La vérité, c'est qu'elle aurait voulu être spéciale, la Juliette. Elle aurait aimé être celle qui fait tourner des têtes partout où elle va. Elle aurait désiré à n'en plus finir être l'objet de toutes les rumeurs, le nom qui passe sur toutes les lèvres. Elle aurait voulu être celle, de celles limite, quelqu'un, du moins. Être un martyr, n'importe quoi. Un rôle crédité. Une importance certaine.  Plus qu'un prénom que l'on oublie.

Juliette aurait aimé que quelqu'un s'inquiète de son disparition, mais personne ne l'avait fait.

Aucun appel manqué, pas de message texte non plus. Depuis mon départ – non annoncé – de la maison, j'avais skypé une fois avec mon père, eut un appel de la secrétaire du médecin, et un e-mail de Suzi Shier voulant m'annoncer l'arrivée de nouveau stock, et d'un solde printanier. J'aurais pu être morte, violée, a moitié nue dans un ravin, le visage  couvert de terre humide, un corbeau me picorant l’œil droit et un vers m'entourant un orteil comme pour sceller mon futur mariage à la terre, personne n'aurait su. Tout le monde s'en fiche anyway, de Juliette Archambault-Ellis, c'est qu'un manque d'espace et une chambre de plus de prise a l'hôpital.  Un deuil fait d'avance. Quelqu'un a qui on sourit, a qui on envoie un "bonne fête" quand facebook nous le dit, mais quelqu'un dont on se fiche éperdument.

Sur un coup de tête, elle lance son téléphone, qui tombe, tel une comète frappant une planète, sur le lit voisin, y formant un cratère de taille étonnante et réveillant, par le fait même, la forme de vie, auparavant cachée sous les draps, qui s'y abritait. Ouspy.

tes rêves sont là, des formes difformes, vagues, tu n'arrives pas à les comprendre, les saisir. tu aurais pu, peut-être, à un autre moment, plus tard, mais c'est trop tard, à présent, bien trop tard. tu te sens brusquement glisser hors de ton inconscient, tu tentes de l'agripper mais c'est fini. tu t'éveilles. tes yeux s'ouvrent et tu es perdue, confuse, un instant. puis tu te souviens. tu te souviens que tu es arrivée dans cette ville, banff, au milieux de la nuit dernière. que fatiguée, paumée, tu t'es arrêtée dans cette auberge de jeunesse, en attendant de t'installer, vraiment. parce que tu vas t'installer, cette fois. tu ne vas pas rester dans ce petit lit, dans cette chambre partagée avec des inconnus, une éternité. une inconnue t'observe, d'ailleurs. intriguée tout d'abord, te demandant pourquoi elle te fixe ainsi, tu remarques par la suite le portable, et fais le lien. tu le prends, avant qu'il ne tombe de ton lit par ta faute, et lui souris, timidement. « c'est à toi ? » ta voix est faible, effrayée, presque. tu as toujours l'air effrayé, quand tu parles aux gens. terrifiée à l'idée de les déranger.

 "Non, c'est au pape", elle veut répondre, de façon ironique, avant de se rappeler que François, le nouveau pape, est assez cool et possède probablement un téléphone lui aussi ce qui pourrait porter a confusion. Merde. « Oui, désolée, je joue a l'ado frustrée, je crois. » Elle répond plutôt, préférant l'honnêteté. Si elle a une qualité, la petite, c'est bien celle là (et si elle a un défaut, bien, c'est celui là aussi.) « Je suis Juliette. » J'ajoute, espérant avoir l'air sociable et normale, malgré le fait  que je viens de jeter mon téléphone sur une totale inconnue.

