j'étais là. j'étais bien. à déambuler comme un pantin. les mains dans les poches, les yeux dans les étoiles, le coeur en bandoulière. je regarde ma montre, mais elle ne marche plus – depuis au moins trois semaines – mais c'est un réflexe. de toute façon, je me fiche de l'heure qu'il est. je me retourne, marche à l'envers, je fais le fier. l'odeur de pommes d'amour happe mon odorat quand je cogne dans quelqu'un de plein fouet. je manque de tomber, à croire que je me suis heurté à un rocher. quand je me retourne, les yeux tout en excuses et le sourire un peu penché, je croise le regard aussi bleu que le mien d'un jeune homme. ouf, c'est pas une dame âgée ou une fillette en béquilles. « wouups, vraiment désolé, je regardais pas où j'allais. » comme si on ne l'avait pas remarqué, tiens. en guise d'excuse sur un plateau d'argent, tu lui offres un sourire brillant. « on s'est pas déjà vus ? » typique, banal, un peu minable, je sais. mais bon, l'imagination c'est pas toujours mon fort pour engager une conversation.

je fixe longtemps ses yeux. trop longtemps, je sais, mais c'est parce que c'est spécial. j'ai dit qu'ils étaient bleus comme les miens. mais je n'ai jamais vu la couleur des miens. ni de ceux de personne d'autre, en fait. mais comme ils ont le même gris, j'imagine qu'ils sont bleus, eux aussi. ok, il pense pas, c'est pas grave, moi non plus en fait ! j'lui souris légèrement en contrepartie moi aussi, laissant un léger silence s'installer. en fait, une personne normale reprendrait son chemin et aurait oublié un simple inconnu au tournant prochain. mais j'ai jamais été une personne normale. je croise les bras lentement, fais mine de regarder aux alentours. « c'est la première fois que je viens ici. » forcément, vu que je suis arrivé hier. ou y a deux jours, je sais déjà plus. « tu attends quelqu'un ? » on m'a souvent dit que j'étais trop curieux. trop curieux, trop poli, trop démonstratif, trop enfantin ... que j'étais toujours trop quelque chose. mais mieux vaut trop que pas assez, non ?

« c'est pareil pour moi. » il n'en a sûrement rien à faire, mais que répondre ? il n'a pas franchement l'air ravi que je lui tienne la conversation. les hurlements interceptent mon attention aussi, et je souris légèrement. kyd, c'est un prénom sympa. je lui tends la main, spontanément, j'sais pas si c'est comme ça qu'on fait ici, mais bon autant tout tenter. « oz, ravi de te rencontrer. » non, c'est pas vraiment mon prénom, moi. mais bon, oswald, ça fait tellement vieux. et tellement pas d'ici. mais pour ça, mon accent haché s'en charge très bien. j'observe ses cheveux gris foncés un instant. « on fait un tour ? » de la tête, je lui désigne un manège, une sorte de montagnes russes. j'ai l'étincelle d'un gamin au fond des yeux.