et ça arrive, encore. la douleur te ronge les muscles des jambes. elle te brûle, elle te lacère, elle te taillade. t'as l'impression que c'est la fin, encore. encore, encore, et encore. la fin est sans fin. et tu ne peux plus supporter ça. alors tu roules dans ton fauteuil roulant jusqu'au 210 wolf street. le banc caché par le kiosque à journaux. « c'est toi, gus ? »

tu sifflotes dans la rue, t'as l'sourire aux lèvres, t'as l'sourire aux yeux. tu chantes comme un fantôme de la nuit, qui s'évade quelques heures puis retourne dans sa tombe. t'es p't'être loin, toi aussi. t'es p't'être là-haut, t'es p't'être parti. t'as les yeux rouges, gus, un peu trop pour qu'ça soit vrai,
un peu trop pour qu'ça soit
pour qu'ça soit la vie.
silence. tu te poses, t'attends, tu te tais. tu tournes ta casquette, tu fumes ta clope, t'inspires de l'air, t'expires du gaz, tu te consumes. " fauve " tu murmures. t'es rassuré, t'es étonné. tu pensais pas à ça, tu pensais pas, t'imaginais pas, tu réfléchissais pas. tu t'es dit tiens, qu'tu pouvais aider. dépanner, souffler, tenter. " t'as vraiment besoin d'ça ? " tu t'assures. c'est pas conventionnel, la souffrance. t'as vécu ça, tu veux juste être sûr qu'elle sait, qu'elle sait qu'tout n'sera pas forcément blanc après.

il y avait un temps où tout était simple, où tout était beau. il y avait un temps où tu ne te souciais de rien. il y avait un temps où tu souriais pour rien. il y avait un temps où tu étais heureuse.
envolé, le bonheur. envolé, l'insouciance. tout ça avait fait place à la pénombre. à la douleur. aux remords. et encore à la douleur. la douce et délicieuse douleur qui te consumait de l'intérieur. « qu'est-ce que tu veux en échange ? » tu ne réponds pas à sa question. tout simplement parce que tu ne veux pas connaître la réponse. tu nies, c'est ce que tu sais faire de mieux. est-ce que tu en avais vraiment besoin ? non. peut-être. oui. t'en savais rien. ce que tu sais, c'est que tu souffres.

tu la vois et tu t'vois. tu vois la douleur et la souffrance. tu t'dis merde, pourquoi elle. comment ça peut tomber sur une personne, une personne parmi tant d'autres. tu t'dis merde, t'as vraiment raison d'pas prier. à quoi ça sert de prier quand tu t'fais traiter de pauvre con toute la journée. tu sais qu'y'a personne dans l'coin à c't'heure-ci, tu sais qu'la vie oublie ce détour du paradis. " tu testes, tu m'dis si ça t'va et on voit pour le reste après " tu souffles en coinçant le joint qu't'as déjà roulé entre tes lèvres vermeilles. toi aussi t'as voulu oublier la douleur. mais tu t'en es jamais sorti.
t'as encore mal à la tête
ça t'creuse un trou dans l'coeur.
tu lui tends. toi ça t'soulage, tu l'sais. bientôt, dans quelques minutes, tu t'sentiras mieux. tu veux juste savoir si elle est prête. t'en as pas l'impression. tu veux pas l'abandonner
la lâcher
face à un putain d'pochon qui a l'goût d'la passion mais qui pue le poison.

