La guerre des autres. Leur combat pour repousser leurs vices les plus reluisants, s'unifier pour ne pas dépasser, ou bien se prêter des valeurs d'évolution. La Maladive embrasse sa cigarette, aussi muette qu'une tombe. La sienne, et sa jupe qui vole au vent.

Deux connes se pointent au bord de mes yeux.
Deux larmes.
Connasses.

J'sors de chez moi, et évidemment, qui je vois. Le mec au truc qui bave accro au sable. Et plus loin, une asiatique (encore). J'la vois jeter son mégot sur les chaussures du mec, j'entend même un "pas fait exprès" qui me saoule. Y'a des jours comme ça, où la connerie humaine me saoule au plus au point, même la mienne. Alors j'sors ma bouteille d'eau de mon sac, j'l'ouvre et en passant à côté d'elle, j'lui balance la moitié du contenu dans la gueule. « Pas fait exprès. » que j'lui balance, en souriant en coin. Maintenant, j'attends la réaction, en regardant vite fait le mec qui a pas kiffé mon comportement l'autre jour. « Bah alors, faut pas pleurer vous. Vous avez perdu votre truc sur pattes ? » Non, j'peux vraiment pas dire "enfant", c'est plus fort que moi.

Ça me tombe dessus, comme ça, un cadavre de cigarette. La fille s'excuse. Ou plutôt se justifie. Je sais pas. Je suis perdu dans un combat contre mon chagrin.
- Hein ? C'pas grave.
À l'intérieur de moi il y a une tornade en devenir. Un truc qui guette depuis longtemps. Qui a déjà réclamé mon attention plusieurs fois et à qui j'ai dit : non. Non, j'ai pas le temps. J'ai à m'occuper de d'autres choses. D'autres choses - Cosmo. Pardon, tornade. Mais reste encore un peu cachée s'il te plaît. Il y a une jolie fille dans le coin.
- Pas fait exprès.
Quoi ? Elle l'a déjà dit, j'ai compris, mais en fait, c'est une autre voix, un timbre familier à mes tympans. Désagréable. Désagréable c'est le mot. Que j'ai utilisé pour elle. La fille de la plage.
L'autre fille, celle aux yeux d'ailleurs, elle est devenue toute mouillée, mais pas de pleurs. C'est l'autre. C'est la bronzeuse qui a frappé.
- Bah alors, faut pas pleurer vous. Vous avez perdu votre truc sur pattes ?
Je ris dans mes larmes, je ris salé.
J'ai l'impression qu'elle est gentille, là.
- Il, il est avec sa baby sitter.
Merde, mes mots tremblent. Lève la tête, Tom !

Elle n'accorde aucune importance à la réponse, la gamine déjà perdue dans sa rancœur perpétuelle. Serait-ce envisageable qu'elle trouve son nid ? Ses valises laissées en consigne, déjà bien loin d'elle. Et déjà bien loin d'elle, toute sensation extérieure : le monde s'envolait déjà. De belles brumes. Comme emportée dans une drôle de tornade, elle revint sur Terre, ici bas. Sur son visage, ruisselaient des torrents frais, agressifs et haineux. Pleurait-elle ? Elle en avait perdu l'habitude.
Le visage d'une imbécile, qu'elle aurait volontiers couché entre les fleurs, pour voir si elle nuisait toujours. « C'est stupide. », murmura-t-elle, avec la conviction des mauvaises herbes. « C'est quoi, cette effroyable haine dans si peu d'espace ? » Un acte perdu sur le dos d'une mauvaise gamine. L'autre gars semblait se liquéfier, c'en était presque charmant.

l'autre asiatique aux cheveux décolorés a pas l'air d'apprécier le fait que j'lui ai balancé de l'eau dans la gueule. seulement j'en ai pas grand chose à faire, de ce qu'elle a à dire. c'est stupide, qu'elle balance. « à peu près autant que toi. » que j'lui réponds quasi directement. et puis elle enchaine un truc sur la haine et tout. putain, c'bien une asiatique ça, elle sait pas parler l'anglais correctement. ou alors c'est moi qui capte pas c'qu'elle raconte. « j'ai pas fait exprès de la déverser, oups. » que j'réponds encore. pour reprendre ses mots et pour lui faire comprendre qu'ici, c'est elle le problème initial. « va donc voir ailleurs si j'y suis, j'aime pas les bridés. » que j'balance, tel du venin. et puis j'porte mon attention sur le mec, parce que la gamine, elle commence déjà à me saouler. il dit que le gamin est chez sa baby sitter, du coup, j'me demande pourquoi il pleure comme ça. « bah, il est en sécurité. qu'est-ce qu'il y a ? vous l'aimez pas la fameuse baby sitter ? ou vous l'aimez trop ptêtre ? » bah quoi ? on sait jamais.

