Dépité. Il n'y a pas d'autre mot. C'est dépité que Clyde se dirige vers le café. Le pas lourd, la mine défaite. Aujourd'hui il en a marre et c'est comme ça. Où qu'il aille, le seul visage de la demoiselle Arabella aura valut la peine d'être contemplé ces cinq derniers jours. Pourtant ce n'est pas faute de croiser plusieurs beautés à Bar Harbor mais aucune n'a eu un quelconque intérêt jusque là. Les emmerdeuses semblent vouloir le poursuivre de ville en ville. Mais en aussi peu de temps, c'est un record jusque là inégalé. Qu'elles fassent donc, cela passe le temps. Si tout est rose en même temps c'est moins amusant. Il commande son café ; qu'on lui apporte quasiment dans la foulée. Il s'étonne de la rapidité du service sans s'en plaindre pour autant et verse le sachet de sucre dans sa tasse. L'endroit est terriblement calme. Le seul bruit est celui de sa cuillère qui mélange. Pour l'instant, il n'y a que deux clients. Lui et quelqu'un d'autre plongé dans un livre. Aucun élément ne lui paraît d'affirmer distinctement s'il s'agit d'une nana ou d'un mec. Car s'il y a un sac à main, il doit être dissimulé sur une chaise de proximité par exemple. Et aucune poitrine apparente ne permet de lever le doute. Sans faire trop d'effort non plus, il se concentre davantage sur sa boisson chaude. Saine. Il est transporté par l'odeur qui gagne ses narines. C'est l'un de ses rares moments qu'il sait apprécier.

Il est tôt. Trop ? Ou trop tard ? Tu n'as plus la notion du temps, des heures, de la vie ... Ton thé fume dans une tasse atypique. Ta frêle silhouette se dissimule derrière un immense bouquin. Tu n'aurais pas du le prendre avec ton toi, dans ton envolée. Et si ta mémoire en connaît chacune des lignes par coeur, c'est le petit mot manuscrit à l'intérieur que tu n'as de cesse de relire. Encore et encore. Tu ne sais même pas depuis combien de temps tu fixes cette écriture à t'en faire brouiller la vue. Tu lis et te souviens. Tu lis et te remémores. Tu lis et imagines. Tu lis et te demande si tu ne ferais pas mieux d'oublier ... de tourner la page, et ce dans tous les sens du terme ...

Le brouillard se lève peu à peu dans l'esprit de Clyde. L'odeur du café -si douce aux narines- achève de le réveiller. Mais il est encore contrarié, c'est certain. Peut être même proche de la mort cérébrale. Le retour à la réalité est d'une violence insoutenable, il faut le reconnaître. Le brun se masse les tempes. Une barre lui scie douloureusement le front. Il ne sait pas s'il soit mettre fin d'une façon ou d'une autre à cette mascarade. L'ennui. La stabilité. L'ennui à nouveau. Routine. D'une ville à l'autre. Tout ceci consomme énormément d'énergie à ses yeux. Ce n'est pas pour lui. Et dehors le soleil ne cesse d’apparaître et de disparaître d'une seconde à l'autre, à la manière d'une éclipse ou même d'une guirlande de Noël clignotante. La présence d'une personne continue de s'affaisser sur la chaise. Il ne se dit pas qu'un moment passé en sa compagnie suffirait à dissiper sa mélancolie. Non. Tout simplement, il la regarde captivée par son livre et rien ne se passe. C'est comme un blocage. Clyde se racle la gorge et se redresse brusquement. Avoir ouvert les yeux est déjà une victoire personnelle malgré le fait qu'il ait erré jusqu'ici au radar, des paillettes vrillant son champ de vision. A moins que ce ne soit le fait de poser la plante des pieds dans la dureté des chaussures et se vêtir d'un grand manteau pour traverser le froid glacial de Bar Harbor. Il sort le bazar de sa poche pour pouvoir régler l'addition de son café et d'un pancake auquel il n'a pas touché. S'échouent misérablement sur la table quelques billets, des clopes, le briquet, des clés, un paquet de chewing-gum...