J'ai pas de voiture ici, alors quand un mec de l'auberge de jeunesse dans laquelle j'ai atterrie à mon arrivée propose une excursion à Lake Louise pour la journée, je saute sur l'occasion. Et pour être plus précise, dans sa voiture. Maintenant, faut espérer que d'autres personnes vont pas tarder à arriver, alors en attendant, je souris au conducteur d'un air gêné, sans vraiment savoir quoi lui raconter. « Alors, c'est quoi ton prénom, à toi ? Histoire que je le sache, on va quand même passer une journée ensemble... » Enfin je crois, qu'on va passer la journée ensemble. J'imagine, en tous cas.

Une blonde, à l'air timide, avance vers la voiture peu après que tu te sois installée sur un siège arrière (non parce que, c'est toujours plus convivial à l'arrière qu'à l'avant avec le conducteur, qu'on soit clair). Je passe une main dans mes cheveux, pendant que la petite blonde nous salue. « Salut ! Viens t'asseoir princesse... » J'sais pas pourquoi je l'appelle princesse, elle a l'air d'être tellement paumée que je ressens le besoin de lui montrer que j'suis pas méchante. Bon, en même temps, je montre qu'elle a l'air fragile et que j'ai envie qu'elle se sente en confiance, mais c'est pas grave. J'imagine qu'elle le prendra pas mal, faut rien prendre mal avec moi... Enfin, je tapote sur le siège à côté de moi, avant d'arrêter en pensant qu'elle va ptêtre encore plus le prendre mal ou bizarrement, parce que j'ai toujours fait pareil quand j'voulais que mon chat vienne quelque part. Alors c'est pas forcément un compliment pour elle, vous voyez ce que je veux dire... Bref, j'essaie quand même des trucs, faut pas m'en vouloir !

la jolie blonde te salue à son tour, te prénommant princesse. princesse, princesse, princesse. c'est comme ça que maman t'appelle. mais c'est aussi de cette façon qu'on t'surnommait au collège, p'tite princesse. alors tes souvenirs refont surface, et une grimace presque invisible transparait sur tes lèvres. mais la fille, elle te voulait aucun mal, ça se voyait dans ses yeux. elle avait même l'air de vouloir que ton bien. et après tout, pourquoi te voudrait-elle du mal, elle ne sait même pas comment tu t'appelles. princesse merci beaucoup, d'habitude j'arrive toujours en dernier, du coup j'me chope la place du devant. enfin, t'arrivais toujours en dernier oui, mais disons que personne ne voulait s'retrouver à coté de toi, alors ça arrangeait tout l'monde. tu te retournes alors furtivement, et tu remarques que le chauffeur te dévisage. et pas d'une façon très chaleureuse. peut-être qu'il a été vexé suite à la remarque sur le devant de la voiture. tu n'te préoccupe pas tant de ca, et tu accordes à nouveau tes yeux à la blonde. donc c'est cool d'être derrière pour une fois. tu passes ta main dans tes cheveux dorés, en te calant bien dans ton siège. d'ailleurs, je m'appelle skye, et toi ?

T’as entendu parler de cette journée au lac, alors t’as sauté sur l’occasion, toi aussi t’as envie de voir des paysages à couper le souffle, t’as envie de te sentir minuscule face à la nature alors rien de tel. Paraît que le coût n’est pas très élevé, alors t’as fouillé tes poches, le fond de ton sac, et t’as trouvé. Je pense que c’est assez. Tu te diriges vers le van, il est beau ce van, t’as toujours rêvé de monter dans un van, un volkswagen de préférence bien sûr, rouler sur la route 66 c’est aussi dans tes plans, mais là t’en es un peu loin alors tu te contentes de prendre place dans le van qui t’amène au Lake Louise. Deux filles sont déjà là, une excursion entre fille c’est pas mal, y a moyen de s’amuser. « salut » dis-tu avant de prendre place ton sac à dos péruvien sur une épaule, tes lunettes sur le bout du nez, tes rangers aux pieds et tes cheveux accrochés tout en haut, au sommet de ton crâne, t’as l’air d’une vraie exploratrice comme ça. Ça m’amuse. J’aime bien ça.

