Toute l'attention de ma main est dirigée vers la sienne, féminine, je la serre dans la mienne. Mes doigts voyagent sur ses veines, caressent ses phalanges une à une. Mais mes yeux restent accrochés par l'écran.

Son pouce, sur le dos de ma main comme une réponse à ma caresse gratuite.
- Désolée ...
Sa douce voix s'élève dans le bruit du film, le silence de notre tendresse. Non, s'il te plaît, ne nous arrêtons pas maintenant, la dernière fois que j'ai touché une fille de trop près, ça nous a donné un enfant. Maintenant, tout ce que je m'autorise avec les filles, ce sont des débris de douceur volés comme ça, à l'occasion.
- Non, c'est moi, pardon.
Je garde sa main, au cas où elle ...
Au cas où.

«Non, c'est moi, pardon. » sa main garde la mienne, sa peau chaude reste au contact de la mienne, bien plus froide. Presque gelée. Je suis une poupée de glace, une poupée de verre. Ma peau est froide comme si le sang ne parcourait pas mon organisme. Je ne fuis pas non plus, je reste à son contact. J'entrelace même mes doigts aux siens, finalement. Comme si cela était normal, comme si nous nous connaissions. « Ce n'est pas très grave ...» que je murmure du bout des lèvres pour ne pas déranger le reste de l'audience. Je n'ai pas envie de rompre ce moment d'affection, je n'ai pas envie de le laisser repartir, de laisser sa main vagabonder ailleurs.

- Ce n'est pas très grave ...
Elle dit.
J'ai oublié. J'oublie. D'une inconnue à l'autre - et elles sont partout, dans les cafés et dans les étoiles, dans les lacs et dans les vaisseaux spatiaux - j'oublie. Ce que ça fait. Un petit remontant d'amour. Un coup de baguette magique sur mon cœur. Un baume pour mes sentiments. Ça fait du bien. Je. Souffle. Un. Coup.
Je garde sa main, nos mains, mélangées l'une à l'autre comme des fils de laine.
- Ça ... Ça te dérange pas au moins ?
(Souffle contre son oreille).

«Ça ... Ça te dérange pas au moins ? » son souffle chaud effleure mon oreille. Comment cela pourrait-il me déranger ? Comment une marque d'affection aussi simple, aussi naturel que celle-ci pourrait-elle me déranger ? Comment peut-on être dérange par un geste comme celui-ci, un geste sans arrière pensée. Un geste simplement exécuté parce qu'il en avait besoin. Parce que j'en avais également besoin. « Pas du tout ... ça me réchauffe le coeur.» tu me réchauffes le coeur, inconnu. Parce que mon coeur, il a froid en ce moment, il est seul.

- Pas du tout ... ça me réchauffe le coeur.
Je souris. Elles disent souvent merci, à la fin. Comme si j'étais venu les sauver d'une froide et éternelle solitude, comme si j'étais le super héros de leur cœur. Mais les filles c'est pas pour vous que je fais ça, c'est pour moi, j'ai froid.
Alors nos mains continuent leur chemin, sûres d'elles, mais rien ne va plus loin. De ma belle voisine, je ne connais que les doigts de fée et le profil encadré par des cheveux-épis-de-blé.
- Pourquoi, il a froid, ton cœur ?
Toujours des murmures. Ils s'échouent contre ses tympans.

«Pourquoi, il a froid, ton cœur ? » murmure-t-il alors à son tour. Comme si cela avait réellement de l'importance, comme si cela comptait vraiment pour lui, comme si ça pouvait changer le cours de sa journée ... on sait pourtant tous les deux que cela ne changera pas grand chose. Je lui confierai simplement que je suis seule, terriblement seule et nos vies reprendraient leur cours dès la sortie de ce cinéma. «Parce qu'il est tout seul.» Simplement. Je suis honnête, je ne me cache pas et je ne fuis pas non plus. Parce qu'il n'y a plus personne pour prendre soin de lui, pour le réchauffer ne serait-ce qu'un peu. «Et toi, que cherches-tu par ce geste ? De l'affection ?» Si c'est le cas, nous cherchons la même chose.

- Parce qu'il est tout seul.
Ça pique, ça brûle comme réponse. Je m'imagine, avec une épée, aller briser la glace qui tient le cœur de mon inconnue prisonnier d'un hiver éternel. Mais non. Non, pardon, mais c'est pas pour ça que je suis là. C'est pour moi. Et c'est pas parce que c'est toi, que ça aurait pas pu être quelqu'un d'autre.
Connard ?
- Et toi, que cherches-tu par ce geste ? De l'affection ?
De la douceur, de la tendresse, de la chaleur, de l'attention, un semblant d'amour, un espèce de mensonge mais d'une telle courte durée qu'il en devient beau.
Oui.
- Retrouver un peu d'amour.
Le toucher du bout des doigts et puis m'en aller comme si rien ne s'était passé, parce que rien ne se passe jamais vraiment. Juste des mains qui tombent en émoi. Jamais plus. Jamais rien. Jamais des baisers. Jamais des caresses. Un jour j'essaierai. Pour voir ce que ça fait. Peut-être avec elle, si elle veut bien, comprendre.
J'ai un sourire. Et nos mains se réchauffent, à défaut que ce soit nos coeurs.

