assise par terre sur le trottoir détrempé, il est 4h14 du matin.
la porte de la boîte de nuit se referme derrière moi. mes cheveux volent. la voix du videur se fait plus douce derrière ses accès de colère porté contre moi.
- toi aussi t'es viré? je demande à la ou les présences que je ressens près de moi.
j'me sentirai moins seule. aide moi.

une soirée de débauche. ça ne lui convient plus. il mâchouille le filtre de sa cigarette avant de sortir la fumer. le videur le voit. plaintes. chieur. elle n'est portant pas allumée. nonchalant, il sort. de toute façon, le mec ne le laissera pas re-rentrer. une fille, celle à quelques pas de lui, le questionne. Ouep. il la contourne, se retrouve devant elle. dans la nuit noire, éclairée que d'un lampadaire, elle ressemble a un ange. sauf de par son expression. indescriptible, mais bien loin d'une paix divine. il allume enfin son bâton de mort, aidé de son zippo argenté. inspire. expire. nulle c'te boîte de tout manière.

j'avais parlé instinctivement. ça ne me ressemblait pas vraiment. je devais avoir l'air d'une paumée, assise là sur ce trottoir mouillé, les cheveux trempés de la pluie fine que le ciel laissait fuir avec ma clope intacte à la main. l'inconnu s'était mis devant moi. les yeux posés sur son visage assombri par l'absence de lumière, j'avais beau essayer, je n'arrivai pas à distinguer les traits de son visage. lui aussi, s'était fait viré. tant mieux. d'ailleurs, moi, j'sais même plus pourquoi je me suis faite jeter dehors. et puis de toute façon, j'm'en fous. c'est vrai. je pose ma cigarette entre mes lèvres puis je laisse la flamme de mon briquet en lécher le papier. la fumée embrasse un instant mes poumons avant de se dissiper dans l'air, comme le fait l'écume blanche sur le sable fin. on est mieux là de toute façon.

“tout à fait.” la chaleur à l'intérieur en était désagréable. il tire sur sa cigarette. laisse le silence se poser entre leurs deux corps, sans que ce soit chiant ou gênant. la musique présente dans le club, leur parvient et résonne à leurs oreilles, quelque peu étouffée. il ne reconnait pas le morceau, mais suppose qu'il est censé faire danser les jolies filles. il imagine celle qui se trouve devant lui osciller au rythme des basses, et remuer ses courbes avec grâce et sensualité. putain j'ai l'air d'un obsédé. il se penche vers elle. “T'attend quelqu'un ? ton mec peut être ?”

je frissonne. j'ai l'impression que la pluie s'insinue en moi, que je vais devenir une créature de larmes. je resserre ma veste autour de moi tout en tirant une nouvelle fois sur ma cigarette. le silence est présent. pas pesant, pas lourd, pas éreintant. il est juste là, il flotte. il nous laisse le temps d'écouter le bruit de la vie qui passe autour de nous. d'ailleurs, je n'arrive toujours pas à distinguer son visage... j'abandonne. pas vraiment, non. le cœur qui détale à la seule vue d'une silhouette, d'un regard. non, franchement, c'est pas pour moi. enfin si... peut-être que c'est toi? je ris de moi, intérieurement et un peu en vrai. peut-être que ça ne me dérangerait pas. on peut pas le savoir.

ma pauvre t'es pas gâtée alors. c'est ce qui lui répond, cynique qu'il est. un mec qui laisse sa meuf sous la pluie, y a mieux. surtout que là, elle redouble d'intensité. il lui prend la main, sans demander la permission, avant de l'attirer à lui. à présent sur leurs jambes, il l'enlève du bout de trottoir miteux, pour le porche d'en face, celui d'une banque fermée. au-dessus d'eux, la flotte dégringole et vient s'écraser sur le goudron. ils sont trempés, dégoulinant, pris de légers frissons. il secoue sa tignasse, dégage les mèches qui collait à son front. sa clope s'est même éteinte durant la manœuvre. il l'a rallume, même s'il est presque arrivé à la fin, parce que ça lui occupe les doigts et puis la bouche.