« Tu veux aller au lac? » C'était plutôt, cette nuit. Un mec tout à fait chelou, dans la rue. J'avais dit oui, il m'avait donné une adresse - ici. J'avais cru qu'il me tuerait peut-être, et honnêtement, j'avais rien de mieux a faire sur terre de toute façon. J'étais bien fofolle, à cette époque.

Je suis donc venue, et finalement, alors que je m'approche de la voiture, je remarque bien que ce n'était pas une victime qu'il cherchait. Trois têtes à longues mèches avaient déjà prit place. La Juliette du passé m'avait embarquée dans une aventure style spring break sans le vouloir. Uh.  Je m'arrête un instant, je prend une bonne bouffée d'air et j'attrape la poignée de la  portière, celle de devant - sueur d'inconnu n'est pas mon parfum préféré. Je lance mon sac sur le sol et prend rapidement place. Derrière, je remarque que les trois filles aperçues plus tôt ont l'air amicales, joyeuses, et libres. Super cool, je sens déjà un maux de tête naître dans mon crâne. Je soupire. « Question : Vous êtes du genre à enlever votre soutif pour des billes en plastique ou? » Je les fixe dans le rétroviseur, cherchant à l'aveuglette ma pharmacie portative personnelle sur le sol. J'ai besoin d'un cachet. J'ai besoin d'un cachet vite.

On lui propose une excursion bizarre. Elle n’a pas pipé mot de ce que l’homme lui a dit, elle a juste noté l’adresse, et s’est échappée. Au petit matin, prise d’une folie qu’on ne lui connait pas elle a enfilé une tenue simple et s’est dépêchée. Avec un peu de chance, il resterait une place pour elle. Elle n’a pas eu besoin de fouiller bien longtemps pour trouver de l’argent, chez elle, ça coule à flot. Son père n’oublie jamais de lui en donner, enfin, normalement ; ce mois-ci, elle était un peu embêtée, mais soit, elle se débrouillerait. Une sortie tranquille avec des inconnus, rien de mieux pour passer le temps. En arrivant face au van, elle esquisse un sourire. Faut dire qu’elle n’aime pas les voyages en commun, d’habitude, donc elle n’est jamais monté dans ce genre de véhicule. D’un geste mécanique, elle prend place quand chacune des filles ici parlent. Encore une fois, elle n’a rien compris à la discussion et se contente de les fixer tour à tour, discrètement. Elle murmure un « bonjour… » Presque inaudible, tout en posant son semblant de sac à ses pieds. La journée risquait d'être intéressante.

Une fille et un mec s'ajoutèrent à notre petite bande. A première vue, elle semble sympa; Lui dit quelques mots et déjà j'ai hâte que la journée se termine. Il a l'air d'être le genre de mec trop conscient de son sex-appeal, et qui donc, s'en permet. Le genre insupportable. Une grimace agacée se dessine sur ma bouche, alors que je me présente. « Juliette » Je dis, avec l'accent de chez moi. « Et je crois que je vais me gêner pretty boy. » Ma main, fourrée dans mon sac, tombe finalement sur mes aspirines. J'en prend deux, que j'avale sans eau – Si maman me voyait faire, elle me tuerais.  L'effet placebo est immédiat. Mon esprit, sur le champ, semble plus calme. « Vous le connaissez, le conducteur? » six jeunes adultes. Banff. Une route isolée. C'était un scénario de film d'horreur. La brunette serait la stratège, juste parce qu'elle est brune. La rousse serait la meilleure amie d'un autre personnage, juste parce qu'elle est rousse. Et la blonde serait la bimbo, dont la mort serait la plus graphique, la plus érotique, et ce, juste parce qu'elle est blonde.  Je serais la rebelle, la sans peur, dut à mon manque de charme et le mec, Jude, serait le jock de service parce qu'il en avait vraiment l'air. J'allais crever avec un con et des filles plus jolies que moi. Oh joie.  

