j'ai dormi tout le jour. levé il y à peine deux heures, je me suis d'abord demandé ce que j'allais bien pouvoir foutre de ma nuit. je suis là depuis à peine trois jours et je n'ai pas encore prit le temps de sortir de ma chambre d'hôtel ; un peu merdique - pour envisager une quelconque occupation. ce soir, c'est différent. bar harbor sera mon terrain de jeu. je ne sais rien d'ici. je n'ai rencontré que trop peu de monde. ne me demandez pas pourquoi j'suis arrivé là. je n'ai pas envie d'en parler. je répondrai à coup sûr que c'est pour le voyage. j'ignore quand je partirai. pour l'instant, l'envie n'y est pas.
c'est aux abords du skate park que je traine. à presque quatre heures du matin. le ciel est parsemé de tant d'étoiles que je me dis que c'est irréel. on ne se croit pas sur terre. sur mars ou peut être jupiter. dans ma main, ma planche de skate. les réverbères éclairent chaque modules et cela donne au park une allure bien particulière. cela me plait. je m'assois d'abord sur un banc et me grille une cigarette. le clapet de mon zippo claque et la fumée qui sort d'entre mes lèvres fini bien loin, au dessus de ma tête. ce volute de fumée s'évapore et disparait. ma silhouette se dessine à contre jour dans la lumière jaune du réverbère et je m'élance vers un rail d'abord, pour commencer. les roulettes rugissent au contact du béton lisse et crient tout autant quand elles viennent effleurer la peau glacée du fer.

pourquoi ? pourquoi bar harbor et pas une autre ville ? pourquoi ne pas avoir continuer mon chemin une fois que ma voiture fut reposée ? pourquoi être partie tout simplement ? je crois que je voulais voir du pays. je voulais m'enfuir, vivre autrement, découvrir de nouvelles choses. et si voiture est tombée en panne ici et pas avant, ni même après, c'est surement parce que cet endroit est fait pour moi. je suis ici depuis quelques jours à peine. j'ai rencontré quelques personnes par ici et par là. tous semble de soucier de moi jusqu'à présent. ils ont tous un intérêt à être ici. ils ont leur rôle à jouer. je crois ça génial. ici, j'ai l'impression de compter et ce, même si je suis nouvelle en ville. j'ai l'impression de m'être fait une place, une place que je n'avais pas là-bas. et jour après jour je tente d'en découvrir un peu plus sur moi ainsi que le monde qui m'entoure.
ce soir, j'ai décidé de rejoindre le skate park. ça faisait des années que je n'étais pas montée sur une planche, je devais être incapable d'en refaire. peut-être trop vieille pour cela. peut-être pas assez téméraire. on me l'avait interdit alors, j'avais arrêté. je ne pouvais pas reprendre de toute façon, je n'avais même plus de skateboard. tant pis. je me contente donc de m'installer dans un coin, les jambes dans le vide, le regard admiratif. je ne peux détacher les yeux de cet inconnu au loin. et je souris. lui, il est trop fort, y a rien à dire.

non. je ne vois rien. mise à part ces blocs de béton qui m'invitent à venir skater sur chacun d'eux - je n'ai pas vu cette jeune fille là bas, assise, les jambes suspendues. je ne vois rien d'autre que ce park offert pour mon loisir nocturne. je sens le vent me chatouiller la peau nue. car les bras découvert, j'ai qu'un marcel sur le dos. je me laisse aller, ici et là - dans mon élément. je skate depuis l'âge de cinq ans. aujourd'hui, beaucoup de jeunes se débrouillent sur une planche. faut-il que ce soit beau. la beauté n'est pas dans une performance extraordinaire. non. je ne vois aucun intérêt à dévaler avec aise un escalier où les marches incessantes peuvent donner le vertige. que la chute soit bien amortie. faut-il que ce soit beau. esthétique. je m'en fiche qu'un môme arrive au plus grand des exploits si cela est mal exécuté. laid.
sur ma planche, je souris doucement et ma cigarette coincée au creux des lèvres, se consume petit à petit. je n'ai pas le temps de profiter du tabac qu'il s'en va, à sa guise. je termine sur un ollie puis me laisse glisser jusqu'à ce coin ombragé où cette jeune spectatrice se cache. je m'assoie sur ma planche, dos à elle puis écrase le mégot qui a fini de mourir pour allumer une nouvelle cigarette et cette fois-ci, ne pas la gaspiller.