elle l'a mérité, elle dit. tu hoches la tête, comme pour dire ouais, désolé. tu l'as mérité. tu t'en fous qu'elle l'ait mérité, toi. ça change rien à ta vie, ça change rien à la donne. tu t'en fous, du moins, t'essaies d'y croire. t'es curieux, gus. de cette curiosité malsaine qui peut prendre n'importe qui. cette curiosité qui s'éveille uniquement quand quelque chose de différent, quand un truc exceptionnel te tombe dessus. tu t'demandes si elle est exceptionnelle. tu revois ses cheveux bleus et tu t'dis qu'oui. " tu sais, t'es pas la première personne que j'vois en fauteuil roulant et tu seras pas la dernière. c'est pas parce que j'te regarde que j'vois forcément une bête de foire, une malade, une étiquette " tu souffles et tu lui passes le joint. ça t'énerve un peu, ça. elle veut pas qu'on la traite comme une victime mais elle nourrit elle-même le problème, en t'accusant d'office. c'est elle qui t'voit la regarder différemment. c'est elle qui interprète ton regard. du moins, encore une fois, c'est c'que tu crois. elle est pas différente, elle peut juste pas marcher. ça change quoi. ça change rien, ça t'change rien. " prends des plus petites bouffées " tu dis plus doucement. tu veux pas d'malaise, toi. alors tu souris. c'est vrai, vous avez mal commencé. t'as envie d'te présenter à nouveau. d'dire salut, moi c'est gus. lui tendre la main et discuter normalement. mais t'y arrives pas, alors tu t'contentes de te remettre à siffloter.

une claque, une grosse claque. en plein visage, comme ça. sans que tu t'y attendes. ça fait mal. ça fait si mal. mais tu sais que tu l'as mérité, ça aussi. t'en avais besoin, de cette claque. et personne n'avait osé te l'a donner jusque-là. personne. sauf ce gus. « merci. » il a bien fait. il le sait, et tu l'sais. ça a beau faire mal, il fallait qu'tu l'entendes. des plus petites bouffées, il faut prendre des plus petites bouffées. tu t'exécutes, et ça va mieux, tes prunelles bleutées se perdant dans le ciel ennuagé. le silence. il est beau, le silence. il est précieux, le silence. la douleur qui tiraillent tes jambes s'estompe quelque peu, laissant place à un doux sourire sur le bord de tes lèvres. tu souris. enfin. « désolée. » il ne doit pas avoir une belle image de toi, le garçon. « je suis désolée. » peut-être qu'il n'a pas bien entendu. « je... ce fauteuil me rend paranoïaque, j'ai l’impression qu'on ne voit plus que ça. qu'on ne me voit plus, moi. et ça me tue. » tu souffles en posant finalement tes yeux sur le jeune homme. « ça me tue. » tu murmures, seule, face à ta vulnérabilité. pourquoi ta langue venait-elle de se délier ? pourquoi venais-tu de faire une confidence de la sorte ? instantanément, tes joues deviennent vermeilles. tu es embarrassé, belle estropiée, toi qui d'habitude est si réservée.

c'est toujours pareil, de toute façon. t'étais pareil. tu voyais qu'ça, la compassion des autres. leurs sourires et leur intérêt malsain. toi aussi, tu t'es énervé. toi aussi t'as voulu leur cracher dessus. leur arracher leur curiosité. t'aimerais bien lui dire qu'tu comprends, à fauve. t'aimerais bien lui dire de pas t'remercier. mais t'es un partisan des petites choses toi. t'aimes pas gâcher les mots. tu préfères lui montrer, lui expliquer. lui dire comment s'y prendre, avec cette herbe. y'a pas grand chose qu'tu maîtrises, gus. mais ça tu connais. c'est con à dire mais ouais, tu sais t'y faire quand il s'agit d's'évader. d'vouloir s'enfuir. d'arrêter d'souffrir. tu t'pinces les lèvres et tu l'écoutes, fauve. tu la fixes pas, tu sais pas regarder les autres dans les yeux. t'as toujours été un p'tit fuyard. " c'est qu'une question de perspective. c'est à toi d'te battre. c'est toi qui te convaincs qu'les autres te réduisent à ce fauteuil. et plus tu t'en convaincs, plus tu t'effaces. plus tu t'effaces, plus on voit ton fauteuil. c'est con, parce que c'est faux. moi c'est tes yeux bleus que j'ai vu en premier " tu tournes ta casquette en arrière et tu te détends. tu t'appuies contre le banc et tu t'autorises enfin à lever le regard. ça la tue. et putain, t'as envie d'lui dire que non. qu'elle a pas l'droit d'se laisser tuer. elle vaut mieux qu'ça, mais faut qu'elle commence par y croire elle-même.