Ah, la nana qui vient d'arriver n'aime pas non plus la place du devant, j'suis donc pas la seule, j'suis contente. C'est toujours horrible de se retrouver à la place du devant, t'es jamais dans les conversations intéressantes. Elle ajoute qu'elle se réjouit d'être à l'arrière pour une fois, avant de finalement se présenter et me demander de rendre la pareille. Mais je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit que de nouveaux arrivants se pointent tours à tours, avec chacun leur petite phrase rigolote (ou pas). J'dis bonjour à tout le monde, et puis y'a une blonde qui lance : « Question : Vous êtes du genre à enlever votre soutif pour des billes en plastique ou? » ce à quoi je répond du tac-o-tac, comme à mon habitude. « Pourquoi, t'as pas assez d'argent pour en donner en échange ? » et j'ajoute, « Désolée, j'ai pas trop l'utilité de billes en plastique... » et le tout, accompagné d'un clin d'oeil. Un mec lance qu'il faut surtout pas qu'on se gène pour parler de lingerie, après s'être présenté. Putain, j'avais oublié de me présenter. Je jette un regard à ma voisine, qui, j'imagine, va se sentir gênée par toute cette conversation, vu la timidité dont elle a l'air de faire preuve. « Raphaëlle pour ma part, mais appelez-moi Raph. », la petite blonde demande si quelqu'un connait le conducteur, et ce, à la seconde qu'il a lui-même choisi pour démarrer. « Non, mais maintenant, c'est trop tard pour s'en inquiéter. », que je balance avec un sourire et une voix pleine d'ironie.

« Question : Vous êtes du genre à enlever votre soutif pour des billes en plastique ou? » Lily hausse un sourcil en esquissant un sourire amusé. Elle n’allait pas s’ennuyer. Un autre sourire, des présentations, un regard perdu. Elle fixe. Une petite blonde sans doute un peu atteinte. Juliette. Elle glisse une main dans ses cheveux, et décide de rester à l’écart de la conversation. Le ton est lancé, les hostilités aussi. Un léger rire moqueur s’échappe de tes lèvres. « C'est le moment ou jamais pour partir si tu flippes. Les médocs c'est cool cinq minutes mais sait-on jamais, si on se retrouve avec un serial killer, ça ne t'aidera pas à tenir le coup. » Lily se laisse glisser dans son fauteuil, étouffant un fou rire qui serait sans doute mal vu. Mais voilà. Lily-Siloë aime les disputes. Elle aime aider ceux qu’elle juge gagnant dans la joute verbale. « Lily-Siloë, mais appelez-moi Lily, ou Silo, ou c’que vous voulez. Mais revenons-en aux soutifs. » Visiblement pas décidée à assister à la troisième guerre mondiale, elle croise ses jambes, et jette un regard vers son propre buste, avant de fixer le garçon qui semble chercher des noises à Juliette, la seule dans ce foutu van qui fascine réellement l’anglaise : un exploit. Une de ses mains se glisse dans ses cheveux avant qu’elle ne se reprenne. « Faut dire que ça sert à rien d’enlever son soutif si y’a rien à voir, non ? » Lily se tourne finalement vers ladite Skye, et fronce les sourcils. « Pas pour moi, je suis bien derrière. Hors de question de me retrouver devant. Si il prépare un viol collectif, je préfère être la dernière victime, voyez-vous. » Lily penche la tête vers la droite, avant de regarder le seul homme du van, si on ne compte pas le chauffeur. « Par contre, joli coeur, toi, tu peux y aller, il ne s'occupera sans doute pas de toi de suite. » Elle hausse les épaules et fixe alors le paysage par la fenêtre.  

« Ok, Jude, t'es le plus gros stéréotype que j'ai vu de ma vie. » Je lui lance mon petit pot, contenant une vingtaine d'aspirines, doses ordinaire. « Des aspirines. Tu peux en prendre si tu veux. J'ai des maux de tête – Une vraie de vrai junkie, hein. » J'avalai difficilement, très irritée. Il n'avait aucune idée, et se permettait un jugement du genre, confirmant l'idée que j'avais de lui. Un gros gros con. Malgré sa tête de... ça, je savais que je n'aurais aucun mal a détester. Encore une fois, je regrettais de ne pas avoir perdu mes cheveux quand je l'aurais du.  Je broyai un peu plus de noir, alors que les autres se disputaient sur qui devait prendre la place où j'étais assise. D'un coup, pour les faire taire, je tirai sur ma ceinture, prenant ainsi la gauche de notre futur meurtrier. « ce qu'il veut dire, c'est qu'il a pas les couilles. » Je lance, en direction de mon nouvel ennemi, alors que mon voisin muet démarre, et que la voiture se met a avancer. Ce n'était pas trop tôt.

