j'suis morte. morte de fatigue. morte de tout. j'en peux plus. tout ce dont j'ai envie c'est de me caler dans un endroit confortable, de plus bouger et de sombrer dans un sommeil profond. oui, dormir. c'est de ça dont j'ai besoin. dormir tout le temps, dormir à l'infini, pour toute la vie. mais j'sais pas ce que j'ai. j'suis là, à marcher dans les rues de banff et j'me sens pas la force de rentrer. y'a les musiques qui sont là, celles des boîtes de nuit qui entrent dans ma tête mais qui n'en sortent plus. j'ai mal au bide. j'ai l'impression qu'une tenaille retient mes organes prisonniers et que j'vais clamser dans deux secondes. je m'arrête, puis je m'appuie au mur. je souffle. ça va aller. mais non, ça va pas aller. ma main se porte instinctivement à mes lèvres. non. non. je vais pas le faire ici. j'me vois mal vomir dans cette rue, là, à nue, à découvert devant tout le monde. il me semble qu'il y a des toilettes pas loin. alors je me remet en marche. c'est bon. hé non. c'est pas moi qui décide en fait. mon estomac fait des siennes et sans crier gare, il expédie tout ce qu'il contenait sur le trottoir. super. j'ai l'air de quoi maintenant? mon dieu, cachez-moi.

doucement, ta main vient prendre sa longue chevelure en une queue de cheval. tu la soutiens, tes mains s'égarent sur le haut de son buste pour ne pas qu'elle s'écroule. t’espères qu'elle va bien, qu'elle est pas juste en train de crever entre tes bras. ça te ferait mal au cœur et tu seras dans une belle merde.
ta voix sort dans un souffle rauque, à peine audible, tout juste paisible.
« doucement, respire. »

la gorge en feu, les yeux qui brûlent et les larmes qui dansent. je sens quelqu'un derrière moi. quelqu'un qui m'aide et qui me retient. il manquait plus que ça, que quelqu'un me voit dans cet état. l'horreur. je tousse, les yeux rivés sur le sol. non, c'est trop horrible. alors je les referme. je fais ce qu'il me dit. je respire. doucement. s'il était pas là, peut-être que j'aurai oublié comment faire. j'ai envie de lui dire merci mais aucun mot ne passent mes lèvres. je reste muette, j'attends que ça passe. je me redresse lentement puis je viens m'échouer dans les bras de cet inconnu. désolée. je murmure difficilement, comme si j'avais une raison de m'excuser.

elle réapprend à vivre, elle reprend pied dans la réalité, doucement mais sûrement. lentement, tu sais qu'elle peut y arriver. tu lui laisses le temps, juste le temps de remettre ses idées en place, d'être un peu plus droite et de voir à nouveau net dans la pénombre. mais t'oses pas la lâcher, oh ça non, tu vas pas risquer. alors ta prise reste ferme autour de son corps frêle, t'aimerais la protéger encore un peu plus de ses démons, lui apprendre à les apprivoiser. sans t'imposer, tu lui laisses accès à l'air libre, pour la rafraîchir, une douce brise venant caresser son visage.
« c'est rien. ça nous est tous arriver un jour. »
et c'est toujours mieux quand quelqu'un nous vient en aide.

je respire à nouveau. je sens le vent dans mes cheveux, qui court sur ma peau pour se jeter dans le vide à nouveau. je reprends contrôle petit à petit. j'ouvre les yeux, la lumière de la ville m'aveugle comme comme quand on sort d'une salle de cinéma trop noire. que quelqu'un soit avec moi, ça me rassure. quand il me dit que ça arrive à tout le monde, ça me rassure aussi. sans lui, je me serai sûrement effondrée sur l'asphalte comme une feuille qui tombe de sa branche une fois l'automne venu. je prends une grande inspiration. merci, en tout cas. je me sens conne. je sais même pas qui il est, ni comment il s'appelle. je sais rien de lui. juste que j'aime bien l'étreinte de ses bras autour de moi.

