CAILLOUX

y'a des cailloux, des cailloux un peu partout. là, tout autour de toi, y'en a des centaines ou des milliers, t'sais pas, t'sais pas compter. c'est des graviers, c'est des grosses pierres aussi. tu te balades au milieu d'eux, tu te fraies un passage parmi eux. et là tu shootes dans le premier venu, de ton pied tu frappes, fort, un peu trop, il s'en va, il s'envole, il disparaît un peu plus loin et t'entends un aïe !. oups. une victime un peu plus loin.

Encore une fois j'ère dans Banff, à la recherche de je ne sais quoi. Une illumination peut-être ? Un remède miracle ? Pour l'instant je n'ai rien trouvé de tout ça. Ici encore moins, il n'y a rien à part de la caillasse. La clope entre mes doigts abîmés, la fumée s'échappe de ma bouche. Je me contente juste d'avancer. Seulement il y a cette douleur dans mon dos qui me surprend. Un Aie sort automatiquement, réflexe stupide. Je me retourne sans pour autant voir quelqu'un, sûrement un gamin qui s'amuse et des parents qui se taisent. Vous devriez mieux surveiller vos gosses. Un soupire et une nouvelle taffe. Encore une fois j'attends, mais quoi ? Une réponse, un signe de vie. Juste quelque chose.

Spoiler:

t'as shooté dans le dos de quelqu'un, t'as pas fait exprès bien sûr. tu retiens un gloussement, parce que, mine de rien, tu trouves ça amusant. le fait qu'un caillou sur des milliers dans lesquels t'as shooté, ait trouvé destination, une cible mouvante. même si ça avait été voulu, t'aurais pas pu viser aussi bien. ta victime, c'est une fille. cheveux noirs, cheveux courts. elle se tourne et tu la vois, agacée, normal. vous devriez mieux surveiller vos gosses. qu'elle te dit. tu t'approches de façon à ce qu'elle te voit. de quels gosses tu parles? il n'y a que moi. aujourd'hui t'es l'Alix-chiante, l'Alix aga-chiante, l'Alix atta-chiante, l'Alix-qui-n'est-pas-désolée.

La cendre tombe en même temps qu'une silhouette daigne se montrer. En apparence ce n'est ni un parent, ni une gamine. Elle a juste un air enfantin cette fille. Pas vraiment blonde pas vraiment brune, je ne sais pas trop et honnêtement je m'en tape. Et t'es pas une gosse toi ? Un faible sourire en coin. Tout ce que je sais c'est qu'elle m'a balancé un cailloux dans le dos et même si ça ne fait pas vraiment mal, dans le principe on présente ses excuses. Visiblement l'inconnue en face de moi ne connait pas cette règle de politesse pourtant simple. Sinon les excuses tu connais ou pas du tout ? S'il y a une chose que je n'aime pas, il s'agit bien des personnes impolies.

Et t'es pas une gosse toi ? qu'elle te demande. est-ce qu'il faut nécessairement être un gosse pour balancer un caillou dans le dos de quelqu'un ? pourquoi un adulte, ou un papi, il n'aurait pas le droit de faire ça tiens ? et puis d'abord, c'est quoi être 'un gosse', ça inclut quelle tranche d'âge ? est-ce qu'à dix-huit ans on est toujours considéré comme un gosse ? est-ce que ça compte ce qu'il se passe à l'intérieur de la tête d'ailleurs ? parce que toi, t'en es une, oui. de physique, un peu, ça dépend des goûts, mais dans la tête, oui c'est sûr, t'as arrêté de grandir, par choix parce que tu sais très bien que les enfants ils sont plus vite pardonnés quand ils merdent. et toi t'es quoi ? tu réponds, faute de savoir quoi dire. madame râle, elle a pas compris que t'avais pas fait exprès de lui balancer ce foutu caillou. Sinon les excuses tu connais ou pas du tout ? t'as pas envie de t'excuser, parce que ton geste il était pas délibéré. les excuses, c'est sacré, on les garde et on les gaspille pas. on les utilise pour de bonnes raisons, pas quand on a pas fait exprès de shooter dans une pierre. pas ma faute, le caillou était là et quand j'ai tapé dedans, toi t'y étais pas.

