Ça fait des heures qu’on roule. On, ouais, l’inconnue et moi. J’ai toujours rêvé de faire de l’auto-stop, alors au lieu de prendre ma propre bagnole pour venir à Banff, bah j’ai simplement pris une pancarte en carton. J’en ai fait des rencontres assez folles sur cette route, mais qu’est-ce que ça fait du bien d’enfin ressentir quelque chose. On se sent libre, sauvage, indépendant. Le panneau indiquant l’entrée de la ville ça fait quelques minutes déjà qu’on l’a dépassé. « J’te dépose à la station essence pour faire le plein en même temps » me dit la jeune femme, tout juste âgée de quelques années de plus que moi. Je sais pas trop ce qui m’attend ici, c’est l’aventure totale, un renouveau. La voiture s’arrête enfin. Il est temps pour moi de descendre et de dire au revoir à cette amie de quelques heures que je ne reverrai probablement jamais. Je pose alors pied à terre, récupère mon sac dans le coffre et salue la voiture s’éloignant. Maintenant je suis réellement seule. C’est excitant et effrayant à la fois, alors je ne peux m’empêcher de retenir un sourire. Sac sur le dos, je reste plantée là sans bouger au bord de la route, me contentant simplement de découvrir avec émerveillement les alentours.

« Ferme-là ! » Elle crie, elle hurle, mais son voisin ne s’arrête pas. La musique augmente, les rires aussi. Diable, elle se sent déjà seule, et en plus, cet imbécile l’empêche de dormir. Elle plaque l’oreiller contre ses oreilles, mais son action est inutile. Nouveau soupir. Elle se relève, enfile une robe noire courte, un manteau de cuir, et sort dehors. Le froid mordant s’attaque à sa peau. Lily frissonne violemment, et craint un instant de tomber malade. Puis, au final, elle s’en fiche. Rien ne peut être pire que les hurlements du porc gras et stupide qui lui sert maintenant de voisin. Chercher un logement fut assez simple. Elle aurait pu, avec son argent, prendre un hôtel à la hauteur de sa famille, mais malheureusement, la discrétion était sa première préoccupation. Ainsi, elle avait dû emménager dans un bel appartement, voisin d’un pathétique antiquaire aussi ignorant qu’un gamin de trois ans. Après être sortie de son nouveau chez elle, Lily s’avance dans la rue, elle court presque, pour oublier, pour dessoûler aussi peut-être. La lucidité revient lentement, après une soirée arrosée et un manque de sommeil évident. Cela fait combien de jours qu’elle dort mal par sa faute ? Combien de temps qu’elle se sent seule ? Cette ville, elle ne la porte pas dans son cœur. Elle vient d’arriver, elle ne connaît rien de ce lieu sordide, et tout semble macabre quand elle a les idées noires. Il est tôt, il n’y a pas grand monde, et elle ne sait même pas ou elle va. Elle trace sa route, droit devant, et déboule essoufflée à la station d’essence. Vide, aussi. Enfin … pas totalement. Une grande blonde, avec un sac est sur le bord de la route, regardant les alentours avec émerveillement. Elle  s’approche, d’un pas, lissant doucement sa robe. Elle fixa sa montre, puis la seule personne avec elle, et s’approche encore, avec un léger sourire. « Besoin d’aide ? » A vrai dire, elle ne lui sera pas d’une grande aide, mais seule, dans cette ville, il est préférable qu’elle fasse quelques rencontres, non ?  

C’est étrange d’arriver quelque part sans savoir où aller. Je ne sais même pas si je vais avoir un endroit où dormir cette nuit. Mais je m’en fous à vrai dire. Moi j’veux bien dormir ici, sur le bord de la route s’il le faut. Après tout je me le suis promis, c’est l’aventure. Autant la vivre à fond. Je ne sais même pas qu’elle heure il est exactement, je n’ai ni montre, ni portable. J’ai tout laissé là-bas, je n’ai qu’un maigre sac contenant le strict minimum, pourtant je sais que j’ai pleinement les moyens de m’offrir bien plus. Mais à quoi rimerait tout ça si c’était pour finalement venir vivre le luxe ici ? Plus aucune voiture ne passe, s’en est presque inquiétant de ne voir personne dans les alentours. Je vais de voir marcher jusqu’où pour trouver un logement ? Et pouvoir manger ? Je me rends en fait compte que je meurs de faim… Mon dernier repas remonte à ce matin et il n’était pas vraiment fructueux. Je pose alors ma main sur mon ventre, geste stupide mais habituel lorsque l’envie de manger me prend. « Besoin d’aide ? » Merde, j’suis pas seule là. Dans un sursaut je me retourne pour découvrir une jeune femme emmitouflée dans son manteau, me fixant avec un sourire aux lèvres. J'le reconnais, un peu de compagnie ne ferait pas de mal en ce moment même. Et si cette compagnie pouvait en plus s’avérer être un excellent guide touristique, je ne dirai pas non. Mais l’inconnue à l’air aussi jeune que moi et n’a pas vraiment la dégaine de ces snobinards d’agents. Tout de même, j’espère qu’elle pourra me guide dans Banff, parce que pour le moment la station essence n’est pas le lieu le plus utile pour moi… Je lui retourne alors son sourire, tout en m’approchant un peu plus d’elle. Mon dieu, ce qu’elle doit avoir froid avec ses jambes découvertes. « A vrai dire oui. J’viens tout juste d’arriver et j’connais absolument pas le coin. Y a pas un endroit convenable pas loin d’ici à pied pour dormir ? » Je me rends enfin compte que ma main se trouve toujours sur mon ventre. Je dois avoir l’air stupide alors je la retire immédiatement pour venir la fourrer dans une des poches de mon manteaux.