je sens l'eau couler partout. le long des murs, le long de ses cheveux, le long des miens. elle s'infiltre partout, à l'image de la misère. elle me colle à la peau. et moi, j'ai même pas la réflexe de me mettre à l'abri du déluge. heureusement qu'il est là, lui. il capture ma main puis m'attire quelque part où les gouttes de pluie ne sont pas encore devenues reines. j'entends la pluie s'écraser sur la vitre du auvent tandis que je passe ma main dans mes cheveux trempés. c'est que t'es plutôt intelligent comme mec. j'aurai bien été capable de rester là, potiche au milieu de l'orage qui gronde. je renverse un peu mon visage à l'arrière pour que la brise sèche mon visage humide mais ça ne fonctionne pas. je m'appuie contre la porte verrouillée de la banque. ma cigarette est une guerrière puisqu'elle brûle toujours d'une chaleur agréable. je l'observe quelques secondes puis les retrouvailles entre mes lèvres et la meurtrière se produisent. la fumée s'élève, puis je dis. je te vois bien t'appeler jérémy. ouais. si c'est le cas, je cours à poil sous la pluie ! c'est vrai. maintenant, j'arrive à distinguer son visage. il est mignon, plutôt pas mal le fêtard déchu. et jérémy, ça lui irait comme un gant. j'sais pas pourquoi.

je sais je sais, qu'il dit quand elle le complimente sur son intelligence. bien sûr, il répond au second degré, en lui flashant un sourire qu'il sait éclatant. avec leur discussion ils auraient bien pû rester encore de longues minutes à prendre une douche extérieure, comme ça, gratuitement, pour la beauté du geste, ou sa stupidité. il tire deux taffes sur sa cigarette, avant d'écraser le filtre sous son talon et d'expirer les dernières volutes vers les larmes du ciel, tout en écoutant sa prochaine réplique. lorsqu'elle le prénomme jérémy, il ne peut s'empêcher rire. alors là.. pas du tout. on a genre deux lettres en commun ! mais si tu préfères m'appeler comme ça, vas y, si tu veux.. il hausse les épaules, ça ne lui poserais aucun réel problème, et puis il n'en connait aucun. c'est la première et dernière personne à le nommer ainsi. perso j'te verrais bien t'appeler roxane. si elle lui choisit un prénom, alors il doit le faire aussi. roxanne, comme la chanson de police. il penche la tête sur le côté. dommage, j'verrais pas le spectacle de ta nudité trempée.. il s'esclaffe de nouveau. faut pas parier avec moi,  c'est dangereux, j'te l'aurais fait faire si t'avais gagné. en te traînant de force et tout ! il fronce les sourcils, se mord légèrement la lèvre. mais on peut parier si tu veux, sur les prénoms, ou autre chose. genre si t'arrive à deviner mon âge, je fais j'enlève mon blouson, ou je fais le poirier sous la pluie.

eh merde. ouais, niveau prénoms, j'suis un peu nulle. même beaucoup. mais vraiment, jérémy, ça lui irait quand même vachement bien. il a bien le profil. c'est con que ses parents n'y aient pas pensé. bon, après, ça aurait été con pour moi. j'aurai dû taper un sprint sur les trottoirs trempés de banff... mais je l'aurai fait, quitte à me faire arrêter par les flics pour atteinte aux bonnes mœurs. je suis plutôt joueuse comme fille. pour lui, je serai roxanne. ça me va. hé, maintenant, j'ai la chanson de the police dans la tête. et puis je me dis que la fille qui s'appelait roxanne, elle a quand même eu de la chance qu'on lui écrive une chanson comme ça... même si je crois que la fille dont il parle, c'est une prostituée. c'est pas totalement moi, mais bon. oh mais tu sais, on peut toujours s'arranger! je lance avec un éclat de rire lorsqu'il se dit être déçu de ne pas me voir nue. je porte ma cigarette à mes lèvres puis laisse la fumée s'échapper dans l'air, aller rejoindre les goûtes de pluie. elle est consumée à moitié. je me dis que ce plaisir est bientôt terminé lorsqu'il m'interpelle à nouveau. je ne peux pas refuser ce genre de proposition, alors je lui dis d'accord, alors on a qu'à dire qu'on pose chacun une question sur nous à l'autre, si l'autre trouve la bonne réponse, t'enlèves un vêtement, si il se trompe, c'est lui qui doit retirer un truc, ou il doit exécuter un ordre. ça te va? j'suis sûrement pas très claire dans mes explications. je suis un peu à l'ouest. mais il peut toujours refuser. mais quelque chose dans ses yeux me dit qu'il ne dira pas non. après avoir perdu notre place dans une boîte de nuit pourrie, on a plus rien à perdre. alors je commence avec son âge, puisqu'il en avait parlé. alors, moi je dis que t'as... petit temps de réflexion. non, là, faut vraiment pas que je me plante. 22 ans? je demande, douteuse. 21 ans c'est trop jeune. 23 trop vieux. 22, ce serait le juste milieu.