silver moon.

Sa dignité, Chiffo l'a enterré en même temps que sa vie, son nom et ses tourments. Alors, être posé à même le sol avec une house de guitare ouverte, ça ne le touche même plus le Chiffo. C'est comme ça. Il a trop mal au crâne pour planter de foutues arbustes sous le soleil, pas assez de courage pour se parler à lui-même en cueillons des centaines de panier de fruits et vraisemblablement, chiffo a trop de choses à fuir pour bosser correctement. Il reste planté là, dos au mur et attends que le temps passe. Il y a sa guitare qui lui coupe un peu le souffle, mais ce n'est pas grave, c'est son amante, elle et il la cajole presque tendrement. C'est un ours le Chiffo, sauf avec elle. Sous le costume de musicien, il devient presque le plus doux des hommes. Tant mieux. Les gens aiment ça, les musiciens. Chiffo aussi, ça oublie tout quand ça joue.

banff avenue, à banff, c'est beau. c'est beau, et tout est beau. les boutiques sont belles. la rue est belle. les gens sont beaux. le ciel est beau. mon humeur est belle, je souris. tout est trop beau aujourd'hui pour aller ramasser des pommes. tout est trop beau pour ne pas promener. je flâne, je crie des 'bonjour' à tort et à travers, à tout le monde et sans raison. à personne. je communique ma joie, et eux la leur. c'est beau. c'est très, très beau. et le garçon, par terre avec sa guitare, lui aussi, est beau. je m'assieds en tailleur face à lui, j'écoute ce qu'il joue, et ma tête se balance. la musique finie, je tape dans mes mains. « bravo, bravo, c'est très, très beau ! » c'est beau, c'est beau, dieu que c'est beau. je vois son étui, ouvert, avec quelques pièces. je fouille mes poches. vides. une pomme. je la lui tends. « j'ai pas de sous pour toi, tu veux manger ? t'es beau, tu dois manger. » sisisi, j'ai très raison.

Le Chiffo, il se préoccupe à peine de ce qui rentre dans le ventre de son étui, à croire qu'il n'est pas tout à fait là. C'est qu'il pense surtout à sa belle qui lui réchauffe un peu l'estomac et ça lui va. Lorsqu'il se décide enfin à lever le bout de son nez, agressé par des mains qui claquent, il se reprend à cliquer plusieurs fois des paupières. Comme pour chasser une image trop vive pour ses yeux bleu. Ça lui fait toujours plaisir à Chiffo, lorsqu'on le complimente, lui et sa belle, alors il ne se voit pas jouer le grognon. Il essaye de sourire un peu, juste en étirant ses lèvres et hoche la tête. L'art d'avoir l'air sympa selon Chiffo, c'est tout, un, art. Ouai, ouai, merci... Il se frotte un peu la nuque et fixe d'un drôle d'air la pomme en face de lui. Une pomme. Qu'est-ce qu'il peut bien faire d'une pomme ? La planter ? Dans son vanne ? Afin d'avoir un petit jardin fleuris ambulant ? N'importe quoi. Mais pourquoi tu te balades avec des pommes comme ça ? Il se penche un peu, fouille dans son étui en fronçant les sourcils. Au bout de quelques secondes à farfouiller, il ressort enfin son couteau avec air victorieux. T'as pas la dalle toi aussi ? Il attrape la pomme entre ses doigts, souffle un peu dessus et la coupe en deux. Tient, je n'ai pas envie d'avoir un mort de faim sur la conscience... Et c'était ça, sa façon à lui d'être cool.

