cookie kamikaze

J'ai fait les courses pour la première fois de ma vie à Banff. Je me suis perdu dans les rayons. J'ai détesté les caissières. J'ai vu mon paquet de spaghettis s'exploser par terre. J'ai passé des heures avec un chariot grinçant. Je me suis habitué. Plus ou moins.
J'attrape un paquet de gâteau, le dernier, tout au fond, mon coude cogne contre les biscuits du dessous, je tente de rattraper, fais tomber un autre paquet. Entouré par quelques quatre paquets de gâteau, je rage.

Aujourd'hui, tu ne savais pas trop quoi faire. Dans un élan de détresse, t'avais pris la décision de faire un tour au supermarché, ça t'occuperais. Tu déambulais dans les rayons, tu te posais pas de questions. Tu marchais, sans but, sans fin. Interminable répétition d'un balai sans aucune représentation. Tu t'ennuyais, encore. T'avançais, toujours plus. Puis t'avais envie de sucre, finalement, tu t'es trouvée un but. Des gâteaux, des paquets à terre, un homme, en détresse. T'avançais, d'un pas timide. Tu ramassais les victimes qui jonchaient le sol, comme interdite. « Les pauvres, ils vont être tout cassé. » Tu t'étais mise à parler, comme une enfant.

Sous l'exaspération, je suis resté immobile, les poings serrés. J'ai soupiré bruyamment. Je déteste quand ce genre de choses m'arrive. En public qui plus est. La vie de monsieur lambda est tellement plus exaspérante que prévue, parfois.
J'entends une voix avant de voir la fille. Elle a ramassé les gâteaux. Sa façon de parler me fait froncer un sourcil. Tu n'as qu'à prendre un autre paquet. Pragmatique. Réaliste. Loin de l'enfance dans laquelle la fille semble enfermée.

T'étais là, à toute gentillesse, à ramasser des paquets, à aider. Le ton froid venait briser en mille morceaux tout ce qui te constituait, avec douceur, avec beauté. T'avais quitté ta ville pleine de froideur, ce n'était pas pour retrouver cela sur ton chemin. A ta quête à la liberté, t'avais décidé de laisser passer toutes les mauvaises âmes que tu allais rencontrer. Seulement, tu ne pouvais pas. Tu commençais à t'énerver, la politesse, ça coûtait pas un sous. « Et vous, vous pourrez chercher la gentillesse au coin d'un rayon. »

L'enfance tranquille devient l'enfance boudeuse. Elle me rétorque sur le même ton froid qu'être plus gentil ne me ferait pas de mal. J'arque un sourcil. La gentillesse, ici, il n'y en a qu'en toi. Non mais c'est vrai. Les super-marchés, c'est l'emblème du mal. Les gens ne sourient pas, ne parlent pas. Et moi je viens et je prends leurs habitudes. C'est pas pour rien que les gens ne s'attardent pas ici. C'est une excuse pour le ton froid avec lequel je l'ai abordée. Comprendra, comprendra pas ? Merci pour les paquets. Je la libère de son fardeau et remets le tout sur les étalages, avec maladresse.

Selon toi, c'était facile de se couvrir grâce aux autres. C'était l'exemple bête mais réaliste. Si tout le monde saute du pont, cela voudrait dire qu'il faudrait les suivre ? « Heureusement que je suis gentille, tout n'est pas perdu pour moi dans ce cas. » Tu l'observais d'un oeil méfiant, il semblait en pleine détresse, mal à l'aise. Que c'était-il passé ? Tu n'en avais aucune idée. Mais comme une enfant qui aimait se prendre pour une super héroïne, tu restais plantée là à ses côtés. « C'est bien une excuse, ou alors, vous n'êtes qu'un piteux mouton qui suit le mouvement d'être ronchon et qui s'en contente dans sa vie. » Tu croisais les bras, comme une enfant. Tu avais bien vingt-deux ans pourtant, mais Cappie, fallait se rendre à l'évidence, tu n'avais toujours pas grandie dans ta tête. Au moins, l'homme avait la gentillesse de te remercier pour les paquets, contre toute attente. Et tu lui souriais, doucement, mais sûrement. « Vous voulez de la compagnie pour finir vos courses ? Peut-être que ma gentillesse pourrait vous convaincre à changer de clan de moutonnerie ? » Puis t'étais là, avec ton regard malicieux d'enfant capricieuse.

Perdu ? Je ne sais pas si je suis un cas désespéré. Elle semble le croire, c'est son avis. Je n'irai pas lui avouer que j'y songe depuis presque vingt-six ans. Il serait temps de faire quelque chose de grand dans ma vie. Quitter ma vie d'avant pour m'affirmer, je ne suis pas sûr que ça ait fait avancer le schmilblick.
Je suis peut-être un mouton, elle a certainement raison. A toujours copier les pas des autres, à leur obéir sans ronchonner. J'ai oublié de me forger une personnalité. Je me sens juste bon à imiter. Elle fait semblant de bouder, les bras croisés sur sa poitrine. Moi je jette le paquet de gâteau qui me faisait envie dans le sac de course. Elle se propose de m'accompagner. Si tu veux. Mais toi, tu n'avais pas des courses à faire ? Je doute qu'elle vienne se balader par plaisir mais sait-on jamais.

