Il ne fallait pas se tracasser dans la vie. Seulement profiter. Car la vie était connue pour être courte et elle n’était pas semblable à celle donné dans les jeux vidéos. Pas de retour à la dernière sauvegardation possible. Tu vivais une fois. Pas deux. Alors il fallait en profiter. Vivre ce que tu avais envie, sans prise de tête. Et puis, tu n’avais plus tes parents pour te dicter ce que tu avais à faire. Alors toutes les bêtises te tendaient les bras. A toi de les faire ou non. A toi de choisir si tu voulais vivre ou rester sur le banc à attendre la mort. Sortir, c’était un verbe que tu aimais bien. Il allait parfaitement avec profiter, s’amuser, danser. Ça te définissait bien tous ses verbes. Du moins, ça définissait l’état dans lequel tu serais ce soir. Dans cette grande salle où la musique était forte, tu te laissais bercer par le rythme. Tes hanches se mouvaient sur ce dernier alors que tu profitais. Lacher prise, ce soir. Profiter. Dans tes déhanchés, tu ne fis pas attention à ce qui t’entourait et c’est sans grande surprise que tu bousculais quelqu’un. Aussitôt, tu te tournais pour t’excuser mais ça ne servait à rien, la personne en face de toi ne pouvait pas t’écouter avec le bruit que les sonos faisaient.

Je suis exténuée. Je n'ai pourtant pas envie de dormir. Quand bien même je le voudrais, je ne suis pas certaine d'y parvenir. Ayant encore toute la nuit devant moi, autant en profiter. Le plan : vendre tout ce qu'il me reste. J'ai besoin d'argent, chacun sa méthode. J'ai déjà vendu une bonne partie de l'herbe aux campeurs de Buffalo Street. La boîte de nuit de la ville me semble être un choix judicieux pour me débarrasser du reste. Si mes vêtements passent encore, je suis étonnée qu'on me laisse entrer avec la mine que j'ai. Qu'importe, je suis entrée. Je ne vais tout de même pas m'en plaindre.
A l'intérieur, la musique manque de me rendre sourde tandis que les stroboscopes de me rendre aveugle. Je balaie la piste du regard à la recherche de potentiels acheteurs et me retrouve bientôt au beau milieu de la foule. Là, on me bouscule, et un verre vient aisément se renverser sur mes jambes heureusement nues. Je ne suis franchement pas le genre de nana à crier pour si peu. Mais spontanément, je me retourne. L'homme qui se tient devant moi me regarde, et je devine que les excuses que j'ai cru avoir entendu il y a de ça quelques secondes étaient finalement bien réelles. Il faut dire que la musique pour le moins sourde associée à la fatigue qui me colle à la peau ne me sont pas d'une très grande aide. C'est rien vous en faites pas. Étonnement, je parviens même à esquisser un sourire. Je ne me souviens même pas de la dernière fois où c'est arrivé.

C’était vraiment ta veine. Tu venais de sortir du boulot pour te détendre et te voilà qui perdais tes bonnes manières en publique. Tu n’aurais pas pu faire attention ? Juste pour ne pas passer pour le mec qui draguait lourdement les filles et qui ne respectait rien. Pourtant tu n’étais pas du tout ce genre de personne. Même si on te donnait souvent ce rôle de caïd à cause de ta carrure. Mais le physique ne faisait pas l’homme. On disait souvent que l’habit ne faisait pas le moine, que les apparences étaient trompeuses. Alors pour toi aussi c’était le cas. Mais tu en avais peut-être aussi un peu honte. Honte de ce corps qui était le tien. C’était idiot surtout que beaucoup tuerait pour avoir ton corps mais tu étais comme ça. Tout petit, on t’avait linché à cause de ton physique et maintenant que tu avais pris les choses en main, cette honte de toi-même persistait. Secouant la tête, tu l’observais, ne percutant pas réellement sur ses paroles. Peut-être qu’elle t’en voulait, tu n’entendais rien en même temps. Lorsque tu entendis la fin de la musique pour une autre, tu lui proposais ta main, comme un signe d’excuse et une demande pour danser. Peut-être qu’elle partira juste mais en tout cas, tu avais tenté de te faire pardonner. Tu n’étais pas une brute, juste un mal compris.

Une effluve de ce que je devine être du rhum me caresse doucement l'odorat tandis que l'homme, assurément pas désagréable à regarder, me tend désormais sa main. Sans trop savoir pourquoi, je me surprends bientôt à la lui prendre et, nerveusement, me mets à secouer la tête tout en soutenant timidement son regard. Je sais pas danser, répété-je près de son oreille. Non, ça c'est sûr, je ne sais pas danser. Je ne sais pas danser sur ce genre de musique bien qu'il ne s'agisse apparemment que de déhanchés, je ne sais pas danser la valse, je ne sais pas danser le tango, je ne sais pas danser tout court. Et pour cause, d'aussi loin que je me souvienne, je n'ai en réalité jamais danser. Danser, faire de nouvelles rencontres, toutes ces choses que l'on est censé faire lorsque l'on va en boîte, tout ça : tout ça c'est pas moi. Je sais être froide, cynique, sarcastique, une vraie emmerdeuse comme on en rencontre qu'une fois dans sa vie, mais me mêler à la foule, je ne sais pas faire. Moi j'avais Wes, ça me suffisait.
Dans la mesure où je ne suis pas certaine de savoir ce que je suis là supposée faire, je décide de faire confiance à l'homme et me laisse maintenant guider. Il est vrai que j'aurais pu refuser. Après tout, je suis venue ici avec un but précis. Mais ce but mis à part, je n'ai rien d'autre à faire. Je n'ai nulle part où aller.

Elle ne savait pas danser. Pourquoi venir ici alors ? Toi, tu ne jugeais pas. Tu n'étais pas comme les autres à toujours chercher de mettre une étiquette sur tout. Toi, tu laissais traîner les boîtes et lorsque tu les ouvrais, c'était le petit suspens de sur quoi tu allais tomber. Mais tu ne jugeais pas. Juger, c'était pour les gens qui ont des complexes d'infériorités. Et toi, tu ne te sentais pas inférieur à un autre. Tu étais bien là, avec tes hontes, tout seul ou entouré. Mais non, tu n'allais pas lui en vouloir de ne pas avoir appris. Même si toi, tu trouvais ça bizarre une personne qui ne sait pas danser. Danser, c'est comme marcher, c'est naturel. Du moins, ce le fut pour toi. L'attirant à toi, tu lui soufflais à l'oreille, douce promesse : « Laisses toi juste guider ... » On pouvait vraiment te donner notre confiance ? Sûrement car toi, tu voulais juste profiter ce soir. Tu voulais juste oublier. Et ne plus crée d'embrouille. Alors ce soir, tu l'attirais à toi, glissant tes mains dans le creux de ses reins, cherchant à ne pas se faire passer pour le pervers que tu n'étais pas. Et tu la guidais. Lui disant dans un premier temps de calquer tes mouvements. Par moment, tu la lachais pour revenir plus près d'elle. C'était ça la danse, c'était la séduction, la recherche de contact, l'envie de l'autre. Et tu allais réussir à lui faire ressentir cette même envie qui te brouillait l'esprit au rythme du son.