tu la vois se réhabituer à la vie, c'est comme une ange tombée du ciel, qui ne connaîtrait pas la terre. temps d'adaptation. mais là, c'est une ange qui rend ses tripes. une ange imparfaite, et ça tombe bien : tu hais le parfait. l'inexistant, c'est trop peu pour toi, tu veux du vrai, du fort, de l'exceptionnel. c'est pas trop demander, juste quelque chose de dément qui vous glace le sang, vous retourne et vous maltraite, que tu savoures et qu'ça s'arrête.
mais là, c'est encore trop tôt. pas question qu'elle quitte tes bras. alors ta main vient caresser son dos, histoire de la réchauffer du froid ambiant, de l'abriter des degrés qui tombent sous votre nez pour vous rendre malade.
« tu veux rentrer ? enfin, chez toi, tu veux que je te ramène ? »

le calme après la tempête. tout de suite, c'est un peu ça. même si comme tempête, y'a plus violent. beaucoup plus. mais comme calme, y'a pas mieux. j'ai l'impression d'être une enfant. je me sens comme un papillon dans sa chrysalide, prête à éclore. puis il me pose une question. chez moi. j'ai pas vraiment d'endroit. chez moi c'est une tente posée au milieu d'autres. ou alors posée au milieu d'un champ. personne m'attend et si je reviens pas, le vent finira par l'emporter avec lui. j'ai envie de dire non. je suis sur le point. euh, oui. c'est gentil. je parle doucement. je sais qu'il m'entendra. j'estime l'avoir assez embêté. il a été gentil. très gentil de prendre soin de moi quelques minutes. je l'oublierai pas.

un léger silence se créé, tu dirais même que le temps s'est arrêté. mais tu n'en es pas sûr, parce que tes pensées défilent toujours, se fracassant contre ton crâne, mais tes yeux restent fixés dans les siens, ton corps immobile proche d'elle, rien ne bouge, rien ne sort, tout reste en suspens, comme pause dans un film. comme le temps de tomber en amour l'un de l'autre.
play.
et ça reprend.
« euh, oui. c'est gentil. »
qu'elle te dit. alors tu lui souris, et tu te décales pour être à ses côtés, le froid prenant possession de ton torse en t'éloignant de sa douce chaleur. tu l'emportes avec toi pour quelques pas, mais rien ne vient.
« on va par où ? »

mon esprit voudrait avancer mais mon corps ne suit pas. comme si y'avait une barrière qui m'empêchait de bouger. je suis un peu comme une fille qu'on pensait morte et qu'on a enterrée. mais après quelques heures, on s'est rendu compte qu'en fait, y'avait des bruits de vie dans le cercueil. du coup, on l'a déterrée à coup de pelle, l'amochant par la même occasion. pendant une seconde, je sais plus comment marcher, je sais plus comment faire pour exister. c'est la première fois que je tombe aussi bas sans trop de raisons. j'essaye de me motiver. pour qui je passe là, putain? je glisse mes doigts dans mes cheveux pour essayer de retrouver mes esprits. c'est par où? faudrait pas que j'ai oublié le chemin. j'aurai l'air encore plus conne. il s'éloigne de moi, et le froid me capture. puis soudain, j'me sens toute chose parce qu'il est parti trop loin. c'est tout droit. mais c'est un peu loin.. je sais pas si tu connais, tu sais, c'est cet endroit où y'a pleins de tentes dans un champ. et peut-être que lui aussi, il habite là. je me surprends à le vouloir très fort. je sais pas, j'aimerais bien. puis je reprends. t'as peut-être pas le temps. je sais plus où me mettre. je veux pas être son boulet. je lui en voudrais même pas, s'il me lâchait là, au milieu de cette rue. puis je lui souris. un sourire maladroit, mais un sourire quand même.

tu la soutiens encore, histoire qu'elle ne te glisse pas entre les doigts, qu'elle ne s'affale pas sur le bitume. tu la serres encore contre toi, t'essayes de lui donner ta force et, comme une béquille, tu l'aides à avancer, à y aller pas par pas pendant qu'elle t'explique la route. là, tout droit. là, plus loin. t'espère que son corps va la soutenir quand même, pour avancer jusqu'à son chez elle.
« nop, j'connais pas. en fait, j'viens d'arriver en ville. »
puis tu la regardes, tu vois enfin son visage d'ange tombée du ciel, à la lueur des lampadaires. son sourire est mignon, comme une gamine qui serait prise en faute, ou bien celle qui demande un truc en sachant qu'on va lui dire non.
« j'ai tout le temps pour toi, cette nuit. »
tu avances encore un peu, histoire de voir si son corps tient le coup ou pas.
« alors, ai-je le droit de connaître ton joli nom en échange ? »
sourire charmeur, gueule d'ange face à son joli minois.