Tu le regardais, lisant sur ses lèvres une réponse qui te satisfaisait. « Non, pas vraiment. J'avais envie de sucre, simplement. » D'ailleurs, tu t'emparais d'un paquet de gâteau qui allait te satisfaire. Puis tu suivais l'inconnu dans sa course. De manière curieuse, tu cherchais à combler ce silence. Il n'était pas forcément dérangeant, mais il fallait bien trouver une raison de ta présence, ici, avec lui. « Je ne me suis pas présentée. Je m'appelle Cappie. Et vous ? Et d'ailleurs, je peux vous tutoyer ? » Tu touchais le paquet de gâteaux aux chocolats entre tes doigts, légèrement rougissante au niveau des joues.

Elle s'empare d'un paquet de gâteau pour satisfaire son envie de sucre et se met à me suivre. Tout à la fois, je me sens puissant et mal à l'aise. Ne sont-ce pas les couples qui font leur course ensemble, d'ordinaire ? Je ne connais pas Cappie - c'est ainsi qu'elle se présente à moi - mais peut-être en donne-t-on l'impression... Oui, tu peux. Je m'appelle Ulliel. Dis, tu sais où sont les boîtes de pâtes toutes prêtes ? Je suis perdu, dès que les rayonnages bougent. Un vrai labyrinthe, ce supermarché, pour moi qui n'ai jamais fait les courses ni la cuisine.

T'aimais bien demander la permission de tutoyer les gens, ça faisait polie. C'était bien l'une des seules marques de politesse que tu respectais, ou plutôt, que tu essayais de respecter au maximum. Tu souriais quand l'inconnu au doux prénom d'Ulliel te répondait que oui. Et non, tu ne savais pas où les boîtes étaient. T'avais pas vraiment fait tes courses pour manger étant donné que tu logeais à l'hôtel pour le moment. « Je ne sais pas vraiment... » Tu te grattais la tête, c'était un signe de concentration chez toi. Tu souriais un peu. « C'est dans le rayon frais, non ? Et je crois que c'est à l'autre bout du magasin. » Tu repensais à la fois où tu avais subitement dévalisé le rayon des kinder pingui par envie. Et dans un pas adapté au sien, tu dévalais dans les rayons.

Elle n'en sait pas plus que moi. Ca me fait sourire. Miss cookies n'est pas habituée des supermarchés. C'est peut-être pour ça qu'elle est si gaie là où les grimaces succèdent toujours aux sourires. Ca marche, allons-y. Elle marche à mon rythme. Elle illumine le carrelage poisseux, les mines ternes. Une étoile se promène dans les rayons, faites attention ! Enfin le souffle des frigidaires nous enveloppe. Regard à gauche, regard à droite. Je suis perdu, j'annonce à haute voix, mon sac dans une main.

Silencieusement, vous déambulez dans les rayons. Tu regardais autour de toi, les gens vous prêtez pas d'attention. Mais toi, tu les regardais. Le visage sale, la mine boudeuse, ils étaient tristes et trop pâles. Les gens sont perdus dans un monde trop grand, tu soupirais. Puis toi aussi tu étais perdue, comme Ulliel avec ses pâtes. Tu levais les yeux, tu regardais un peu partout. Le froid des frigos venait caresser ta peau dans une agression pleine de douceur. « Je ne sais pas non plus.. » Tu le regardais en souriant, tu t'excusais avec les yeux. Finalement, tu voyais une vieille dame qui prenait des fromages. « Excusez-moi madame, nous cherchons les boîtes à pâtes toute prête. Vous savez où ça se trouve ? » que tu demandais en rougissant légèrement.

Elle non plus, ne sait pas où nous sommes. Je hausse les épaules en esquissant un sourire. Un peu forcé, un peu gêné. Abrutis que nous sommes, largués dans six cent mètres carrés.
Elle interpelle une vieille dame, Cappie, qui la toise d'un regard méfiant. Elle me jauge aussi, sommes-nous assez amoureux, assez bien, assez riches pour sa réponse ? Elle nous montre du doigt l'extrémité du rayon et je la gratifie d'un merci à peine prononcé. Je m'avance vers les pâtes, les trouve - enfin ! - et réalise qu'il manque celles que je préfère. Non, il n'y a plus de pâtes au pesto, je suis dégoûté.

La vieille dame, elle avait pas l'air super gentille. Elle te regardait d'un drôle d'air, mais pas seulement toi. Non, elle regardait Ulliel. Peut-être qu'aux yeux des autres, vous étiez amoureux. Amoureux heureux, amoureux peureux, amoureux. C'était étrange comme mot, sa raisonne dans ta tête, sa claque et ça fini par disparaître. T'oubliais l'amour. Tu te dirigeais en sautillant vers l'endroit indiqué en jetant un merci entre tes lèvres enfantines. Tu le regardais le blond, il te suivait. Mine triste, il manquait ses pâtes favorites. Tu le fixais de tes grands yeux bleus. "Et ça te dirait que je te fasse à manger, moi ?" Tu demander sans grande conviction, un peu gênée tu souriais. Après tout, la cuisine, c'était pas ton fort. Mais ça te ferait plaisir de partager un repas en toute innocence.