le beau, il me sourit. il me sourit, avec son beau petit sourire, et je souris aussi. il en faut peu pour être heureux. un beau sourire, c'est bien, bien satisfaisant. je lui tends une pomme, et il la regarde tellement bizarrement que je me dis que je devrais peut-être la ranger, peut-être qu'il n'en veut pas, de ma pomme. elle n'est pas empoisonnée, pourtant, pas comme la pomme rouge de cendrillon. à moins que ça soit jasmine, qui ait reçu une pomme rouge ? oh, je ne m'en souviens jamais, jamais. j'aime pas les disney, de toute façon. on s'en fout, du coup. et de toute façon, je ne saurais même pas comment empoisonner une pomme. mais pourquoi tu te balades avec des pommes comme ça ? j'hausse les épaules. « ben. j'ai souvent faim, alors quand je vais les ramasser au verger, j'en garde un peu pour moi, comme ça, tu sais, quand j'ai faim, j'en mange une. » nouveau haussement d'épaules. « en plus, c'est bon pour la santé les pommes, tu sais ce qu'on dit 'an apple a day keeps the doctor away', et j'ai pas assez de sous, moi, pour aller chez le docteur, alors je pique des pommes. » grand sourire. ça tient assez sa route, ma logique, je trouve. mais il finit quand même par la prendre, ma pomme, donc j'dois pas faire siiiiii peur que ça, quand même, du coup. j'attrape la moitié qu'il me tend et croque dedans. « oh, merci, c'est gentil » il est gentil le beau, très gentil, même. je l'aime bien. je garde mes yeux sur lui, sur sa guitare, sur son étui. je réfléchis, je finis ma demi-pomme volée. « tu gagnes beaucoup en jouant dans la rue ? tu devrais jouer dans des bars, t'es doué, tu gagnerais plus que des pommes, y aura du monde, et ça serait cool, et puis peut-être qu'un jour tu donnerais des vrais grands concerts et tout, ça serait cool, non ? »

Pour une fois, le Chiffo écoute ce qu'on lui dit avec un petit air intéressé. Il hoche doucement la tête, comme pour montrer que son esprit n'est pas parti ailleurs et se retient de soupirer. Il a l'air un peu simplet, ce garçon quand même. Chiffo n'a rien contre les gens dont le cerveau ne vole pas très haut, mais ça le surprend toujours un peu. C'est qu'il ne sait jamais quoi dire. Chiffo non plus, n'a pas assez d'argent pour se faire soigner, il essaye toujours d'avoir le stricte minimum dans son van et lorsque ça ne suffit pas, Chiffo tente de se souvenir des astuces venu d'un autre temps qu'il a appris au fil des routes. Il croque dans sa pomme et glisse un léger regard à son étui. Avec tout ça, il va peut être pouvoir s'acheter une boite ou deux. Tu bosses au verger du coup si je comprend bien ? Chiffo a presque l'impression que son regard parle pour lui 't'as la foi', qu'ils disent, ses yeux. Les pommes, ça va pas te sauver mon gars. Mais les vieux oui. Il croque à nouveau dans la pomme avant de s'expliquer un peu mieux. T'sais, ils connaissent toujours dix mille trucs pour se sauver la vie. Va traîner dans les maisons de retraite, pas sous le soleil, comme ça. Chiffo n'a pas l'impression d'être cynique. Bien au contraire, des vieux qu'il n'oubliera jamais, il en a rencontré tout un tas. Il se permet de lui sourire un peu pour le rassurer. Si la rue paye bien ? Ca dépend des jours, de l'allure de Chiffo. Mais jouer dans un bar, jamais. donner de vrai concert, jamais non plus. Il a trop peur de savoir où ça mène, ces rêves-là. Chiffo préfère le trottoir. Selon les jours, je peux me faire jusqu'à 30 dollars et là, c'est le pied. Mais je jouerais jamais dans un bar. T'sais pas où ça mène les bars. Et y'a trop d'alcool de toute façon. Il marmonne et tire à nouveau la tronche. C'est quoi ton nom ?

je lance, je balance tout ce que j'ai en tête. tout ce que je pense, je le dis. sans même réfléchir avant. ça marche comme ça, avec moi, je parle, je parle et je réfléchis après. si toutefois je réfléchis, ce n'est pas toujours le cas. c'est pour ça aussi, que des fois, mes phrases ne font pas forcément de sens. j'hoche la tête pour acquiescer. c'est bien ça, je bosse au verger. et lui aussi, il parle beaucoup. il dit des choses que je ne suis pas sûr de comprendre. je ne veux pas bosser avec les vieux, moi. ils sont séniles, et il faut changer leurs couches, non merci. je préfère encore me brûler sous le soleil avec mes pommes. « c'est que, ça rapporte beaucoup d'argent les pommes au verger, et j'ai besoin de beaucoup d'argent, alors ça me convient, alors que les vieux.. sans façon. » non pas que je ne les aime pas non plus, papi et mamie sont de très bonne compagnie. peut-être parce qu'ils savent encore aller aux toilettes. mais alors moi, je gagne mes sous avec mes pommes, et lui, avec sa guitare ? j'hausse les épaules. soit, pas les bars alors. « mais, ça te suffit pour vivre, trente dollars par jour ? » peut-être qu'il ne mange pas beaucoup. peut-être qu'il ne se douche que deux fois par semaine. peut-être qu'il dort dans une tente. peut-être. il tire la tronche, et d'un coup, il devient moins beau, le beau. mais rien qu'un peu moins beau, il l'est quand même toujours. « euh.. fleur.. » je chuchote et baisse les yeux. si j'ai honte ? oh, rien qu'un peu. j'ai surtout peur qu'il se moque, tiens. « et toi, alors ? »