J'aime déjà bien cette troupe, ils se foutent sur la gueule les uns les autres, alors je sens qu'on va bien se marrer. Et puis le mec, il me fait rire aussi, en plus il est beau. Bref, il a pas mal de cordes à son arc. Ils sont entrain de se battre pour aller devant quand même, c'est un truc de fou. Ça me fait sourire, j'regarde la petite blonde que j'ai rencontré au début avec un sourire. « Eh dire que c'est toi qui a déclenché tout ça... » Non non, je ne lui dis pas ça pour la blâmer ou quoi que ce soit, c'est juste amusant qu'une petite question comme ça déclenche tout ce remue-ménage. Enfin c'est du grand n'importe quoi. « C'est moi, ou elle est tendue, l'ambiance ? » Non parce que si la gamine là, Juliette, elle doit faire la gueule toute la journée, j'sens que ça va être super cette virée à Lake Louise... « Alors euh... Juliette, tu vas ravaler ta crise d'ado et on va tous repartir sur de bonnes bases. J'tiens pas à me la jouer maternelle, avec les camps, les espions et tout. » Oui, je compare bien ça aux engueulades des cours de récréation, ces troisièmes guerres mondiales en puissance.

t'es là, assise, dans ton coin, contre la vitre, tu regardes à l'extérieur, t'entends leur conversation mais t'y participes pas, parce que tu ne participe pas à une conversation à laquelle on ne t'as pas invité si tu ne connais pas les participant. t'es comme ça. bourrée de principe à la con que personne ne comprend, sauf toi. la tension était à son comble dans le van, super, manquait plus qu'ça. tu n'écoutais plus, tu n'écouterais plus, jusqu'à l'arrivée au lac tu serais perdue dans tes pensée observant le paysage qui défile sous tes yeux. tu te laissais rêver pendant qu'ils parlaient de seins et de siège avant. ils s'embrouillaient vraiment pour que dalle, c'était ahurissant. il fallait de la musique. tu fouillais dans ton sac à la recherche de ton cd, le genre de cd qui tu traînes partout avec toi, au cas où. tu le tendais au conducteur. il rechigna un peu. allé, la musique adoucie les mœurs. l'argument marchait, il se sentait pas de faire le trajet avec des crêpages de chignons à trois francs et toi non plus. le son commençait à se diffuser dans le van, tu l'voyais tapoter au rythme de la musique sur le volant, voilà, c'était pas une si mauvaise idée que ça finalement. quel bonheur.

Je ne dis rien. Je ne roule pas les yeux. Je ne soupire même pas; Je ne fais que regarder la route et compter les  inspirations du conducteur. Bye bye kiss kiss; des mots d'enfants, sorti de la bouche de pseudo adultes qui n'ont jamais vécu - des paroles d'ignorant. Je ne dis rien. Je suis partie.  Le temps file, le paysage lentement, change. Kenny, selon la broderie sur sa manche, a inspiré quarante-trois fois depuis que j'ai pris le chemin du pays des merveilles.

Ils me voient comme une fillette, comme une ado inconsciente ayant prit la fuite pour une bagatelle. Ils ne se posent pas de questions, leur jugement est automatique : Je leur rappelle trop leur petite sœur, cousine ou voisine; celle qu'ils adorent faire crier, celle trop jeune pour se défendre et qui joue toujours a la poupée. Je ne suis pas cette petite fille, je n'ai jamais eut la chance de l'être. Moi, je suis une âme trop fatiguée pour se battre. une feuille de papier si mince qu'elle se froisse d'un coup de vent. Une âme glacée sous une peau brûlante. Une tumeur.

Repartir sur de bonnes bases, c'est ce qui me ramène a moi, ça, et une bosse sur la route. « On peut jouer a action-vérité, sinon. » Je dis, sans même y penser.