I can't be my own hero.

Nous essayons tous de battre nos démons. Ceux qui se cachent en chacun de nous. Ceux qui nous détruisent, qui nous tuent à petit feu, sans même que l'on s'en aperçoive. Ce sont eux qui sont la cause de notre mal-être permanent, parfois camouflé derrière un sourire ou parfois affiché sur notre visage. Ce jour là, les démons de Pandora avaient pris le dessus. Sur tout. Depuis quelques temps, Pandora avait perdu la force. La force de vivre. Ou plutôt, celle de survivre. Pandora aime les gens heureux. Mais elle ne l'est pas elle même. Heureuse. Un mot qui semble si inapproprié pour son esprit innocent, mais pourtant plus tourmentée et torturé que jamais. Mais aussi, tellement, tellement naïf. Comme si changer de ville, partir loin de son pays natal et venir se pointer dans un coin perdu du Canada allait réellement changer quelque chose. Rien ne le pouvait, et Pandora le savait.

Avant, Pandora aimait vivre. Mais plus maintenant. Même être ici, au beau milieu des arbres recouverts de mousse, assise sur un banc en bois vieux comme le monde, juste devant une sorte de mare reflétant les nuages gris dans le ciel et les feuilles de branches recouvrant ce qui semblait être un havre de paix. Alors que, dans la tête de la seule personne présente, une guerre faisait rage à cet instant même. Il y avait des fleurs par terre. Pandora aime les fleurs. Il lui arrive de se comparer à elles. Souvent belles quand le soleil est là, mais ne tardant pas à mourir quand la tempête arrive. Le vent faisait voler ses cheveux châtains, comme toujours décoiffés. Son manteau ne la protégeait pas du froid.

Le froid. Comme le coeur de Pandora.
De la glace dans les veines, du feu dans les yeux, de la haine dans sa tête.

Elle a tout laissé derrière et au lieu de s'efforcer au mieux de se remettre à vivre, elle persiste à rester enfermée dans cette bulle solitaire qu'elle s'est créé, espérant sans doute tromper son propre esprit prétextant à tout bout de champs qu'elle veut visiter ceci ou cela, connaitre les alentours. Foutaises. En réalité elle ne veut rencontrer personne. Quelque part c'est probablement parce que cela voudrait dire faire une croix sur ceux qu'elle a déjà rencontré et qu'elle ne reverra probablement jamais, tourner la page et graver son nom sur l'écorce de Banff. Et ça lui est insupportable. Alors elle continue à errer sur les plages, le long des ruisseaux, dans les ruelles et les forêts, ne quittant jamais son sac à dos au cas où ils reviendraient, et laissant sa voiture le plus loin possible de son corps. Assise en tailleur au pied de cet arbre, à l'ombre des feuillages, elle prétend ne pas faire attention à la présence de la femme assise en face d'elle, sur un banc. Aucune d'elle ne décroche un mot. Une bourrasque de vent la fait frissonner et elle tire de son sac l'un des seuls vêtements qu'elle a réussi à tirer de son armoire à temps, son vieux sweatshirt de la fac. Après l'avoir enfilé, elle caresse du bout des doigts les inscriptions. Yale. C'est loin d'être le futur qu'elle s'était imaginé après avoir intégré l'une des plus grandes écoles de l'Ivy league... C'est presque machinalement qu'elle lance sur les genoux de la brune son écharpe en laine. Sans la regarder, elle dit, se justifiant : Il fait froid...

Pandora se sent fatiguée, l'air las. Elle a faim, puis elle a terriblement froid. Le vent souffle fort. Puis, elle a sommeil. Elle a envie de rentrer. Mais pas chez elle. Chez elle. Pas dans son chez-soi, son petit appartement qu'elle s'est payé dans le centre-ville de Banff, mais sa vraie maison, qui n'est de toute évidence pas ici, mais loin. Très loin. Voire trop loin. Tout cela lui manque, mais si elle n'était jamais partie, qui sait ce qu'il serait arrivé ? Elle même frisonne à cette idée. Tant de scénarios plus horribles les un que les autre. Pandora ferme les yeux puis les rouvre, comme si le temps d'une fraction de seconde, elle s'était téléportée dans le lieu où elle voulait tant se rendre. Mais non, elle était toujours là, assise sur ce banc gelée, le tout petit lac immobile en face d'elle et les arbre tout autour, formant une sorte d'étau angoissant, d'autant plus que le temps ne donnait pas au lieu un atmosphère chaleureuse. Toujours pareil. Le même oiseau posé sur la même branche, la même... Ah non. Tiens. Pas la même écharpe posée sur ses genoux. Pandora la prend dans ses mains et regarde à sa gauche la femme qu'elle faisait semblant de ne pas voir depuis son arrivée se justifier. Elle lui avait prêté son écharpe. Comme ça. Pandora ne s'en plaint pas. Elle l'enfile rapidement. Elle sent bon le parfum des dames.

