Quelques billots de bois, quelques roches, un feu éteint depuis l'aube. Ma guitare à mes pieds, mes humeurs de bon vivant. Personne ne viendra, c'est pas bien grave. Ma guitare sur mes genoux, je gratte du bout des doigts. J'attends quelque chose, sans trop savoir quoi. Il y a de la place pour tout le monde, pour les passifs et les agressifs, pour ceux qui ont une jolie voix, pour ceux qui grognent avec plaisir, parce que d'être là, c'est tout ce que ça prends pour avoir un peu de bon temps.

Elle veut se détendre, passer un bon moment, pour la première fois depuis qu'elle est là, sans se prendre la tête, sans éclater en sanglots, sans réfléchir. Sur le grand panneau d'affichage, elle a vu qu'une jam session se préparait. Elle sourit en pensant à celles qui avaient lieu chez elle, il fut un temps, quand Matt se mettait au piano et que des amis à eux amenaient leurs guitare. Elle était là pour l'ambiance, et petit à petit, a réussi à poser sa voix sur ses notes. Elle ne chante pas divinement bien. Mais elle est juste et a le sens du rythme, c'est déjà bien.
Elle arrive donc sur la place et sourit à l'homme qui est déjà ici en disant, rougissant légèrement : Bonjour ! Vous acceptez les spectateurs? Elle ne veut pas se montrer, juste s'installer dans un coin, et profiter du moment. Elle verra, peut être bien que s'ils jouent une chanson qu'elle aime, elle finira par chanter les choeurs...

Sur la rue, je chante mes propres mots. Sur la plage, je chante ceux des autres. J'ai appris à jouer avec des chansons qui jouaient sur le tourne disque de ma mère. J'ai pas eu besoin d'écouter ces conneries à la radio où les instruments sont tous branchés, où les synthétiseurs jouent les divas. Je gratte quelques cordes, me souvenant d'une vieille mélodie que ma mère aimait. Une femme s'approche, ses pas ayant laissés trace de son ascension sur la plage.

- J'accepte tout sauf les insultes.
Et c'est la vérité. Aujourd'hui, j'ai laissé ma rage dans ma tente, avec Stryder pour la garder. Elle sera là a mon retour, je ne le sais que trop bien. Mes doigts ont commencé quelque chose que mes lèvres terminent.
- ♪ Day after day I'm more confused, Then I look for the light through the pourin' rain, you know, that's a game, that I hate to lose, I'm feelin' the strain, ain't it a shame, Give me the beat boys and free my soul. I wanna get lost in your rock and roll and drift away ♫

Je tourne la tête, me demandant soudainement.
- Vous la connaissez celle là ?

Elle sourit. Sa présence ne semble pas le déranger. Naturellement, il se met à jouer, et elle l'écoute, tout en s'asseyant en tailleur sur le sable, fermant ensuite les yeux pour profiter de la mélodie. Il y a bien longtemps qu'elle n'a pas entendu de musique. Celle-ci lui donne le coup de fouet dont elle avait besoin pour reprendre sa vie, sa personne en main. Elle sent monter en elle une vague de courage. Le pouvoir de la musique. Bien trop souvent sous-estimé.
Vous la connaissez celle là ?
Elle rouvre les paupières et fait non de la tête. Elle s'empresse toutes fois d'ajouter : Mais ne vous arrêtez pas ! S'il vous plait ! C'est très joli ! Elle pourrait rester là, sur cette plage, sans bouger pendant des heures.