Je n'étais pas seule avant. Mon coeur ne l'était pas. Il était accompagné d'un autre. Puis, je suis partie. Je suis partie comme une voleuse, parce que je ne supportais plus de me sentir aimée sans aimer en retour. Parce que je me sentais capable de ne pas éprouver ce que l'on attendait de moi. Et me voilà. Me voilà seule dans ce cinéma. Tellement désespérée, tellement seule que même un inconnu arrive à réchauffer mon coeur. Cela faisait si longtemps que je ne l'avais plus sentie battre dans ma poitrine, ne serait-ce qu'un peu. «  Retrouver un peu d'amour. » Voilà ce qu'il était venu chercher. Nos quêtes étaient semblables, il me semble. Nous cherchions le réconfort, nous cherchions l'amour comme un chien cherche son os. Ca en devenait presque vital. J'avais besoin de m'oublier dans les bras d'un inconnu, de me perdre dans son regard. Mais pour le moment, je me contenterai de cette main. Délicatement, mes doigts remontent jusqu'à son poignet puis son avant-bras. Je laisse glisser le bout de mes doigts sur celui-ci, descendant pour remonter, dessinant des allées. « Est-ce que je pourrais ... » je me râcle la gorge. Je suis gênée de poser cette question. « Ne me lâche pas s'il te plait ...»

Sa main quitte la mienne, alors je me sens trembler, tomber, vide, paumé, mes doigts crient famine, ils réclament leur dû, ils se sentent plus comme il faut. Et puis c'est mon poignet qui les retrouve. Putain. Ouf. Ils voyagent ici et là, poignet, avant-bras, c'est comme si des morceaux d'étoiles tombaient en furie sur ma peau. Ça pique. Et puis ça fait tout chaud. Des étoiles je vous dis.
- Est-ce que je pourrais ...
Elle a l'air aussi perdue que moi, égarée dans son chemin étoilé.
- Ne me lâche pas s'il te plait ...
Mon sourire est petit, je l'empêche d'être plus grand, je sais pas pourquoi, mais je tiens à le garder pour moi, qu'il m'en reste pour plus tard, ça fait mal, un peu, dans les joues.
Un bon mal, un mal du cœur et du bonheur.
Je reprends sa main doucement, c'est pas que ça m'ennuie, ses doigts aventuriers, mais j'aime la tenir par la main, c'est comme un port d'attache, un endroit sûr, quelque chose à quoi s'accrocher quand viendra la chute.
Et puis les mains c'est bien, parce que j'ai oublié comment on étreint une fille, je crois - apprivoiser la courbe de son dos, apprécier sa nuque.
- J'te tiens.

Mon regard dérive, se pose sur l'homme qui se tient à mes côtés. Son joli sourire attire mon attention, il n'est pas très large mais je le pense sincère. C'est un sourire qui donne envie de sourire aussi. Un sourire rassurant. Le genre de sourire que l'on veut croiser chaque jour de notre vie, juste pour être sûr de voir un peu le soleil. Oui, c'est un soleil. Sa main retrouve la mienne, nos doigts s'entremêlent l'un à l'autre, nos mains se rejoignent. J'ai l'impression que nos membres ne forment plus qu'un, que nous sommes liés. Que rien ne pourra m'arriver tant qu'il me tient la main. Et il me promet de la garder dans la sienne. «Je m'appelle Andy.» que je murmure alors. Ma main serre un peu plus fort la sienne, je n'ai pas envie de le laisser s'envoler. Puis, je me penche vers lui. Je ne réfléchis pas plus que cela, je me laisse guider par mon envie et doucement, du bout des lèvres, je dépose un baiser sur la joue de l'homme. C'est chaleureux. Ca me brûle presque les lèvres et les joues. Je me sens rougir et je m'empresse de retrouver le fond de mon fauteuil.

Je la tiens, c'est ma bouée d'amour.
Elle s'appelle Andy, ça doit être son surnom alors je lui donne le mien dans un murmure pour ne pas réveiller la salle :
- Tom.
Andy et Tom au cinéma. Premier rendez-vous à l'envers, les prénoms-surnoms donnés quasiment à la fin, et puis le premier baiser qui vient : il tombe en plein milieu de ma joue, il me surprend jusqu'au fond du ventre, où il reste, tourbillonnant. Ça brûle.
Je comprends que sur l'écran, ça s'embrase, ça s'embrasse. Nos mains toujours en amour, ma joue maladroite, je suis la scène, gros plan sur leur baiser, la danse synchronisée des bouches, les mains dans les coins les plus jolis des corps - cou, taille.
Non.
J'en suis pas, plus, capable. J'ai oublié comment ça fonctionne dans la vraie vie de la réalité, là où on ne joue pas dans un film, là où on n'a qu'une seule prise pour bien réussir le baiser.
Soupir.