-Merci, dit Pandora à la femme, dont elle ne connaissait pas le nom. Et vous êtes ?

Le parfum qui est imprégné dans les quelques affaires qu'elle a pu emporter détonne avec l'apparence qu'elle renvoie en ce moment. De son sweat se dégage une odeur délicate de fragrance chère et féminine alors qu'elle ressemble à une vulgaire adolescente qui aurait fait une fugue. Merci Elle ne répond pas avec des mots, se contentant d'adresser un simple signe de la tête à la jeune femme. Et vous êtes ? Un son coeur saute un battement et elle se mord la lèvre avant de répondre, après une hésitation anormale pour une question si banale : Ji... Charlotte. Elle s'appelle Charlotte désormais, il ne faut pas qu'elle l'oublie. Mais comment effacer tant d'années d'une vie ? Plus facile à dire qu'à faire. Et vous ? Dire qu'il fut un temps, il y a vraiment peu, où elle était d'une joie de vivre incomparable, et bavarde à souhait de surcroit. Bien des choses ont changé.

Pandora n'aime pas la compagnie d'habitude. Mais pour une fois, elle fait un effort avec cette femme. Elle sait parfaitement que pour une jeune fille de son âge, elle n'est pas assez sociale. Elle n'a aucun ami à Banff, ne parle à personne à part son voisin et reste enfermée chez elle la plupart de son temps, quand elle ne vas pas faire ses courses pour ne pas qu'elle meure de faim. La prénommée Charlotte est peut-être (surement) plus âgée qu'elle, mais au moins, cela lui donne l'occasion de discuter avec quelqu'un, chose qu'elle n'a pas fait depuis un bon bout de temps. Charlotte. La cousine de Pandora s'appelle Charlotte. Elle repoussa certains souvenir tentant de s'infiltrer avec un malin plaisir dans sa mémoire et se reprend. Elle est venue ici, en vain, pour un nouveau départ, pas pour se morfondre quand on a une chance d'avoir des relations avec quelqu'un. Avec calme, Pandora répond juste :

-Pandora. Moi, c'est juste Pandora.

Elle écoute la réponse de la jeune femme et esquisse un demi-sourire en baissant à nouveau la tête, fixant son regard sur les fleurs jonchant le sol. Pandora. Comment ne pas penser à la mythologie grecque en entendant ce prénom ? Il est impossible pour elle de s'en détacher, et elle trouve même cela paradoxalement amusant. Comme si la vie lui faisait un pied de nez. En ouvrant cette boite, Pandore a libéré tous les malheurs du monde. Et les voici sur sa tête. Et elle n'exagère que peu. Elle finit par dire, sans lever la tête : Juste Pandora et juste Charlotte. Intéressant Elles sont là, un peu comme deux paumés de la vie. Face à face, sans rien à se dire. Pas d'identité pour Charlotte. Enfin, plus d'identité. Personne ne l'avait prévenue, quand elle a eu son diplôme. Avec ses grands idéaux et ses grands chevaux, elle se pensait invincible, intouchable. Grave erreur blondinette.

Oui. Juste Pandora et juste Charlotte. Charlotte ; un prénom estival, qui fait penser à l'été, aux paniers de fruits, remplis de fraise et de pêches, sans oublier les cerises. Un prénom tout rose et tout doux, mignon et calme, rappellant l'écoute du printemps et les discussions du mois de Juin. Un prénom que l'on pouvait associer aux jours d'été, au soleil qui brille et aux odeur de fleurs. Pandora ; prénom issu de la mythologie grecque, apparemment destiné aux personnes avec une vie qui craint, apportant malchance, malheur, tristesse et tout le reste à la personne qui le porte, vraisemblablement. Juste Pandora, juste Charlotte.

-Oui. Sauf que toi, tu n'est pas juste Charlotte. N'est-ce pas ?

-Oui. Sauf que toi, tu n'est pas juste Charlotte. N'est-ce pas ? elle esquisse un demi-sourire jaune, amer en répondant : Si, juste Charlotte. Ca n'a pas toujours été le cas. En réalité jusqu'à quelques jours plus tôt elle était Jillian Stinson, du grand cabinet d'avocats huppés Stinson & Harris. Mais à présent elle était juste Charlotte. Comment l'avaient ils appelée dans leur scénario ? Charlotte... Smith? Oui, probablement. Quoi de plus banal comme nom de famille que Smith en Amérique du Nord? Elle trouvait que les policiers manquaient quel que peu d'imagination, mais enfin, elle n'avait pas le choix.
Le silence dans lequel elle se complaisait depuis plusieurs heures, plusieurs jours lui devint insupportable et elle décida de le briser de quelques mots, ordinaires. Ou pas. Tu es là depuis longtemps? Là dans la forêt? Là à Banff? Là sur terre ? Qu'importe...