Elle doit sûrement se moquer de lui intérieurement. Le mec qui ne sait même pas marcher, ou qui ne regarde plutôt pas où il met les pieds. Mais lui aussi, ça le fait rire. Ouvertement. C'est tellement plus simple de se moquer de soi-même. Elle accepte, et ça lui arrache un fin sourire. « Promis, je vais faire de mon mieux. » Il pose la tasse sur la table avec précautions, avant de tirer la chaise jusqu'à lui. Alix, c'est joli, ça lui va bien. Il attrape doucement sa main, même s'il n'a pas vraiment l'habitude de tout ça. C'est comme ça qu'on fait, ici, quand on se présente ? Sûrement, alors. « Et moi, c'est Grimm. » qu'il répond avec un fin sourire. « Oh mais, vous avez fini, en fait. » fait-il, relâchant sa peau douce, en désignant sa tasse, vide. Des yeux, il lui propose comme de lui en recommander un autre. Pour la garder un peu plus là.

Au moins, les gens ont toujours bien retenu son prénom. Ça n'fait pas très français, alors à Paris c'était encore plus incrédule comme choix. Mais lui, il l'a toujours bien aimé. Comme si sa mère avait su, d'avance, qu'il resterait un grand enfant, un rêveur, un bohémien. Que lui aussi, il écrirait des histoires. « Oh, mais je ne veux pas te retenir si tu dois y aller. » fait-il doucement, en la tutoyant à son tour, poussé par l'initiative qu'elle a pris seule. Tu souffles doucement sur ton café qui fume encore trop pour y risquer tes lèvres. « Mais sinon, je peux t'en offrir un autre ? » En fait, il n'a pas vraiment envie de se retrouver seul alors qu'il vient de trouver de la compagnie. Il observe ses jolis iris clairs, y fondant ses prunelles d'azur. Ses mains s'enroulent autour de la tasse chaude.

Grimm, il ne voit pas trop le regard qu'elle a sur lui. Peut-être est-il trop distrait ou déjà noyé dans son regard lumineux. Sa réponse le fait doucement sourire. Ça le ravit, il doit bien l'avouer. « Voilà un premier point commun, alors. » ajoute-t-il à la suite de sa phrase, avant de tremper doucement ses lèvres dans le café. Comme elle accepte, il intercepte une serveuse pour lui demander de remettre la même chose pour la demoiselle. Alix. Ensuite, il se tourne vers elle, souriant, comme très souvent. « Alors, d'où viens-tu ? Si tu dis ne connaître personne, tu n'dois pas être ici depuis longtemps. » Pas besoin d'être bac plus douze pour parvenir à cette conclusion, certes. Son pied tape doucement sur le sol au rythme d'une musique qu'il n'entend sûrement que dans sa tête. Par la fenêtre, il regarde brièvement le ciel, qui se couvre. « J'espère qu'il ne va pas pleuvoir. »

Son regard est aussi chaud que le café, aussi lumineux qu'un jour d'été. Il se plait à la contempler, simplement, dans un moment aussi banal que magique qu'est la contemplation d'autrui. Grimm, il aime bien observer les autres. Les peindre, dans sa tête, encore et encore. Alors qu'il s'apprête à prendre une nouvelle gorgée, sa réponse le surprend tant et si bien, qu'il sursaute, et manque de renverser de nouveau sa tasse. Cette fois, il la rattrape de justesse. « Bon sang mais c'est pas vrai, c'est pas mon jour aujourd'hui ! » Il rit, un peu, mais bien vite, ses mots reviennent le frapper, et il ouvre de grands yeux sur elle. « Paris. C'est pas possible. Moi aussi ! » s'exclame-t-il, bouche bée et consterné de voir que même ici, à l'autre bout du monde, il croise une française. Une Parisienne, en plus. « Je n'avais pas fait attention à ton accent. » Il sourit. Comme s'il venait de trouver, dans la foule, un visage connu. « Ça serait amusant. » fait-il en français, lui souriant de toutes ses dents, avant d'ajouter d'un ton plus bas et plus malicieux, en se penchant légèrement vers l'avant : « Ça ne te fait pas peur d'être coincée ici avec un inconnu ? »

Elle se met à rire, et s'il pourrait mal le prendre, Grimm se met plutôt à rire avec elle franchement. Il n'a jamais eu peur du ridicule, et c'est loin d'être la première fois qu'il fait une gaffe. « Oui c'est exactement ça, le monde est vraiment petit. » Il remarque, au fond de ses yeux, une lueur s'apparentant à une certaine déception mais n'y prête pas attention. Lui, au contraire, il est comme rassuré d'avoir croisé un « visage familier ». Comme si soudain, il avait un repère ici. Alors qu'il lance une plaisanterie sur fond de provocation, elle préfère visiblement ne pas entrer dans son jeu. Mais Grimm ne se départit pas de son sourire pour autant, et se recule pour poser son dos contre le dossier de la chaise. Il lâche un fin soupir, de contentement. « C'est vrai, c'est vrai. » admet-il avec un petit sourire en coin, avant d'attraper de nouveau sa tasse pour en boire une longue gorgée.

