Je dors ici, à même le sol, entre les cartons de déménagement. Un jour, faudrait peut-être les déballer mais ils n'ont de cesse de me rappeler mon passé. Alors, je reste emmitouflé dans mon duvet, tel un sans-abris dans son propre logis. Je m'enferme dans ma bulle de tissu, bien au chaud et refuse d'en sortir.

Complètement bourrée. C'est l'état dans lequel je suis. J'erre, la vision brouillée par les nombreux grammes d'alcool qui évoluent dans mon organisme. Mes pas sont incertains, mon corps ne m'obéit plus. Je parle seule, débitant un nombre incroyable de conneries. Je raconte ma vie à qui veut l'entendre, je hurle sur le fiancé qui m'a abandonné sans un mot. Enfin si. Avec un mot sur la porte, et un « désolé ». Je hurle ma haine à la face du monde, et finalement, j'entre dans l'une des pièces qui se dressent dans le long couloir... Et je me prends les pieds sur un duvet.

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Comme souvent, il m'est impossible de m'endormir malgré tous mes efforts. Je me tourne et me retourne, mais rien n'y fait, mon insomnie est devenue ma meilleure amie ces temps-ci. Se bourrer de cachets, il y avait pensé, mais à quoi bon. J'attends le brouhaha du couloir, ne comprend pas les mots prononcés. Quelqu'un crie. Je m'enfonce dans mon cocon, encore plus profondément, je voudrai disparaître. Soudain, un filet de lumière entre dans la pièce. Merde. J'ai encore oublié de fermer la porte. Je n'ai pas le temps de réagir, quelque chose ou quelqu'un me percute. Je remonte à la surface de mon duvet, j'ai fait trébuché une jeune femme. « Mademoiselle ? Ça va ? » M'inquiètais-je.

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Mon corps, toujours hors de contrôle, m'échappe encore davantage. Il tombe, je le sens, mais quoi que je fasse - bouger les mains dans tous les sens - rien n'est suffisant pour amortir la lourde chute... Si ce n'est le sac de couchage. Néanmoins, je me fais mal, parce qu'il y a quelque chose de dur à l'intérieur. Un homme ! Je continue de baragouiner tout et rien à la fois, sur la pluie et le beau temps, sur le bonheur et le malheur, sur ma vie et celle des autres. En voyant sa trogne sortir du duvet, je lui attrape les joues et je l'embrasse. Réfléchir ? Pas possible là. Avec un sourire ignoblement idiot, je réponds dans un gloussement. « Jamais. » J'éclate de rire, et je reprends, une fois mes esprits retrouvés. « Jamais je me suis sentie... Hic !... mieux. » Je tire alors sur la fermeture éclaire du duvet et je me glisse aux côtés de cet inconnu qui pourrait être aussi bien le pire des meurtriers. Je me serre et me pelotonne contre lui, plongeant mes yeux vitreux et imbibés d'alcool dans les siens. « Eh. T'es mignon tu sais. Et t'embrasses bien. » Il va sans dire que lorsque je redeviendrai moi-même, j'aurai de gros soucis à me faire niveau réputation...

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Malheureusement pour moi, je n'avais pas assez bu. Et les effets de l'alcool commençaient déjà à s'estomper, me laissant un peu pantoise entre les bras de cet inconnu. Je souris en le voyant rougir à cause de mon baiser. Passant une main douce sur sa joue, je l'embrassais une fois encore. C'est peut-être méchant, mais j'aime bien m'amuser des réactions des gens. Surtout lorsque je suis ivre. Et puis j'aime bien, poser mes lèvres sur les siennes. Il est doux. Il est chaud. Et dans ma petite robe noire et courte, j'ai eu tout le loisir de me les geler. Je me colle contre lui, sentant évidemment une certaine résistance de sa part. Ca me vexe un tantinet, mais je ne relève pas. « Et pourquoi ça ne le serait pas, mon mignon ? » Je demande, incrédule. Je me pelotonne contre lui, posant ma tête contre son cœur. « Moi, je suis très bien comme ça. » J'ajoute. J'en veux à tous les mâles de la planète, mais pas celui-là. Je veux oublier la solitude. Je veux oublier cette douleur lancinante qui est devenue mon amie la plus proche. Je veux oublier le chagrin, et je veux oublier tout ça avec lui. Dans ses bras. Avec un sourire, je relève la tête pour le regarder et lui dire : « La prochaine fois que tu veux éviter des nanas ébréchées dans mon genre... Un conseil : Fermes la porte à clé. » Et avant qu'il ne rétorque quoi que ce soit, je pose un doigt sur sa bouche, les yeux toujours rivés aux siens dans un défi muet de me le faire enlever.

Elle m'embrassait, je reculais. Qu'est-ce qu'on était ? Deux inconnus paumés qui cherchaient comme il le pouvait un peu de réconfort auprès de l'autre. Cette fille était bourrée et le lendemain elle se demanderait sûrement ce qu'elle foutait là mais peu importe, sa simple présence me réconfortait. « Et pourquoi ça ne le serait pas, mon mignon ? » Je tentais de dire quelque chose mais ma gorge était sèche et rien n'en sorti. « Moi, je suis très bien comme ça. » Pour la première fois depuis des décennies, je me laissais aller, lâchais prise, une fois dans ma sombre vie. Arrêter de vouloir tout contrôler. « La prochaine fois que tu veux éviter des nanas ébréchées dans mon genre... Un conseil : Fermes la porte à clé. » Je la serrai plus fort contre moi, comme si j'avais peur qu'elle s'en aille et ne revienne jamais, comme un gosse qui a peur de perdre son doudou. « J'y penserai la prochaine fois. » Répondis-je à voix basse. Je fermais les yeux, me laissais enivrer par son odeur, mélange d'alcool et de parfum puis les rouvrais. Je l'observais en silence, elle ressemblait à une poupée avec sa longue chevelure blonde et son visage fin.

Tu sais vraiment pas ce que tu fais. Ta gorge, elle est nouée. Elle est brûlée. A 90°. A cause de tout l'alcool que t'as ingurgité. Mais peu à peu, t'es déjà plus conscience de ce que tu fais. Parce qu'il se dissipe, et le brouillard qui empêche deux pensées d'être cohérentes aussi. Et un rire t'échappe quand il te sert plus contre lui. T'avais l'impression de le déranger, d'être une intruse, et si tu t'en foutais, c'était que parce que t'es sous l'influence du liquide ambré qui siège maintenant dans ton estomac vide. Mais finalement, il semblerait qu'il t'aime bien. « Je suis sûre que non. T'y penseras pas. » Tu dis. « T'aimes bien que je sois là, en fait. » T'ajoutes, un sourire sur les lèvres. Tu vas frotter la peau de ta joue contre la sienne, bien moins douce, avec la barbe naissante. Tu le connais pas, mais tu l'aimes bien : il te fait rire. Et il t'apporte chaleur et réconfort. Parce que oui, t'as pas bu pour le plaisir de te bousiller l’œsophage. T'as bu parce que tu voulais oublier. Oublier qui tu es, oublier les erreurs du passé. Puis tu relèves la tête, un peu, pour regarder autour de toi. Y'a pas grand chose, à part ce sac de couchage. T'as envie de le bombarder de questions. « Longtemps que tu vis ici ? » Tu demandes. Toi, ça fait que quelques maigres semaines. Mais déjà, tu t'habitues. Parce que les gens ici, ils sont gentils. Et parce que tout ce qui n'est pas ton "chez toi" d'antan, ça te plaît.

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