Quelque part à cet instant (il ne le savait pas encore), une âme inconnue approchait, des pas s’accrochaient aux marches, une caresse rousse glissait dans la nuit. Confiée à l’air noir – quelles étaient ses peines, à quoi ressemblaient les larmes qu’elle retenait ? Quelles mains l’avaient échappée pour qu’elle se perde ici, et le souffle proche de quelles lèvres lui manquait maintenant ? Elle s’avança jusqu’à la barrière, offrait sa voix, évacuait sa présence d’une parole.
L’air noir mangeait de son ombre la page, les yeux même plissés faisaient difficilement maintenant le tour des petites lettres. Les vers salvateurs, ces mots de l’expiation bientôt deviendraient noirs aussi, rien ne ferait plus sens, la nuit les prendrait, inaccessibles, alors il fallait faire vite.
« C’est comme si l’immense porte peinte du jour avait tourné sur ses gonds invisibles, et je sors dans la nuit, je sors enfin, je passe, et le temps passe aussi la porte sur mes pas, » lut-il doucement, après s’être tu un long moment et avec respect. Dans sa voix désormais, il y avait quelque chose comme l’envie de partager cette émotion poétique qui le touchait, l’aidait. « Le noir n’est plus ce mur encrassé par la suie du jour éteint, je le franchis ; c’est l’air limpide, taciturne. J’avance enfin parmi les feuilles apaisées, je puis enfin faire ces quelques pas, léger comme l’ombre de l’air. »
Et puis elle pourrait croire qu’il l’avait écoutée, qu’il avait lu pour lui, comme si elle n’était pas là – sauf qu’elle était là, elle était bien là, et il était heureux qu’elle soit là.