Tom, il s'appelle Tom. C'est beau Tom. Tom le chat. Tom le mignon aux yeux bleus. Tom, tom, tom. Je répète son prénom dans ma tête comme une douce mélodie, comme une ode à l'amour. Puis, sans réfléchir, je dépose un baiser du bout de mes lèvres sur sa joue. C'est une envie, presque un besoin. L'envie de retrouver les gestes que l'on connait lorsque l'on est amoureux, le besoin de sentir mon estomac se serrer, se compresser et s'emplir d'amour. Enfoncée dans le fond de mon fauteuil, je fixe longuement l'écran. Je jalouse silencieusement cet amour qui transperce l'écran puis, tournant la tête vers mon camarade, je murmure doucement. « tu ne voudrais pas essayer ?»  j'ajoute simplement un «ça» pour être plus précise tout en lui indiquant l'écran de mon indexe.

Tom je trouve ça con, mais ça vaut toujours mieux que Thomas. Mais ça a l'air de plaire à ma voisine, à Andy. J'aime bien son nom, j'aime bien penser son nom, c'est comme savoir quelque chose de très important sur elle. Et puis c'est nouveau, entre les filles du cinéma et moi, qui d'habitude restent des inconnues, des souvenirs, des mirages qui s'effacent après coup, après caresse(s).
Elle lance un murmure à mon visage, quelques mots quasiment silencieux que je perçois comme des cris hurlés.
- Tu ne voudrais pas essayer ?
Quoi ?
Moi j'ai déjà oublié cette histoire de bave et de bouches, j'ai quitté l'écran des yeux et c'est nos mains que j'admire bêtement, chaudement. Essayer. Ça. Le baiser comme à l'écran. Ah. Moi je sais embrasser. Mais ça fait des années que j'ai pas pratiqué. Mais je la trouve belle et mignonne à demander au lieu de voler, alors je lui donne, son baiser. Nos lèvres légères comme des papillons œuvrent dans leur coin en silence.

Je tremble légèrement, je suis honteuse. Honteuse d'avoir laisser ces mots s'envoler, laisser ces mots résonner. Peureuse également. Il a entendu ce que je lui demande, je le sais et maintenant, j'ai peur qu'il refuse, qu'il prenne la fuite. Comme j'ai pu la prendre par le passé. J'ai peur qu'il me laisse seule ici, qu'il reprenne avec lui cette impression d'amour qu'il m'a livré. Mais il n'en est rien. Je ne le sens pas jugeur, je ne le sens pas moqueur. Tom le gentil, Tom le compatissant. Il se rapproche alors pour déposer ses lèvres chaudes sur les miennes. Mon coeur bat un peu plus vite. Mon coeur cours plutôt que de marcher. Mon coeur risque même de trébucher. Jamais mes lèvres n'avaient effleurés d'autres lèvres que celles de l'homme qui m'était promit, jamais je n'avais eu la chance de choisir l'homme que mes lèvres allaient caresser. Mes joues s'empourprent légèrement, j'ai chaud. Je ne veux pas que ça s'arrête. Reste Tom, donne-moi encore un peu de toi.

Comme des adolescents. Premier baiser, premier émoi. Je la trouve belle quand je l'embrasse timidement, alors que j'ai fermé les yeux pour ne sentir que le doux ballet de nos bouches. Ma main se pose dans son cou, sous la barrière de ses cheveux parce que je trouve que c'est là que les femmes sont les plus belles. Et j'accélère un peu la ca-danse. Ma langue fait le tour de la sienne dans un rythme un peu plus fatigant mais en accord avec ce qui se passe dans mon ventre. C'est doux. Désir. C'est tellement beau et c'est tellement chaud que j'arrête avant même d'avoir pu faire le tour de notre baiser. Comme si j'en gardais pour plus tard, je sais pas. Faut y aller doucement avec les découvertes.
Je la regarde.
Elle est belle dans l'obscurité, imagine à la lumière.