« A vrai dire oui. J’viens tout juste d’arriver et j’connais absolument pas le coin. Y a pas un endroit convenable pas loin d’ici à pied pour dormir ? » Lily lui adresse un sourire léger, en entendant sa demande. Elle semble réfléchir un instant, et tente de se rappeler des panneaux qu’elle a vu sur le bord de la route en arrivant, quelques heures plus tôt. « Alors, tu as le choix. Il y a un hôtel sur Banff Avenue, mais il faut avoir les moyens … et je crois qu’il y a une auberge de jeunesse. Sinon, j’ai deux chambres de libres dans mon appartement. La seule chose que je demande, c’est que quelqu’un fasse taire mon voisin. » Lily, en parlant de son voisin, lève les yeux au ciel, et baisse finalement son regard sur la main de son interlocutrice. Soit elle est enceinte, ce qui est peu probable, soit elle a faim. Lily parie sur la deuxième option, et esquisse un sourire amusé. « Je fournis aussi le repas. » Elle finit par regarder autour d’elle. Il n’était pas bien tard, les gens dormaient sans doute encore, et la population n’étant déjà pas très dense ici, le vide semblait bien plus présent. Lily ne connaissait pas grand-chose, mais avait passé les premières heures de la journée à lire un nombre incalculable de cartes pour être sûre de ne pas se perdre. Geste vain ne sachant qu’elle n’avait aucun sens de l’orientation. Chez elle, déjà enfant, elle se perdait si facilement dans les rayons des magasins. ses parents devaient constamment l'appeler au micro. Une fois, son père proposa même d'accrocher une cloche à son cou, pour l'entendre quand elle se sauve. Lily-Siloë avait toujours été un bon stratège, un renard à vrai dire : silencieuse et rusée. « Au fait, je m'appelle Lily-Siloë! » Elle esquissa un sourire amusé, sans prendre la peine de tendre sa main comme elle son père l'avait fait mille fois. Sa vie d'avant lui manquait, mais cette histoire avait failli la tuer, la briser. Quitter les lieux étaient la seule solution.

Je fais probablement un peu paumée, à débarquer ici sans réellement rien savoir de cette ville, sans même avoir prévu un endroit ou dormir. J’aurai pu appeler avant de partir, c’est vrai, pour réserver une chambre dans un hôtel, mais finalement je trouve ça plus excitant de ne pas savoir, de ne pas prévoir. J’me sens libre quand rien n’est planifié. « Alors, tu as le choix. Il y a un hôtel sur Banff Avenue, mais il faut avoir les moyens … et je crois qu’il y a une auberge de jeunesse. Sinon, j’ai deux chambres de libres dans mon appartement. La seule chose que je demande, c’est que quelqu’un fasse taire mon voisin. » Les moyens… Ce n’est pas vraiment de ça que je manque. L’argent j’en ai jusqu’au coup, voire même encore plus haut. Mais c’est pas un avantage pour moi d’être friquée. Ça nous pourri ce genre de chose, ça nous façonne selon des conventions. Et c’est pour fuir ces conventions que j’ai pris autant de risque. Et puis que j’ai atterri ici. Et j’suis pas venue à Banff pour claquer des billets à droite et à gauche. Donc je raie immédiatement l’hôtel de la liste. L’auberge de jeunesse ? Pourquoi pas ouais, ça me permettrait de faire quelques connaissances, peut-être même trouver un filon pour décrocher un petit job. Et puis enfin l’inconnue me propose son appartement. Là ça devient intéressant… « Je fournis aussi le repas. » Merde, elle a dû remarquer ma main. Oh et puis après tout c’est la vérité, je crève de faim, faut bien de que je me nourrisse aussi. Je décroche un nouveau sourire. « Je sais m’occuper des voisins un peu trop bruyants, il va vite comprendre avec moi. » Je lui décroche un clin d’œil. C’est ma manière à moi de lui faire comprendre que j’accepte son invitation. Mais il n’en reste pas moins que je vais m’occuper de ce voisin. Moi aussi j’vais dormir là-bas alors il n’a pas intérêt de me déranger. J’ai mon caractère. J’suis plutôt toujours d’humeur joyeuse, mais faut pas non plus essayer de me prendre la tête, sinon là en effet, je sors les griffes. « Je resterai pas longtemps, t’inquiète pas. Juste pour cette nuit, en attendant que je trouve un endroit où me poser. » J’ai horreur de squatter chez les gens. Avant je le faisais. Tout le temps. Je passais plus de temps chez les autres que chez moi. Mais ici, à Banff, les règles changent. « Au fait, je m'appelle Lily-Siloë! » L’inconnue se présente à moi, lorsque je réalise que moi-même je ne l’ai pas fait. A vrai dire je me suis tellement emballée en découvrant le paysage et les alentours, que j’en ai presque même oublié toutes les conventions. Mais au diable les conventions. « Nala, enchantée. » Je lui retourne un sourire malicieux tout en faisant remonter mon sac sur mon dos.