Il a laissé ses pensées s'égarer. S'envoler, peut-être dans un royaume où flâne aussi les autres Peter Pan. Il observe les gens, dans le café. S'immisce mentalement dans les conversations, le temps d'une seconde volée. Son remerciement le ramène sur terre, là, les deux pieds sous la table, et Grimm lance à la dérobée un sourire un peu rêveur, encore. « Je t'en prie, ça me fait plaisir. » Pourtant Grimm, il est loin de rouler sur l'or. Mais il s'en fiche, de lui. Il vit pour les autres, il ferait tout pour leur faire plaisir, pour les voir sourire. « Je crois aussi. » qu'il murmure doucement, en regardant lui aussi par la fenêtre. Au bout d'un moment de silence, il tourne sa bouille angélique et innocente vers Alix. « Ça va te sembler bizarre, mais j'aime bien marcher sous la pluie, parfois. » avec un sourire un peu bancal, un peu enfant perdu.

Mais lui, il ne remarque rien. Il ne voit pas qu'il bouscule son petit coeur, il n'voit pas qu'il fait un peu de mal, en voulant faire bien. Grimm, il n'aime pas voir le mal. Et encore moins lorsqu'il en fait. À sa proposition, il sent ses lèvres s'étirer comme un gamin. Comme ce gamin des rues qu'il est resté. Celui qui dessinait sur les murs, celui qui slalomait entre les gens qui faisaient du roller. « Oh oui ! Finis vite ton croissant. » fait-il alors, soudainement impatient. Comme pour se dépêcher aussi, il se jette sur son café. Se brûle. Les lèvres, la langue, le palais. Le cerveau un peu, aussi. Se cramer le cerveau à l'aide d'idées folles. Il se met à rire, tout seul. Puis, il se calme, se rappelle qu'il faut se tenir ici, qu'il n'a pas droit de dégénérer, d'être un enfant. Ses yeux brillent pourtant d'une lueur flirtant avec celle d'une innocence dangereuse. Une naïveté à l'état brut, de celle qui flâne dans les airs les soirs d'été. Lors du premier baiser, lors du premier regard. « On est fous, hein. » Ce n'est même pas une question. Au fond, j'le sais Alix, j'le sens, t'es un peu comme moi, j'suis plus tout seul, ici. Il tourne la tête vers la vitre, et regarde l'eau qui ruisselle comme s'il s'agissait du plus beau tableau de peinture.

(désolée, j'viens de me rendre compte que je raconte n'importe quoi, elle mangeait pas de croissant me semble. )

Il sent grimper en lui une sorte d'adrénaline mystérieuse. De celle qui pulse dans vos veines comme une bonne dose d'héroïne ou ce genre de choses. Enfin, Grimm ne sait pas vraiment. Grimm n'est encore qu'un enfant. Tout impatient, il se dandine sur sa chaise, d'un pied à l'autre. « C'est vrai. Et on va le faire. » À sa question, il hoche précipitamment la tête. Se lève, laisse quelques pièces sur la table. Y a peut-être trop, ou peut-être pas assez, au fond il s'en fiche. Il s'enfuit déjà. Mais au passage, il a attrapé la main de sa petite princesse ce soir. Et il l'entraîne, déjà hors du café. Dehors, on dirait qu'il fait presque nuit, mais c'est parce que les nuages font de l'ombre au soleil. Les gouttes commencent à tomber sur lui, sur elle, sur eux, ensemble. Elles s'épanouissent, sur leurs habits et leurs visages, et rencontrent même leurs lèvres, leurs yeux, leurs cheveux. Grimm n'a pas lâché la main d'Alix, il l'entraîne plus loin. La pluie est fine, mais mouille déjà un peu. Lui, il sourit, comme si c'était tout ce qu'il lui restait. Il se tourne vers elle, s'arrête, lui fait face. Il a les yeux en lanternes. Il baisse un instant les yeux vers ses lèvres, ne sait pas trop pourquoi, parce que ça lui fait penser à des films, ces beaux films qui faisaient pleurer maman et rire papa. Il les relève, rencontre les siens, ça lui donne des comètes dans le ventre, un peu. « Et voilà ! On est libres, on l'a fait. »