D'ailleurs, depuis quand est-elle là? J'inspire, m'imaginant des scénarios horribles : et si elle était cachée là depuis le début? Si elle avait tout vu de la vielle et de celle d'avant? Et si elle m'observait, le matin, quand je dansais presque nue avec ma brosse a cheveux?? Oh. God. Une grimace horrifiée prend le visage de la blonde a cet instant. La panique se repend en elle tel un virus – Une crise. Du moins, elle en a l'impression. C'est pire que crever, elle pense (même si son cœur battant prouve qu'elle n'est jamais morte, donc, ne peut pas faire de telle comparaison). « Je suis désolée pour tout ce que tu as pu voir... ou entendre. Aussi. Vraiment. » sort de sa bouche, en avalanche.

tu souris, timidement. tu l'observes, curieuse. elle a l'air si jeune, tu te demandes ce qu'elle peut bien faire là, à vivre dans une auberge de jeunesse. elle n'est probablement pas majeure. tu ne demanderas pas, ne poseras pas de questions, mais tu te demandes. ce n'est pas normal, et tu te sens triste. il doit y avoir une raison, pour qu'elle soit ici, seule, sans famille, et ça ne peut pas être une bonne. tu veux la rassurer, la pauvre. « ne t'excuses pas, quoique ce soit, je ne l'ai ni vu ni entendu. pour être honnête, je ne sais pas trop de quoi tu parles. quand je suis arrivée dans la nuit, tout le monde avait l'air de dormir. » elle a l'air paniquée, tu ne veux pas qu'elle panique. « donc, aucune raison de t’inquiéter, vraiment! »

Dans l'esprit de Juliette, les pensées roulent a deux cent kilomètres heures. Les idées se frappent, s'accidentent. Elle a peur des clichés, des préjugés racistes. D'où elle vient, la petite n'a été confrontée qu'a des blancs de nuances différentes : Des Québécois pure laine, des agriculteurs ontariens, des immigrés belges et bien sûr, l'odd one out, son papa, le Welsh.  Des gens, au final, tous du même endroit, ayant tous la même culture et les même valeurs. Oui, lors de ses séjours à l'hôpital, elle devait bien avoir croisé quelques ethnies différentes, mais là non plus, il n'y avait pas de différence : aux yeux des docteurs, aux yeux de la mort, on est tous pareils. C'est pourquoi elle ne sait quoi répondre aux excuses de sa voisine; On le fait, dans sa culture?

Et si elle est plus canadienne que moi? Sans trop le vouloir, je la dévisage, je décompose chacun de ses traits à la recherche d'une réponse, comme si je savais distinguer un japonais d'un chinois, même, un vietnamien d'un algonquin. Elle cesse de parler. Je cesse de l'épier, ou plutôt, je remarque mon impolitesse. « Désolée, encore. Je suis juste pas habituée... Je. » Je suis totalement idiote. Impolie. Ridicule. Grossière. « Je viens d'une très petite ville. J'ai été élevée dans une bulle. Enfin, tu vois. » Je. vais. pleurer. « J'ai juste pas l'habitude des nationalités différentes de la mienne. » Qu'est ce que je viens de dire? Je ne suis qu'a moitié d'ici moi même, qu'est ce qui me donne le droit de?? « Je suis probablement la personne la plus raciste que t'as jamais rencontré. Je suis vraiment vraiment désolée. Tu viens de genre, Toroto, c'est ça? »

Juliette expire, défaite.

tu écoutes son monologue, un peu abasourdie. tu ne sais pas trop comment prendre ses paroles, tu n'avais jamais rencontré quelqu'un d'aussi... franc avant. tu réfléchis à quoi lui dire un instant, tu ne veux pas dire quelque chose qui pourrait la froisser. finalement, tu lui souris gentiment. « crois-le ou non, tu es loin d'être la personne la plus raciste que j'ai rencontré dans ma vie » je pense à mon arrière-grand mère, qui a failli faire une crise cardiaque quand mon père lui a dis qu'on déménageait en occident, avant de lister toutes les raisons pourquoi les occidentaux étaient des monstres (en commençant par leurs mœurs et en passant par leurs couleurs de cheveux). le racisme se trouve partout, pas que chez les blancs, et peut prendre des formes très variées. « du moment que tu ne me considères pas comme inférieure à toi parce que j'ai les yeux bridés, et que je reste un être humain à tes yeux, je pense que c'est plus une question d'habitude » j'ajoute, avant de finalement répondre à sa question. « et non, pas du tout, de londres. et toi? ta petite ville est au canada j'imagines? »