Chiffo le sait bien, que ça rapporte beaucoup d'argents de cueillir des fruits, mais ça rend fou et il se dit qu'il suffit de lever les yeux pour le constater. Chiffo n'a pas vraiment envie d'imaginer ce qu'il pourrait donner s'il se mettait à s'agiter joyeusement comme ce gars-là. Et vraisemblablement, le bonheur ne va pas à tout le monde et c'est bel et bien son cas à lui, le Chiffo. Alors soit, il n'aime pas les vieux. C'est dommage pour lui, il n'a pas conscience de toutes les belles choses qu'ils ont à raconter. Tu vas te griller le cerveau à force tu sais. Sa voix est presque douce, lorsqu'il souffle ça. Tu cherches quoi dans ta vie, pour avoir besoin d'autant d'argents ? Il se frotte la nuque et laisse sa guitare glisser légèrement contre son torse. Le Chiffo n'arrive plus à comprendre ces gens qui cours après les pièces de monnaies. Lui, il a apprit à faire avec ce qu'il a, absolument tout ce qu'il a et si cette vie-là peut lui éviter de chavirer, alors ça lui va. Bah ouai, 30 dollars, c'est suffisant pour acheter le strict minimum. Je vis dans un van t'sais, je n'ai pas de factures à payer. Juste l'essence alors quand je dois rouler, je bosse un peu plus. C'est là que Chiffo s'en va lui aussi se griller les neurones pour cueillir des pommes. Mais pas en ce moment non, en ce moment, Chiffo n'a pas envie de bouger, c'est qu'il est bien ici. Fleur...c'est sympa. Il souffle doucement et le regarde de haut en bas. Il en vient à se demander pendant quelques secondes si ce garçon ne se fou pas de sa gueule avec de se souvenir de son propre prénom. Fleur, c'est peut être un costume pour avoir l'air plus beau. Chiffo. Après-tout, il a bien un costume, lui aussi.

ah, ramasser des pommes ça grille le cerveau ? ah, c'est que, j'en apprends tous les jours, il faut croire, en fait. j'hausse les épaules. « ça fait longtemps qu'il m'en manque des neurones alors tu sais, quelques uns en moins, au point où j'en suis, y a plus grande différence » un léger sourire. c'est vrai, quoi, c'est pas le soleil qui me rendra plus à la masse que je ne le suis déjà bien souvent. et ouais, ouais le soucis c'est que j'ai clairement besoin de tout cet argent. « j'cherche à aider ma sœur qui s'est mise dans la merde et n'arrive pas à s'en sortir toute seule » voilà, voilà, ça veut jouer les grandes filles, mais heureusement, ah ouais, heureusement qu'y a le grand frère pour veiller au grain, quand même. et alors que moi je cherche à entasser les billets, y a lui, qui se contente d'une trentaine de dollars. ça doit être ça, de vivre simplement. sans factures, sans contraintes. « oh, un van, ça, c'est cool. vraiment. » vraiment vraiment vraiment. j'veux dire, vraiment. vient le temps des prénoms. 'c'est sympa'. ahah. il se moque de moi ? non, même pas, il n'en a même pas l'air, vraiment pas. « tu trouves vraiment ça.. sympa ? wow. » si je m'attendais à cette réaction, c'est sûr que non. « chiffo, ça, c'est original, tiens. c'est un surnom ou ton prénom ? » chiffo, en prénom, ça me semble bien étrange. ceci-dit, je ne sais même pas d'où il vient, le chiffo. ni d'où il vient, ni où il va. ni qui il est. « et toi, tu cherches quoi, à banff ? »