t'aimes bien conseiller, toi, gus. t'aimes bien saisir le problème, t'aimes bien l'analyser, t'aimes bien chercher à l'briser. c'est ta nature, sûrement. tu préfères donner aux autres plutôt que t'donner à toi-même. toi, tes problèmes, tu les fuis. c'est bien comme ça qu'tu t'es retrouvé sur ce banc, dans cette ville, à vendre de la drogue à une quelconque inconnue. t'as beau t'dire mais non, mais non c'est fauve, c'est plus une inconnue. la réalité elle est là, p'tit gus. tu t'es égaré, quelque part sur le ch'min qui régissait ta petite existence. " c'est toi qui m'as dit d'arrêter de t'regarder, c'est toi qui as cherché à t'battre. t'en es capable " tu récupères l'espace d'un instant le joint. t'as b'soin d'une taffe, deux, trois. t'as b'soin de sourire, toi aussi. t'as b'soin de te détendre. tu t'sens bizarre, gus. tu t'sens un peu mal. d'un côté t'es heureux, heureux d'la voir sourire. tu t'dis que peut-être t'as dit un truc bien. puis après tu penses à la drogue, tu penses à la fuite. et tu t'dis merde, tu t'dis qu'c'est pas parce que tu fous ta vie en l'air que tu dois la pousser vers le même chemin. " la vérité vraie " tu souris à ton tour. t'aimerais bien dire une connerie, dire qu'tu fais ça juste pour passer l'temps. pour gagner un peu d'argent, pour t'offrir une dose d'euphorie occasionnelle. mais tu sais qu'ça, ça c'est loin d'être la vraie vérité. t'es dépendant, ni plus ni moins. " quand j'étais ado mon père est mort d'un cancer. après quoi j'ai commencé à développer des migraines aiguës. plus j'me soignais, moins ça passait. ça s'intensifiait, ça passait avec rien. du coup j'ai commencé ça, et j'me suis plus arrêté ", t'as l'air tranquille en disant ça, gus. pourtant t'as ton cœur prêt à exploser. tu serres les dents, tu feins un sourire. tu lui rends le joint. main sur le visage, tu t'frottes les yeux. " enfin t'inquiètes, c'est pas ça (t'indiques le joint) qui rend complètement dépendant hein. c'est moi, c'est tout. j'veux dire, chacun vit le soulagement comme il le peut " toi t'as décidé d't'y enfermer, d'plus l'quitter. parfois ça t'fait peur, mais souvent ça t'convient.

fauve, fauve, fauve. tu te sens ridicule, parfois, fauve. sans protection, sans rien. à découvert, tu te sens minable. pitoyable. t'as plus l'impression d'être grand chose, fauve. tu t'caches derrière ton fauteuil, alors que tu t'plains qu'on te confonde avec ton deux roues. tout ce que tu fais n'est que contradiction, et tu t'en rends compte. pauvre toi. pauvre gus, qui voit tout ça. tu n'lui réponds pas, tu n'sais pas s'il y a quelque chose à répondre. il dit que tu t'es battue, sans même t'en rendre compte. tu n'sais pas, tu n'sais vraiment pas. t'es plus sûre de savoir quoi que ce soit de toute façon. pourtant tu souris, parce qu'il dit qu'il a remarqué tes yeux en premier. ça t'fait plaisir, vraiment. si tu n'avais pas été dans ce fauteuil, cette remarque ne t'aurait fait ni chaud ni froid. mais là, c'était différent. tout était différent, à cause de ce fauteuil.« ils ont toujours fait un effet monstre, mes yeux. » tu rajoutes finalement en lâchant un léger rire, avant de lui poser une question peut-être un peu trop intime. tu l'écoutes, attentivement. c'est triste, beaucoup trop triste. la vie est triste. instinctivement, ta main va chercher la sienne, pour entremêler tes doigts aux siens. ce n'est pas de la compassion, ce n'est pas de la pitié. tu ne sais pas ce que c'est, mais ce n'est rien de tout ça. tu attrapes le joint de ta main libre, prenant une taffe, encore. « on s'accroche tous à la facilité. » tu conclus dans le vide. tu t'sens mieux. t'es pas au top, mais tu t'sens mieux, c'est déjà ça. tu prends une autre bouffée, recrachant la fumée en penchant ta tête vers le ciel, les yeux clos, profitant de la brise d'air qui caressait ton visage. tu souris. « je veux danser. » tu murmures tout bas, sans rouvrir les yeux. pas encore, pas maintenant. tu préfères qu'on te laisse rêver, qu'on te laisse danser. ton imagination était ta meilleure amie. et ta pire ennemie.