Il est doux Tom. J'aime sa façon de m'embrasser, j'aime le laisser mener la danse. J'aime me sentir petite près de lui, je me sens en sécurité. Il ne peut rien m'arriver. Sa main se pose dans ma nuque, je frissonne. Je défaille presque. J'ai l'impression de ne jamais avoir réellement vécu ce genre de moment par le passé, j'ai l'impression de découvrir quelque chose de magique. D'exceptionnel. Puis, le rythme s'accélère. Mon coeur en fait de même. Il est prêt à sortir de ma poitrine, je ressens même certaines choses au fond de mon estomac. Des chatouilles. Et il se recule finalement. Il interrompt le contact de nos deux corps, il met fin à ce contact chaleureux. Délicatement, je dépose deux de mes doigts sur mes lèvres. Je réalise seulement ce que je viens de faire. Mes lèvres sont encore chaudes. «tu es magique.» que je lui dis alors. Magique de m'avoir fait ressentir tout cela. Alors je suppose que c'est maintenant que je dois le remercier. «M ...merci Tom.»

J'ai l'impression que ce qu'elle a goûté sur mes lèvres tient de la découverte, regardez-là avec ses doigts joliment posés sur sa bouche comme pour dire, oh, comme pour dire une surprise innocente et délicate. Je la regarde, la poupée dont la blondeur incendie et illumine la salle obscure, je la remercie des yeux de m'avoir offert ce moment et d'avoir poussé plus loin mes sales habitudes de voleur.
Elle dit tu es magique. J'ai peur de ne pas comprendre.
Elle dit merci, je voudrais lui dire oui mais c'est fini.
Moi je dois rentrer à la maison et faire le chef cuistot pour Cosmo dont le palais est très intelligent.
- Merci à toi d'avoir joué le jeu.
Je souris parce que c'est vrai, elle aurait pu dire non mais arrête, rends-moi ma main, espèce de gros salaud va t'assoir ailleurs et laisse-moi tranquille. Je souris, sur l'écran les amoureux aussi, on les voit s'en aller plus loin.
Je crois qu'il va bientôt falloir partir.

J'ai passé dans ce cinéma, un moment inattendu. Irréaliste presque. J'ai embrassé un homme, pour de vrai, parce que j'en avais envie alors que j'étais simplement venue pour regarder un film et passer le temps. Je ressens encore des picotements dans les lèvres, comme si il avait parsemé de la poussière d'étoile en m'embrassant. Comme si il avait dispersé sur moi, un peu de sa magie. Je repartirais certainement plus heureuse de ce cinéma, plus légère et le coeur chantant. « Merci à toi d'avoir joué le jeu.» J'ai envie de lui dire que c'est normal, que ça m'a fait plaisir mais en y réfléchissant mon comportement n'a rien de normal. J'aurais très bien pu me retrouver nez à nez avec un inconnu et moi, j'lui caresse la main. Faut vivre dangereusement mais pas trop quand même, j'ai eu de la chance qu'il soit gentil. Le film s'achève tout doucement, j'ai pas forcément envie de mettre fin à ce moment... Mais la beauté de celui-ci est peut-être liée à sa brièveté. Je me penche une nouvelle fois vers Tom, vers son oreille. « J'aimerais te revoir. » Pas forcément pour l'embrasser, pas forcement non.

C'est le générique de notre fin aussi, j'ai un peu peur, d'elle, de nous deux dans la lumière, j'ai peur d'avoir mal aux yeux. J'ai peur parce que c'est tout nouveau. J'ai peur parce que les autres filles, elles s'en allaient gentiment avec le souvenir de moi, de la chaleur de ma main dans la leur, et c'est tout. On a été loin, Andy et moi. Long voyage.
- J'aimerais te revoir.
Moi aussi, mais j'essaie de pas en avoir l'air, c'est con, c'est comme ça. Je me lève pas tout de suite, il reste encore un peu de nuit autour de nous, et de lignes de crédit, alors j'en profite, de ces derniers moments de noire intimité. Je me penche vers elle sans trembler comme je l'aurais fait dans la vie, dehors, et je lui chuchote sept chiffres qui ne voudraient rien dire si ce n'était pas mon numéro de téléphone :
- 482 5829.
En espérant qu'elle les garde intacts, au chaud dans sa tête.

Le générique défile. Comme notre vie. Certain se bouscule déjà pour quitter la salle dans laquelle nous sommes alors que moi, j'aimerais encore prolonger ce moment hors du temps, dans un autre espace, dans un autre univers. J'aimerais revoir tom. Je le lui dis, je dis toujours ce que j'ai dans un coin de la tête, je ne veux pas garder les choses pour moi. «482 5829. » son numéro, je l'ai bien compris. Ma meilleure chance de le revoir sans doute. La seule peut-être. Je le retiens, je le répète inlassablement afin qu'il reste coincé dans ma tête. Afin qu'il ne s'envole pas. « Je t'enverrais un message ... » Sur ces mots, je me redresse difficilement. Mes jambes sont un peu engourdies mais ça devrait aller. Il est temps pour moi de retourner à la lumière mais j'adresse malgré tout un dernier coup d'oeil en direction de l'homme. « A bientôt j'espère !»