je ne suis jamais remontée sur une planche. non pas parce que j'avais peur. la peur était un sentiment que je ne connaissais pas vraiment. il faut être téméraire dans la vie, dépasser ses limites pour donner le meilleur de soi. si je n'étais jamais remontée dessus, c'est parce que maman ne le voulait pas. je détestais les règles et pourtant, la plupart du temps, je les avais respecté. je détestais qu'on me dicte ma conduite et malgré ça, j'avais tenu vingt et un ans à ses côtés. je crois que s'en était trop pour moi. que j'avais besoin de plus de liberté, que j'avais besoin de retrouver ma planche pour ainsi dire.
le voir ici, ce soir, au beau milieu de la nuit ça faisait rêver. enzo était comme ça lui aussi. ça me faisait sourire. et je le regardais faire, sans dire un mot, sans manifester ma présence. je l'admirais secrètement, balançant mes jambes d'avant en arrière. mon regard ne le quitta point et ce, jusqu'à ce qu'il termine sa figure et décide de s'arrêter. il finit par s'asseoir, dos à moi, non loin d'ici pourtant. est-ce qu'il avait remarqué que quelqu'un l'observait ? je pris une grande inspiration et patientais silencieusement. malheureusement, il n'avait pas l'air de se préparer pour une prochaine figure puisqu'il s'allumait une seconde cigarette. j'aurais pu attendre comme ça encore très longtemps mais non, je décidais de l'ouvrir.
t'y retournes pas ?

fumer et sans doute l'une des choses que j'aime le plus faire au monde. c'est vrai. ça passe bien en toute circonstance. après avoir coucher, après avoir manger. après un peu de skate ou de surf, avec le café, pour faire passer une colère, se relaxer. bien que ce soit moche, dégueulasse et mauvais pour la santé, j'en ai rien à carrer. c'est mon petit plaisir. un petit sourire étire mes lèvres, sans réellement que je sache la raison. j'suis ailleurs un peu. je pense un peu trop pour rester les pieds sur terre. mais une voix me ramène à la réalité. elle me surprends même. qu'elle soit douce, cela n'arrange en rien le petit sursaut que je fais avant de me retourner pour entrevoir ainsi - cette fine silhouette. je glisse une main dans mes cheveux, réfléchi. et je me pince les lèvres. je ne vois presque rien. cette jeune fille est à contre jour et il m'est difficile de la percevoir.
- après ma cigarette, sans doute.
je me redresse puis prends ma planche pour avancer jusqu'à elle. l'inconnu. -e.
au fur et à mesure, j'y vois plus clair. distinctement son visage se dessine. et découvrant sa bouille, mes lèvres s'étirent en un petit sourire.
- ça fait longtemps que t'es là ? je me hisse puis me permet : m'installer à côté d'elle et laisser pendre aussi, mes jambes dans le vide. je laisse mon skate à côté de moi puis tire sur ma cigarette.

peut-être que j'aurais du m'acheter une planche moi aussi. ou même en récupérer une je ne sais où. peut-être même que j'aurais du m'acheter un paquet de clopes. j'y pense parce que le jeune homme tire sur sa cigarette et la fumée de celle-ci s'aventure jusqu'à mes narines. ça fait plusieurs jours que j'ai arrêté. sans doute parce que j'ai peur que maman bloque les comptes et que je me retrouve sans une tune. quoi qu'elle l'aurait surement déjà fait si c'était dans ses attentions. à vrai dire, je ne sais plus trop quoi penser de la situation dans laquelle je ne trouve et ça m'importe peu. non, parce que toute mon attention est focalisée sur ce jeune inconnu assis sur sa planche. je commence à perdre patience et lui demande s'il compte y retourner. si ce n'est pas le cas, je ne vois pas pourquoi je resterai plus longtemps. il se tourne vers moi après avoir légèrement sursauter, ce qui me fait doucement rire. finalement, il contente y retourner. ouf, je ne suis pas venue ici pour rien.
ok.
me contentais-je de répondre en balançant mes jambes de plus belle. c'est alors qu'il se leva. je suivais le moindre de ses mouvements jusqu'à ce qu'il s'installe à mes côtés, son skate à sa gauche. j'hausse les épaules et reporte mon regard l'horizon.
pas vraiment. depuis le rail. c'était pas mal soit-dit en passant.
pas mal. pas mal c'est peu dire. je serais incapable de faire une telle chose. pas avec tant d'énergie, d'émotions. c'était parfait.