Spoiler:

et tu lâches un rire cristallin, franc, aux paroles de gus. fauve la prédatrice. tu avais pour habitude d'user de tes charmes, de tes atouts, de tes yeux, pour séduire. avant. avant tout ça.  maintenant, ce n'était plus pareil. tu avais perdu cette confiance en toi qui te qualifiait tant. elle s'était envolée avec tes jambes. « si tu savais les ravages qu'ils font. tu pourrais tomber amoureux. » tu souris, encore. t'es pas sûre de le penser. t'es pas sûre qu'on puisse encore tomber amoureux de toi, dorénavant. t'es perdue, fauve, t'es brisée. mais tu souris. même si tu n'es pas sûre de pouvoir te retrouver, même si tu n'es pas sûre qu'on puisse te recoller, tu souris. est-ce que c'est toi, ou est-ce que c'est l'effet du joint ? t'en sais rien. t'en sais foutrement rien. mais t'es mieux. tu vas mieux, là, maintenant, en cet instant. t'as attrapé la main de gus, sans savoir pourquoi. peut-être pour lui faire comprendre que t'es là. qu'il n'est pas seul. que personne ne mérite d'être seul. que tu comprenais son mode d’échappatoire. toi aussi, t'as envie de t'échapper. de tout ça, de la vie. t'as envie de danser, t'as envie d'bouger, t'as envie d'te tortiller. est-ce que ça t'ferait mal ? tu rouvres les yeux pour poser tes prunelles océan sur gus, puis sur ta taille. tu les sentais encore, tes jambes. tu les sentais. tes muscles et tes nerfs étaient juste foutus en l'air, incapable de te faire tenir debout plus de deux secondes. et l'opération état cher, beaucoup trop cher. « tout fait mal. » même ton coeur. oui, même ton coeur. ton putain d'coeur. « mais non, j'suppose que non. » ça t'ferait pas mal. pas plus que maintenant. la douleur, c'était ton quotidien. tu étais au summum, rien ne pourrait être pire. comment comptait-il te faire danser, gus ? comment comptait-il te faire oublier ?