Ce mec est donc bel et bien fou. Ou juste con. Le chiffo siffle dubitatif et glisse un regard morne sur la silhouette du garçon. C'est qu'en plus d'être étrange, il lui fait perdre du temps et de l'argent. Il n'a plus vu de pièces depuis que l'autre c'est planté là et Chiffo a bien peur qu'il reste devant pour un petit moment encore. Alors bon, qu'est-ce qu'il peut bien y faire ? depuis qu'il est arriver à banff hier, chiffo n'a pas réellement pris la peine de discuter avec qui que ce soit. Et il lui a passé une pomme. Chiffo a conscience d'être insupportable, mais quand même, quand même, pas à ce point-là. Alors il se concentre sur son visage, sur ses mots et efface un peu de son air peu avenant. Tu te dénigres un peu là. et il ajoute, doucement. Même si t'as l'air d'avoir raison. Il est terriblement sérieux, pas méchant non, juste sérieux. Pour ta sœur ? Chiffo fronce les sourcils. Ouai, je suppose qu'on a tous ses raisons. Chiffo n'aime pas qu'on lui pose trop de questions, alors il n'a pas envie de savoir le pourquoi du comment. Ce qu'on ne veut pas pour soi, on ne peut pas l'imposer aux autres. Ça devrait fonctionner comme ça. très cool, mon van, t'en trouveras pas de plus classe que lui. Il est sincère le Chiffo, il aime tout de sa camelote sur roues, même ses défauts. Bah, tu sais, c'est sympa les fleurs. Il se renfrogne un peu lorsque la fleur lui pose une nouvelle question. Il n'a rien à dire sur ça. C'est Chiffo, Point. Alors il se contente de laisser passer un peu temps, un peu de temps et une question qui le gêne un peu moins. De l'argent. Je vis sur les routes mais j'en ai plus. Alors je vais vivre dans le coin le temps de pouvoir repartir. Il baisse les yeux et fusille du regard l'étui décidément trop vide. J'ai envie d'aller au Groenland. Et maintenant, le fou, c'est lui.

j'me dénigre, j'me dénigre. ouais, si on veut. moi, j'aurais plutôt quand même tendance à dire que je me tourne en auto-dérision, peut-être. et puis, de toute façon, non, ça n'est pas bien grave si je devais perdre quelques neurones au soleil, il faut bien les mériter ces quelques dollars, je crois. « oh, je n'suis pas si con qu'il n'y paraît en vérité tu sais, j'suis juste.. heureux » heureux de vivre, ouais. un peu simplet. alors forcément, c'est sûr qu'avec un air de simple d'esprit, je n'peux pas sembler intelligent. un point pour le barbu. j'hoche la tête. oui, oui, pour ma sœur. mais ce n'est pas la peine d'entrer dans les détails non plus, il n'a pas besoin d'être noyé dans l'histoire de ma vie, non plus. « oh j'aurais bien aimé avoir un van, mais c'est que ça coûte cher pour l'antiquité que c'est, quand même » ça c'est sûr, les combi volkswagen coûtent extrêmement cher, et alors ceux en état potable sont clairement inabordables, autrement dit, pas du tout dans mes moyens. j'suis bien finalement avec mon vieux tas de ferraille resté à la maison. puis j'hausse les épaules. ouais, ouais, les fleurs c'est sympa. les mecs qui s'appellent fleur, un peu moins à ce que j'ai cru comprendre ces quinze dernières années. mais lui, il m'dit pas pour son prénom ou surnom, j'sais pas trop. il m'ignore, alors je laisse tomber. allez, on a tous droit à nos secrets, sinon on n'serait pas venus ici, j'imagine. « au groenland ? mais.. pourquoi faire ? il n'doit pas y avoir grand chose à voir là-bas, et puis, il doit faire suuuuper froid, j'veux dire, encore plus qu'ici.. » non, non, le groenland, je n'comprends pas. il m'aurait dit l'afrique que j'aurais sans doute plus compris. mais le groenland.. non, j'vois pas.

» i'm a rocket to the moon
» moonlight ▸ moon
» blue moon.

silver moon.

silver moon.

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