Il l'embrasse des yeux, parce que ce n'est même plus regarder. Ses cils se battent à l'épée avec la pluie, et il la regarde au travers d'un rideau de gouttelettes. « Non ! » Non, on n'est pas comme tout le monde. Sa voix n'a même pas résonné. Bien que la rue soit déserte, la pluie étouffe son timbre. Mais il a des sourires au coin des lèvres. Elle s'avance soudainement. Grimm se demande ce qu'elle va faire, il ne trouve pas vraiment, pas tout de suite. Sa main effleure son torse, et ça lui provoque une décharge, à l'intérieur. Comme un léger frisson, comme un petit séisme dans l'estomac. Elle veut jouer. Mais elle ne sait pas qu'il est un excellent joueur. Alors, s'il le peut ? « Viens ici ! » Ça y est. Grimm a huit ans. Il joue dehors, c'est sa mère qui lui court après, ou bien le chien, il n'sait plus vraiment. Sa mère, avant qu'elle ne se mette à oublier son prénom et la date de l'année, et celle de son anniversaire, et celle de son mariage. Sa mère, avant que son père ne l'abandonne tristement à son sort de malade. Alors, il court. Comme avant, comme un enfant. Il s'élance vers elle, et la rattrape petit à petit. Entre les gouttes de pluie se faufile son rire, qui chahute dans l'air. Au lieu de la toucher, alors qu'il arrive dans son dos, il l'emprisonne dans ses bras fermes et solides, doucement, comme une caresse. Comme une prison dorée. Il se met à rire, rit même à ses oreilles doucement, et ses lèvres viennent frôler ses cheveux blonds qui semblent noirs, qui sont mouillés, mais qui sentent bon la pluie et son parfum. Au creux de l'oreille, il chuchote : « Je t'ai eue. »

Elle se moque, elle provoque; mais il va l'avoir bientôt. Il la laisse un peu courir, parce que c'est beau. Parce qu'elle est belle. À s'enfuir dans la nuit claire, les cheveux humides contre son dos. Et son rire, qui s'envole comme une nuée d'hirondelles. Il aimerait bien avoir son appareil photo sur lui à cet instant-là, Grimm. Mais il n'a que ses yeux pour retenir ces détails édulcorés. Puis il l'encercle. De dos à lui, elle proteste, mais il la tient fermement. Ne pars pas. Ses bras, solides, se sont refermés autour d'elle, et il se tient un poignet, comme une menotte. Il aime sa façon de protester. De faire l'enfant, jusqu'au bout, comme une promesse. Il desserre légèrement son attaque, qui ressemble alors plus à une étreinte. Mais Grimm ne semble pas vouloir bouger. Non, il n'en a pas envie du tout. « C'est tellement gentil de ta part, Alix. » qu'il murmure doucement, avant soudainement de se mettre à rire. Ça résonne, entre les immeubles gris acier, et les lampadaires qui projettent sur la rue des ombres d'ocre abîmées. « Allez, à toi ! » fait-il en la relâchant très soudainement, reculant de quelques pas. Juste le temps de capter son regard, un bref instant, mais dans sa tête c'est une éternité. Et il fait volte face, s'enfuyant à toutes enjambées à son tour dans le noir de leur jeu, de la nuit. Me laisse pas, Alix, me laisse pas jouer tout seul, ne me transforme pas en enfant solitaire. Me laisse pas partir, allez viens. Attrape-moi. Rattrape-moi.

Il a eu du mal à partir, lui aussi, à s'en détacher, parce qu'il aimait bien, au fond, son contact. La chaleur qu'elle dégageait, doux contraste entre la fraicheur de la pluie sur sa peau. Et puis, il s'est échappé. Parce qu'un bonheur ne l'est qu'à court-terme. Alors, il faut toujours s'enfuir, pour le laisser vous rattraper. Mais elle semble peiner. Se plaint avec amusement, et ça fait sourire Grimm, au travers du rideau de pluie. Alors, il fait demi-tour. Revient vers elle, le regard plein de malices aériennes et cachotières. Comme si de petits lutins avaient envahi l'océan de ses yeux, et voguaient, sur quelques radeaux éparpillés. « Tu ne vas pas abandonner, tout de même ? » lance-t-il pour la provoquer un peu. Il lui tire la langue; tu vois Alix, je suis toujours un enfant, toi aussi, alors on peut faire ce qu'on a envie, non ? C'est dingue, quand même. Alors qu'il se rapproche d'elle, il tend la main. Effleure sa joue, et remonte à son front. « Tu n'dois plus rien voir, avec tout ça. » Ses cheveux, que l'eau de pluie a ramené brusquement devant ses si beaux yeux, se laissent écarter par les doigts fins et doux de Grimm. En baissant le bras, il en profite pour effleurer sa joue de nouveau. Ça ressemble à un nouveau jeu. Mais il lui offre toujours le même sourire. « Alors, tu avoues ta défaite ? » Le jeu il reprend, tu vois Alix. Toujours.