il est beau son rire à fauve, tu penses. toi t'as un problème avec ton rire, avec ton sourire aussi d'ailleurs. ça t'gêne, de t'laisser aller. c'est peut-être depuis qu'ton père est mort ça, t'en sais rien gus. mais tu fuis les regards, tu t'caches pour sourire. t'es pas très expansif, comme mec. parfois tu trouves ça con, parfois tu t'dis qu'c'est ridicule ça, la honte. mais t'y peux rien. faut croire que c'est la nature humaine, faut croire qu'elle te réussit pas, toi, ta nature humaine. " t'en sais rien toi, ça s'trouve le charme est déjà fait, ça s'trouve j'le suis déjà, amoureux " tu murmures en soulevant un peu les yeux. c'est clair qu'des yeux comme ça, toi, ça t'rend dingue. tu serres sa main, tu veux plus la lâcher. elle a raison, fauve. tout fait mal. sa vie, la tienne. la lumière des étoiles, le coucher du soleil. cette fin de joint qu't'écrases sur le sol et qu'tu remplaces aussitôt par un autre. tu sais pas trop c'que tu fais, gus. tu passes une main sous ses genoux et une autre autour de sa taille. tu la libères de ce fauteuil, de sa prison. tu t'démerdes tant bien que mal pour le replier avec ta jambe, ta main. tu la lâches pas, fauve, tu veux qu'elle s'accroche, qu'elle t'fasse confiance. " j'suis pas très bon moi, j'sais pas trop danser. mais j'connais un endroit où n'importe qui saurait danser. tu m'suis ? "  tu souris, c'est pas comme si tu lui laissais franchement l'choix maintenant. tu veux danser fauve, c'est toi qui l'as dit. tu vas la faire danser, gus, ça tu t'le promets.

Spoiler:

y'a kurt cobain qui reprend bowie. c'est peut-être pas la meilleure des chansons pour danser, mais ça te dérange pas gus. t'es même sacrément heureux en entendant ces premières notes. fauve elle te dit que c'est parfait. tu sais pas vraiment si ça l'est, parfait. t'as eu cette idée, c'est tout, tu t'es simplement dit que ça pourrait être chouette. avec des yeux bleus comme les siens t'as pensé qu'elle pouvait qu'aimer ça, l'eau. puis t'en rêvais, intérieurement, d'voir le reflet brillant dans ses perles. y'a un truc énorme qui te prend le coeur quand tu vois cette expression sur son visage. t'as l'impression d'avoir réussi un truc, ça oui, t'as l'impression d'enfin avoir réussi un truc dans ta vie. tu l'as rendue heureuse. l'angoisse qui t'prenait la gorge finit par dégager. casse-toi l'angoisse, tu t'dis. elle s'casse. tu baisses les yeux, tu souris et tu plonges. t'es pas patient, toi. tu penses même pas à t'débarrasser de ta chemise, de ton jean. ça t'arrache un rire, t'as cette sensation de braver les interdits. tu te mets à siffloter the man who sold the world quand ta main saisit celle de fauve. elle est belle, fauve, tu t'dis. elle est belle quand elle s'libère et qu'elle commence à vivre. pour toute réponse tu lui serres la main plus fort. tu vas pas la laisser tomber, t'es pas comme ça toi. t'abandonnes pas les gens quand tu leurs offres une part de ton cœur. elle s'agrippe et elle te rejoint. y'a un rire qui s'échappe un instant, une seconde fugace, de tes lèvres. l'eau est chaude, son sourire est beau. un peu comme un soleil. c'est beau un soleil, tu t'dis. " un fauve à l'eau " tu murmures en la serrant contre toi. tu la regardes, tu la regardes " laisse-toi aller, ici t'es libre " ici c'est toi qui mènes la danse, fauve.

deux enfants, vous étiez deux enfants. à rire pour des broutilles, à découvrir la vie. deux enfants heureux. tes yeux brillent, fauve, tes yeux scintillent. ça faisait longtemps que tu ne t'étais pas sentie comme ça, fauve. ça faisait beaucoup trop longtemps. t'as plus l'habitude, non, vraiment plus. ton cœur est près à exploser dans ta poitrine. tu n'peux même pas mettre de mots sur ce que tu ressens. c'est ça l'bonheur, sûrement. c'est beau l'bonheur. c'est beau aussi quand il sourit, gus. il souriait pas tout à l'heure, il riait pas. il doit être sûrement aussi brisé que toi. c'est triste, mais tu t'sens moins seule. tu t'sens moins vide.  t'es plus beau quand tu souris, tu dis sans réfléchir. tu ne réfléchis pas, tu ne réfléchis plus. tu t'sens bien, tu t'sens légère dans l'eau. tu t'accroches à gus, et ta peur disparaît peu à peu. tu t'sens libre. tu t'laisses aller au rythme de la musique, doucement. tu fermes les yeux et tu danses. toi, l'estropiée, tu danses tout en restant contre le jeune homme. un sentiment de plénitude et de bien être t'envahi. ton sourire ne te quitte plus. ton fauteuil ne t'emprisonne plus. tes jambes ne te bloquent plus.  merci, tu murmures finalement en rouvrant les yeux afin de pouvoir regarder gus. merci, vraiment.