Elle reste plantée là et ça m'énerve. Si je suis plutôt gentille, peut-être même un peu trop parfois, il y a des choses qui m'insupportent véritablement. On peut dire que cette fille qui s'amuse à balancer des cailloux en fait partit. Qu'est ce que je suis moi ? Rien qu'à cette question, on devine que le respect et elle ça fait deux plutôt qu'un. Le tige revient entre mes lèvres, le tabac et les autres merdes qui l'accompagnent font leur route. Je me contente de la dévisager. Pour une fois pas de sourire face à un inconnu. Moi je suis quelqu'un qui vient de se prendre un cailloux dans le dos. Un simple visage fermé et agacé. La fumée ressort, mais elle n'arrive pas à attirer mon regard. Il reste bloqué sur l'autre qui joue les insolentes. Pourquoi il faut toujours que tu ailles trimballer ta carcasse partout ? Tu ne peux pas rester tranquille une journée ? J'aurais du rester couché. Il vaut mieux pour toi, que tu ne l'ai pas fait exprès, mais je pense pas qu'un minimum de politesse t'arracherait la langue. Inspire, expire, on ne s'énerve pas. Elle va partir et puis tu termineras ton paquet de clope s'il le faut pour rester calme.

t'es bourrée d'orgueil, bourrée de fierté. un jour t'en vendras à qui n'en a pas assez, parce que ça t'amène parfois dans ce genre de situation, ce genre qui oppose deux caractères à fort tempérament. madame ne va pas le laisser passer, le caillou, tu le vois bien. elle ne compte pas se retourner et s'en aller, te laisser tranquille et oublier. non. mais toi non plus, t'es pas prête de les dire, ces mots. parce que t'es pas désolée. et parce que tu ne dis pas ce que tu ne penses pas. pourquoi est-ce que j'devrais dire que j'suis désolée si je ne l'suis pas ? c'est juste un caillou qui est parti faire sa vie, il a appris à voler aujourd'hui et il a atterri sur ton dos. relax. tiens d'ailleurs, cette clope que t'as entre les lèvres, elle est plus dangereuse que mon caillou, tu vois? elle, elle tue. et bam, t'es plutôt fière là, tu t'es impressionnée toi-même de ta répartie.

Elle est complétement butée. Ca se voit, ca se sent et se ressent. Manque de chance, je le suis aussi. Ca peut aller loin et rapidement. On pourrait bien passer la journée à parler pour ne rien dire, juste à vouloir avoir le dernier mot. La mi blonde mi brune se lance dans une sorte de monologue, s'emportant dans un délire de cailloux volant, que je ne saisis pas vraiment. A vrai dire je m'en fiche qu'elle ne me présente pas d'excuse, un simple "J'ai pas fais exprès" ou bien "tout va bien ?" aurait largement suffit. Mais non, je suis prête à parier que si j'avais rien dit, elle ne se serait jamais montrée. Tu penses pas que ce foutu cailloux voulait qu'on lui fiche la paix, tout comme moi ?! J'en rien à foutre que tu sois pas désolé, je te parle de politesse, règles de la vie en société tout ce que tu es censé connaitre. Je lève ma main, regarde ma clope avant de la scruter de nouveau. Ouaip ca tue et ? Qui te dis que j'ai pas envie de me laisser crever à petit feu. Tu crois vraiment que je m'énerve parce que ton ami le cailloux qui vole a atterrit sur moi ? Je reprends une taffe, une grosse. Trois pas dans des sens contraires, pour je ne sais quelle raison.

la madame, elle commence à perdre patience. mais, zut, merde quoi, tu lui as déjà dit que t'y étais pour rien, pourquoi elle continue ? c'est juste une pierre, plus grosse qu'une cerise et plus petite qu'une noix. le caillou, il avait qu'à pas se trouver sur mon chemin. et toi, t'avais qu'à pas te trouver sur le chemin du caillou, voilà. alix, l'idiote, au lieu de désamorcer la bombe à retardement que t'as en face de toi, tu la provoques encore plus pour qu'elle explose. mais dans ta tête, t'as raison, et tu comptes bien défendre ton point de vue jusqu'à la fin, coûte que coûte. fais ce que tu veux après tout, c'est ta vie, tes choix, tes poumons et ta clope. toi, t'es en vie, et t'as l'intention de le rester. alors tu t'éloignes un peu d'elle, tu veux pas respirer sa fumée.

