mois. Peu importe. Vous pouvez parler, si vous vous voulez. Parce qu'elle a l'air de porter tout le monde sur ses épaules, cette femme-là. Je vous oblige pas et honnêtement, si vous me dites non, je m'en fou totalement mais...Il passe ses doigts dans ces cheveux et réfléchit un instant. Vous allez l'air tellement déprimé que c'est affreux à regarder. Il ne veut pas être méchant, seulement sincère.

Je peux toujours partir. Elle répond immédiatement, comme un cri de détresse : NON ! Non, partez pas... Elle rougit légèrement avant de lever la tête vers le jeune homme une fois pour toutes. Elle se promet de ne plus se cacher derrière sa frange longue qui n'est pas coincée dans la queue de cheval rassemblant le reste de sa crinière blonde. Elle l'écoute et apprécie sa bienveillance cachée derrière ce qu'elle analyse comme une nonchalance feinte. Je dis ensuite, malgré elle : Je voudrais bien... Mais je n'en ai pas le droit. Elle a toujours su mentir avec brio et c'est précisément lorsque l'on lui ordonne de le faire qu'elle n'y arrive plus. Comme je n'ai pas le droit de vous mentir devant la "maison de Dieu", je dirai juste que mon fiancé a perdu la vie. Que j'ai failli y passer... Et qu'en ce moment, j'aurais largement préféré ne plus être. Son ton n'est même pas triste, seulement résigné. Elle ne mentait pas en plus. Dans le script écrit par la police, elle a échappé a un accident de voiture qui a tué son petit ami, ou fiancé comme vous voulez. En réalité on les a kidnappé, roués de coups et laissés pour morts dans une forêt. Il l'était, elle a survécu. Son jeans et son sweatshirt suffisent à cacher les bleus et les plaies qui couvrent son corps. Elle a eu "de la chance" on ne frappe pas les femmes au visage il parait. Matthew n'avait pas eu ce privilège.

Le chiffo sursaute doucement lorsqu'elle élève soudainement la voix et c'est sans doute cette éclat chez l'autre, qui le pousse à rester désespérément là, sur les marches d'une église. Il ne sait plus quoi penser. Il est venu l'interpeller pour être polie, pour faire une bonne action et se laver un peu des drôles de prouesses qu'il a enchaîné ces derniers mois. Et pourtant, le Chiffo le sent, c'est bien plus qu'un ridicule chagrin qui traverse l'autre. Il n'est pas vraiment certain d'être l'homme de la situation. Chiffo n'arrive même pas à se consoler lui-même, alors quelqu'un d'autre, la belle affaire. Il dépose sa guitare juste à côté de lui, contre sa cuisse gauche et enfonce ses mains dans les poches. Son visage s'accroche au visage de la blonde et Chiffo patiente doucement quand enfin, sa voix s'élève à nouveau. Oh, il n'est pas bien sur de bien comprendre ou même de le vouloir. Vous ne pouvez pas ? Il souffle doucement et se frotte la nuque. Elle ne peut rien dire. Peut être qu'à ses yeux, cela signifie simplement qu'elle n'a pas vraiment la force d'en parler. Après tout, a t'il l'allure d'un prêtre à qui on peut tout confier ? Lui le Chiffo, avec ses cheveux fous et ses fringues usés. Oh. Il souffle et détourne le regard un instant. Les mots se bloquent dans sa gorge et Chiffo sent la gêne se glisser entre ses doigts. Ca doit être dure. Son pied tapote doucement le sol. Il n'a pas envie de lui dire qu'il est désolé. Parce qu'il n'y est pour rien et qu'une excuse ne changera rien. Alors il réfléchit un peu, se tait et laisse les secondes s'écouler un peu trop. C'est compliqué de soulager les autres. Il en a perdu l'habitude. Ça passera, je ne dis pas que vous allez vous y habituer mais... Il se tait un petit instant, glisse à nouveau ses yeux bleu sur son visage et reprend, avec son maigre stock de douceur. Vous vivrez avec. Et il insiste, vous vivrez. Chiffo n'a pas envie d'avoir un suicide sur la conscience.

Vous vivrez avec. Mais avec quoi? Pour l'instant tout ce qu'elle peut énumérer est ce dont elle devra se passer. Vivre sans Matthew, sans Seattle, sans son métier d'avocat, sans ses amis, sans son appartement... La liste est encore longue. Mais ce ne sont que des "sans" qu'elle voit. Ici qu'a-t-elle? Une voiture qu'elle déteste et un maigre sac à dos. Un nouveau prénom, un nouveau nom. Rien d'autre. Alors oui, elle est en vie, mais pourquoi? A presque 40 ans, jamais elle ne se serait imaginée avoir a refaire sa vie. Pas comme ça, pas sous la contrainte. Elle torture ses mains pour cacher le tremblement qui la gagne. Elle sent sa gorge se serrer et ferme les yeux pour ne pas se laisser envahir par l'émotion. Elle a déjà assez pleuré, les prochaines larmes à couler laisseront des sillons à l'acide sur ses joues. Elle rouvre les yeux avant de dire : J'arrête de vous embêter avec ça... Elle pourrait s'arrêter là et le regarder partir lentement, mais une force en elle la pousse à continuer à parler, à dire n'importe quoi, juste pour qu'il reste, qu'elle ne soit plus seule. Vous me jouez quelque chose ?

» heaven knows
» the only heaven i'll be sent to is when i'm alone with you

stairway to heaven.

stairway to heaven.

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