t'es plus beau ? tu souris. elle te touche, fauve. avec ses mots et son regard. ça t'chamboule un truc, la tête, le cœur peut-être. t'as envie d'sourire. tu t'sens pas forcé, tu t'sens pas gêné, tout va bien. t'es peut-être un peu high, gus, t'es peut-être un peu stone. tu t'demandes si ça joue, si ça joue sur ta manière d'être, sur ta manière de prendre les choses en main, sur ton envie d'vouloir réaliser les rêves de fauve. est-ce que tu serais pareil si t'étais clean, gus ? tu t'souviens pas d'la dernière fois qu't'as passé une journée sans rien consommer. vingt-quatre heures, vingt-quatre heures c'est pas beaucoup, pourtant. mais pour toi c'est énorme. tu vois plus les nuits, tu vois plus le jour. juste une succession de secondes qui filent et défilent. ton monde c'est qu'un artifice, gus. tu t'drogues pour vivre et tu prends des cachets pour dormir. elle est où la réalité là d'dans ? t'as peur d'un coup. puis fauve te remercie et ça t'ramène à la vie. t'as pas la sensation qu'le temps est en train de filer, là. t'as pas l'impression de sacrifier ton existence. c'est comme si ton monde s'était remis à tourner. alors tu tournes avec lui, tu tournes avec elle. tu la serres dans tes bras, tu t'sens un peu con là avec ta chemise trempée, mais t'as pas envie d'bouger. pas envie d'la lâcher. jamais. " elle tourne ta terre à toi ? " tu d'mandes. ça veut rien dire putain gus. tu t'mords la lèvre, tu t'sens ému, tu t'sens envahi par un truc très fort, trop fort. un truc que t'as peur de pas savoir contrôler. t'es qui fauve, comment t'arrives à m'ensorceler ?

tu avais conscience que ce n'était qu'éphémère, fauve. qu'une fois sortie d'ci, tu retrouverai ta prison dorée. et tu cesseras de danser. tu l'sais, tu l'sais très bien. mais ça ne t'attriste pas. pas là, pas maintenant, pas tout de suite. tu veux profiter, fauve. tu veux profiter de cet instant, de ce moment. sur la musique, tu vas tu viens, corps contre corps, main dans la main. plus rien n'existe, plus rien de rien, mis à part lui et toi. c'est comme ça qu'tu t'sens libre, à bouger tant bien que mal dans l'eau chaude. à bouger tout court. à sentir ton cœur battre plus vite dans ta poitrine, à avoir les muscles des joues qui te tiraillent à cause de ton grand sourire. c'était ça, ta liberté à toi. ta liberté que tu ne voulais pas quitter. est-ce qu'elle tourne, ta terre à toi ? t'en sais rien, fauve, t'en sais foutrement rien. est-ce qu'il te reste une terre, même ? tu vis sur la terre des autres, comme un vagabond.  elle n'est plus belle, désormais, ma terre à moi. j'n'ai plus aucune de raison d'la faire tourner... et toi, dis ? t'as l'impression d'parler un autre langage, fauve. et que personne mis à part gus ne pourrait comprendre tes paroles. c'est bizarre comme sentiment qui t'attrape à la gorge, c'est étrange. tu n'peux même pas le décrire. tu t'sens complète, mais en même temps, il y a ce truc. ce truc qui malmène ton cœur, ton pauvre petit cœur. ça fait du bien mais ça fait mal. c'est une agréable douleur, une douce et agréable douleur qui s'empare de toi, toute entière. serait-ce gus, qui t'envoute et te captive ? serait-ce gus, qui te faisait ça ? tu l'regardes, tu n'arrêtes pas de le regarder. et tu l'regardes encore. tu détailles les traits de son visage, tu observes. tu regardes ses lèvres qu'il se mord. tu regardes ses lèvres. tu penses à ses lèvres. pourquoi est-ce que tu faisais ça ? pourquoi même est-ce que t'y pensais ? ne fais pas ça, belle estropiée. ne fais pas ça, tu vas encore tomber.