au fil de mes pas, je reprends vie. j'ai l'impression de sentir à nouveau mon sang circuler dans mes veines, exploser dans mon cœur et faire tourner mon cerveau à 100 à l'heure. comme si il s'était arrêté. mais je me repose quand même encore un peu sur lui, on ne sait pas, peut-être que mes jambes peuvent flancher d'une seconde à l'autre. je me retrouverais le nez dans l'asphalte et j'aurais l'air encore plus bête. ah! alors, tes premières impressions quant à ses habitants? je demande, avec un demi sourire. ouais, une pauvre fille qui dégueule dans la rue, y'a mieux comme premières rencontres, je suppose. j'espère que ça lui aura pas donné une trop mauvaise image de la ville. en tout cas, ça a pas l'air. et si c'est le cas, il cache bien son jeu. peut-être... au fond, je te dois bien ça. je fais une pause, histoire d'essayer d'être sûre que je vais pas me tromper de prénom. c'est pas que j'ai l'habitude de donner un faux prénom mais j'ai eu tellement l'esprit en vrac durant ces dix dernières minutes que j'aurai bien été capable d'oublier mon propre nom. et puis aussi, ça laisse planer le suspens. moi c'est diane, et toi? il faut que je me souvienne de celui qui m'a sauvé, quand même. ce serait trop bête que je sache pas son prénom.

tu souris un peu tout seul, comme un con, t'as presque l'impression d'avoir bambi qui apprend à marcher dans tes bras. mignon. ses joues reprennent quelques couleurs, un peu de rouge vient remplacer le blanc blafard qui avait envahi son épiderme. elle est encore plus jolie comme ça, avec un sourire collé sur la face.
tu repenses vaguement aux quelques rencontres auxquelles tu as eu droit à présent, toutes assez mouvementée même si celle-là bat des records à ton goût.
« très atypiques, tous. j'y rencontre parfois des anges. »
elle ou une autre, tu n'sais trop de qui tu parles mais tu le penses, qu'il y a des anges déguisées en belles jeunes femmes dans cette ville. celle que tu viens de rencontrer porte le nom d'une déesse, de la chasse et de la lune. tu lèves alors la tête vers le ciel, remarquant seulement la pleine lune au-dessus de vos têtes et t'as un nouveau un sourire sur le visage. es-tu en train de chasser belle Diane ?
« Beau prénom. »
et, dans un geste théâtral, cœur sur la main, tu lui avoues.
« et pour toi, je t'accorde le droit de pouvoir m'appeler "mon sauveur". immense privilège n'est-ce pas. »

des anges? ça me laisse perplexe. moi, j'ai beau les chercher, je les trouve pas. si banff est une annexe du paradis, c'est un labyrinthe dans lequel je me perds. et quand je crois avoir trouvé l'ange tant recherché, je me retrouve face à un mur. une impasse. comment tu fais pour les reconnaître? moi, j'vois des démons partout. vraiment. chaque personne que je croise dégage un truc maléfique, malsain. une aura ou une connerie du genre. j'ai jamais vraiment trop cru en ce genre d'invention, à mon avis, faite pour les ados pré-pubères en quête de romantisme et de sentiments inexpliqués. mais pourtant, j'me réfère souvent à ce que dégage une personne... alors peut-être que ça existe finalement. peut-être bien. je me demande si il croit, lui aussi. il lève les yeux en direction du ciel. c'est un peu comme quand quelqu'un baille, t'as envie de faire pareil. alors moi aussi je pose mon regard là-haut, tout là-haut. y'a la lune toute blanche, reine indétrônable, et quelques étoiles dansent autour d'elle. quelle chance j'ai... qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça? vomir dans un coin? ça me fait rire. puis ça me dérange pas de pas savoir son prénom, peut-être que je le saurai un jour.