t'avais vu une annonce dans le journal qui t'avais intéressée. non pas intéressée, mais intriguée. oui c'est plutôt ça le mot. t'as jamais fais partie d'un groupe, t'as jamais fais d'un instrument de musique, mais t'as déjà chanté. t'aimes bien chanter, mais tu chantes seulement pour toi. sous ta douche, dans ton lit, quand tu fais la cuisine. et c'est tout. personne ne t'as jamais entendu. t'as jamais fais en sorte qu'on puisse t'entendre. et puis tu ne sais pas pourquoi mais tu es venue au lieu du rendez-vous. t'avais envie de voir ce qu'il se passait. de voir si t'allais chanter. si tu voulais chanter. autrefois tu n'aurais jamais fais ça. tu aurais eu trop peur du regard des autres. mais là, c'était différent. ce n'était même plus ton cerveau qui guidait tes pieds, mais bien tes pieds qui te guidaient. t'entendais une magnifique voix chantée, accompagnée d'une guitare. et là tu pris peur. tu voulais partir. pourquoi est-ce que t'était venue ici ? bien sûr qu'il devait chanter tout le temps. et toi, simple amatrice dans ta salle de bains, tu comptais lui faire écouter ta voix. naïve. c'est ça. naïve. il y avait une femme blonde qui l'écoutait et qui te faisais sourire. elle aussi elle appréciait sa voix. alors tu t'es assise, un peu plus lui qu'eux sur le sable et tu l'écoutais à nouveau chanter. c'était beau. vraiment beau. tu te faisais discrète. t'avais pas envie qu'ils se retournent.

Elle connaît pas, mais c'est pas bien grave. Le vent gobe les notes alors qu'elle m'encourage à continuer. Le sable coincé sous mes bottes me fait penser que j'ai rien compris. Les gens ont les pieds à nu malgré le froid grinçant. J'ai la tête qui tourne alors que je lance le dernier couplet au vent, me disant que ça ne vaut pas la peine, qu'on sera deux et c'est tout.

Une présence a laissé sa trace, je me dis qu'on est trois, que c'est triplement mieux que rien. La fille se fait discrète, alors qu'elle nous rejoint, tranquille dans son coin.

- Quelqu'un connait de veilles chansons, j'ai bien peur de ne pas savoir ce qui joue à la radio ces années-ci.
Je hausse les épaules, ne m'excusant pas. Peut-être qu'une d'elles a un de ces disques cultes qui était autrefois un vinyle, du temps où la table tournante de ma mère résonnait dans la maison. Je veux bien jouer pour nous trois, si on m'offre un titre que je connais. Si on veut me prêter une voix, je serai musique, trame de fond, je n'ai jamais eu besoin d'être au centre de quoi que ce soit. Dans le coin, ça me va très bien.

tu les regardais et t'étais pleine d'admiration. il chantait bien. t'étais presque jalouse. oui, il n'avait pas peur de faire ça devant des gens et puis il avait même eu le courage de mettre une annonce. tu te dis que c'est du courage oui. lui ne doit pas se dire ça. mais pour toi c'est du courage. t'aurais jamais fais un truc de ce genre. c'est pas ton genre. il veut chanter à nouveau. et nous demande si on connaissait quelque chose de sympa. tu te levais alors. personne ne t'avait jamais entendu chanter mis à part une personne. ton père. tu chantais autrefois avec lui. ça remontait à longtemps. vous chantiez le plus souvent dans le garage. lui avec sa guitare et toi avec ta voix. alors tu lança à l'homme. et bien si tu la connais, si tu sais la jouer, on peut peut-être chanter people are strange des doors ? oui, tu avais dis on. tu lui avais fais comprendre que tu savais chanter. que tu voulais chanter. alors t'attendais son approbation. il pourrait te dire que ça ne lui plaisait pas. qu'il ne connaissait pas. ou bien même qu'il ne voulait pas. mais tant pis, au moins tu tentais le coup.

L'arrivante a un enthousiasme qui me fout la trouille. C'est pas normal d'avoir le coeur aussi ouvert, de tendre les bras comme ça. Son idée me rappelle un vieux vinyle, un quelque chose à la mélodie qui balance. Mes doigts hésitent un peu, tâtonnent quelques cordes. Je trouve ce que je cherchais. J'entame une musique dont les mots m'échappent. Je me tourne vers les filles, cherchant ce qu'il me manque.

- C'est quelque chose comme ça, pas vrai ? Je me souviens que de la musique, faudra m'aider avec les paroles.
Je recommence du début, leur laissant la chance d'embarquer sur mon navire quand ça leur plaira, quand elles en auront le courage. Ça m'a pris un moment, quand j'étais petit, avant de chanter devant quelqu'un d'autre que maman. Ma mère disait, faut pas avoir peur, si les gens n'aiment pas qui tu es, c'est qu'ils ne savent pas écouter. Sage femme, ma mère.