tu flippes complètement, gus. à croire qu'tu découvres enfin c'que c'est, la peur, la douleur. t'avais pour habitude de fuir tout ça, toi. d'pas y penser, d'oublier. t'es pas d'ces types qui s'prennent la tête pour un oui ou pour un non. t'as passé des années à vouloir te vider la tête, sans penser aux conséquences, sans penser à la douleur qu'tu provoquais tout autour de toi. tu t'rappelles des innombrables disputes avec ta mère. tu comprenais pas pourquoi elle s'inquiétait. pourquoi ta sœur était revn'ue de marseille pour te faire la morale. t'es grand, gus, tu t'es toujours considéré comme un grand bonhomme. pourtant t'es qu'un p'tit gamin. t'as jamais vécu ça. ce sentiment d'oubli. pas l'oubli d'soi-même - non, ça tu connais -, mais l'oubli des autres. y'a qu'fauve et toi. vous deux. et c'est tout c'qui compte. c'est marrant, comme sensation. tu t'demandes si tu t'emballes, si c'est cette beuh qui te retourne la tête. pas possible, tu t'dis. y'a un truc qui s'passe, c'est certain. " moi elle tourne plus depuis longtemps " t'admets, un peu gêné, un peu effrayé. c'est la première fois qu'tu t'en rends compte, gus. qu'tu mets des mots sur le problème. et putain, t'as l'impression que quelque chose est en train de te lacérer le cœur. tu serres les dents, tu serres sa main un peu plus fort. " mais là ça va. enfin, quand j'suis avec toi ça va. c'est marrant, c'est comme si tout prenait du sens, c'est comme si j'comprenais " tu comprends quoi, gus ? qu't'as déjà perdu trop d'temps ? t'amorces un sourire et t'as du mal à t'retenir toi aussi, quand tu croises son regard. t'en as marre de t'retenir, gus. alors t'approches ton visage et tu poses tes lèvres contre les siennes. et tant pis pour le reste. et tant pis pour la vie. c'est pas tous les jours qu'la terre se remet à tourner.