Et elle parle, encore et encore. Ca t'énerve Gin, soyons honnêtes. Pourquoi tu restes là à t'acharner pour un cailloux ridicule ? T'es pas censée avoir dépassé ce stade où un rien te met en colère depuis longtemps ? Ne me dis pas que tu régresses, ca serait trop bête. Aller, tu fais demi-tour, traces ta route et oublis cette blondinette. Rien n'y fait, mes remontrances intérieures, d'habitude si persuasives ne me font pas changer d'avis. Le fait d'être incapable de prendre sur moi et de partir ne fait qu'accentuer mon état. Oh merci, Madame est trop bonne. Une petite courbette et un magnifique sourire hypocrite prennent place sur ton visage. Elle veut pas sentir la clope, dommage. Elle recule alors j'avance tout en prenant une nouvelle taffe. La fumée finit par ressortir et je jette ma cigarette pas loin de ses pieds. J'y suis pour rien, t'es sur son chemin, elle aussi elle apprend à voler. Ca pouvait aller très loin si aucune ne consentait à y mettre du sien. Mon pied fait du bruit dans les cailloux, un s'éloigne, pas dans sa direction heureusement. Je suis à cran et ça se voit malheureusement.

tout en mettant de la distance entre elle et toi, tu remarques d'un simple regard jeté par dessus ton épaule que la folle te suit. elle et sa cigarette, elle et sa fumée marchent dans tes pas. t'en reviens pas, quelle gamine, elle en fait toute une histoire d'un simple caillou lancé -par erreur- dans son dos. faut apprendre à relativiser madame. sa voix est sarcastique, d'une ironie extrême. ça ne te touche pas du tout. aucun sentiment ne prend place sur ton visage, ni agacement, ni mépris, ni regret et remord. mais, soudain, elle te jette son mégot aux pieds, signe évident de pure provocation. elle veut la guerre ? bien, qu'elle ne vienne pas pleurer après. elle reprend tes mots pour expliquer son geste, tu trouves ça pathétique. c'est alors que tu fais demi-tour et t'avances vers elle, à grands pas, assez brusques et déterminés. les yeux regards de feu, tes mains s'agrippent à ses épaules, bras tendus, tu l'avertis. t'es sur mon chemin là, tu veux que j't'apprenne à voler toi aussi?

Spoiler:

J'essaye de me calmer, seulement quelque chose m'en empêche. Mon stress, ma colère et ma fatigue rejaillissent sur un insignifiant caillou et je ne parviens pas à le contrôler. Je me sers de ce stupide accident comme d'un exutoire mais c'est à double tranchant. Relâcher la pression me fait un bien fou, la tension s'écoule à travers cette fuite qui ne peut que s'ouvrir davantage. Pourtant, ça me fait mal aussi parce que je perds le contrôle de moi-même et que j'ai l'impression d'avoir fait dix pas en arrière. La fille revient en furie et je comprends que je suis allée trop loin. Beaucoup trop loin. Je me dis qu'il faut que je calme le jeu malheureusement elle fait un geste de trop. Ses mains entrent en contact avec mes épaules et je ne supporte pas que l'on me touche. Elle continue de parler mais à peine a-t-elle finit que je la repousse. Un électrochoc. C'est bon tire toi. Ma voix se fait sèche. Va faire voler d'autres cailloux ailleurs et fiche moi la paix. Je me retourne en même temps que ma phrase s'éteint. J'empoigne mes cheveux et la colère ne finit pas de monter. La seule différence c'est qu'elle est dirigée vers moi.

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