toi qui étais une casse-cou, auparavant, qui osais tout, tu n'avais jamais fumé autre chose qu'une simple cigarette jusqu'à aujourd'hui. tout simplement parce que tu n'en éprouvais pas le besoin. et que tu avais du mal avec l'idée de devenir dépendante de quelque chose. tu avais besoin de ta liberté. malheureusement, on te l'avait arraché, ta liberté. et il fallait que tu fasses avec, il fallait que tu t'y habitues. pourtant, là, dans l'eau, tu oublies ta prison. tu oublies ta souffrance. tu n'sais pas si c'est l'effet de l'herbe, si c'est l'effet de l'eau, ou si c'est l'effet de gus. gus. y'a quelque chose qui se passe en toi quand tu le regardes, un je n'sais quoi. un truc qui t'fait sourire. un truc qui t'fait du bien. c'est ça, l'effet d'la beuh ? ou c'est juste ton cœur qui t'fait passer un message ? comment tu peux savoir, toi ? comment tu peux différencier tout ça ? tu sais pas, tu sais rien, tu n'veux même pas savoir. tout ce que tu sais, c'est que ce moment ne va pas durer éternellement. alors tu souris quand tu l'entends, tu souris quand tu l'écoutes. lorsqu'il est avec toi ça va, qu'il dit. il n'est pas le seul à ressentir ça, t'as envie d'lui dire. mais t'y arrives pas. tu n'sais pas quels mots utiliser, t'as peur d'être maladroite. tu comprends quoi ? tu demandes dans un murmure, curieuse. tu n'sais pas si ça se demande, ce genre de chose. tant pis. tu l'regardes, encore et encore. pourquoi ton cœur te fait si mal ? il t'embrasse. il t'embrasse et tu fonds. t'as chaud, t'as froid, tu trembles, t'as tout. t'as tout et t'as rien. tout explose. tu oublies tout. tu oublies où tu es, tu oublies qui tu es. ta tête se vide instantanément, tu n'penses plus. et tu t'perds dans le néant, et tu t'perds contre ses lèvres. tu l'embrasses comme si ta vie en dépendait alors qu'une de tes mains vient accrocher sa chemise trempée. tu t'agrippes à lui. tu t'emballes peut-être un peu trop vite, et ton cœur s'emballe tout autant. tu n'sais pas ce qui te prend. tu perds la tête, tu t'perds toute entière. tu me fais du bien. tu murmures contre ses lèvres une fois que le baiser a pris fin. c'était même effrayant comme il te faisait du bien. tu l'connaissais  à peine, et pourtant t'avais l'impression de le connaître depuis toujours. tu n'oses pas ouvrir les yeux, tu n'oses plus. t'as peur, fauve. peur de la réalité, peur de ce qui pourrait t'éclater à la figure.  

et tu t'laisses envahir par cette musique. toi l'p'tit con. toi le mec fuyard, le mec arrogant, le mec aux faux sourires, tu t'laisses vivre. tu t'demandes un peu pourquoi, pourquoi tu fais ça, gus ? pourquoi d'un coup t'as eu envie d'aider quelqu'un ? t'aurais pu l'ignorer, c'message. t'aurais pu lui r'filer ton truc et te casser comme un voleur. t'aurais fait ça jusqu'il y a peu de temps. à paris t'aurais fait ça. t'es pas méchant, t'es juste socialement malade. tu calcules pas vraiment les choses, les autres, le monde. c'est pas forcément volontaire, c'est simplement qu'ta réalité ne t'permet pas de voir aussi loin. c'qui te fait peur, gus, c'est qu'avant ce soir tu n'te rendais compte de rien de tout ça. tu n'te remettais pas en question. tu vivais seul dans cet univers perdu, un peu psyché, pas très sain, mais ça t'allait. puis fauve a débarqué et elle a brisé ton monde. " j'me rends compte que y'a des trucs qui valent la peine d'être vécus " t'admets simplement. c'est pas plus compliqué qu'ça. y'a autre chose, y'a une vie en-dehors de ton univers. comme ces lèvres, par exemple. ces lèvres dont la seule vision font battre un peu plus fort ton cœur. t'en oublies qu'vous êtes malades. deux torturés par l'existence. deux âmes en équilibre sur un fil qui menace à tout moment de lâcher. t'oublies tous vos problèmes là, simplement en l'embrassant. tu sens ton étreinte se faire plus forte, mais malgré tout t'as les bras qui tremblent, gus. ton cœur s'emballe, ta tête s'envole et ton corps danse. putain, c'que c'est bon. mieux qu'l'exsta et mieux qu'tout c'que t'as pu tester. mieux qu'l'euphorie et mieux qu'l'ivresse. mieux, parce que cette fois-ci ça n'sonne pas faux. rien n'sonne faux. " toi aussi " tu murmures lorsque vos lèvres se séparent. t'as déjà envie d'les retrouver, d'les redécouvrir, encore et encore. mais y'a cette émotion qui t'submerge et alors tu fais c'que tu sais faire de mieux. tu baisses la tête et tu t'planques, tu la planques dans l'creux d'son cou. parce qu'elle est là, la différence. ce soir tu peux t'planquer autant qu'tu l'veux, tu n'es pas seul.