J'écoute la fille de la plage user de sa méchanceté pour la bonne cause - moi. Elle est dure, elle est comme des coups de couteau, le cœur de l'autre fille, il va finir par se mettre à saigner, crier.
Un bataillon d'autres larmes en profitent pour se faire la malle et dévorer mes joues.
Putain merde fais chier.
- Bah, il est en sécurité. qu'est-ce qu'il y a ? Vous l'aimez pas la fameuse baby sitter ? Ou vous l'aimez trop ptêtre ?
Un rire, le mien.
Je me répète ses mots. Qu'est-ce qu'il y a ?
Qu'est-ce qu'il y a Tom ?
Il y a que ça deborde. Il y a que j'étais trop plein de larmes. Il y a rien, il y a tout, et c'est de trop.
- Non j'sais pas, je ... Pète un câble.
Ouais. Ça arrive.
- T'espérais le trouver avec moi ? T'avais envie d'le voir ?
Haha.

il pète un câble... ah bah bien, c'est vrai que c'est d'autant plus cool de faire ça dans la rue, à la vue de tout le monde et en particulier des pétasses (comme moi) qui ne cherchent qu'à enfoncer les gens d'avantage. « ouais bah, c'est pas l'endroit. », que je balance. j'regarde la porte de mon studio, une idée derrière la tête. mais j'vais attendre un peu. et puis il me pose une question. si j'espérais le trouver avec lui ? non... si... peut-être. « non, j'demandais juste comme ça. j'aurai bien l'occasion de le voir d'autres fois, j'crois. » j'espère, même, un peu. lâche un mini-sourire. faut savoir déchiffrer mes paroles, sans ça, on sait vraiment pas c'que j'peux avoir derrière la tête.

J'ai pas fait le choix de me mettre à pleurer ici, ça m'a pris par surprise, mini raz de marée, faut qu'elle comprenne que moi j'aurais bien aimé qu'on m'envoie une petite carte dans le week end pour me dire : attention, tu vas bientôt péter les plombs. Et en même temps c'est tant pis pour elle si elle comprend pas. Je suis sûre qu'elle pleure jamais.
Mais pire que moi.
- Non, j'demandais juste comme ça. J'aurai bien l'occasion de le voir d'autres fois, j'crois.
Ça me fait sourire en grand.
Tiens tiens.
- Ah bon ? J'savais qu'on s'était prévus d'autres rendez-vous en plus de ça. Mais bon moi j'veux bien.
Je regarde derrière moi, juste comme ça, en fait j'en profite pour offrir mes larmes au soleil, qu'il les sèche d'un rapide coup de sa chaleur, merci, parce que c'est pas crédible toute cette histoire, moi qui pleure trois gouttes pour on ne sait quelle raison, cette fille trempée par Sookie, Sookie tout court, aussi, Sookie qui me fait rire alors que j'étais en train de pleurer.
J'ai du mal à suivre.
- Et alors t'habites par ici ou tu me suivais ?

il sourit parce que j'dis que j'pourrai bien le revoir pleins de fois, et il balance : « Ah bon ? J'savais qu'on s'était prévus d'autres rendez-vous en plus de ça. Mais bon moi j'veux bien. » j'reste un peu con, j'sais pas quoi répondre pour le coup. mais après, j'me reprends. « non mais c'juste qu'on arrête pas d'se croiser, faut pas croire. » j'essaie de pas dire trop de trucs gentils, ça va là. il a toujours des traitements de faveurs ce mec, c'est pas saint pour lui ça. et puis, si j'le suivais ? « j'suis pas une psychopathe, j'sortais juste de chez moi et j'vous ai vu. et bon, la connerie humain aujourd'hui... » j'jette un regard à l'asiatique et puis j'le repose ensuite sur Tom. « vous... vous voulez boire un truc ? un chocolat, une bière ? j'ai tout ça chez moi. vous avez tellement rejeté de liquide que ça devrait vous faire du bien. »

Il y a encore quelques connasses qui traînent par là malgré la tornade-Sookie et ses mots marrants qui mettent le feu et la fête à la rue. Quelques aventurières salées, pas le moins du monde effrayée par mon possible courroux. Et il suffit de Sookie justement. Pour que la mécanique des larmes se bloque et s'arrête.
- Vous... vous voulez boire un truc ? Un chocolat, une bière ? J'ai tout ça chez moi. Vous avez tellement rejeté de liquide que ça devrait vous faire du bien.
L'hésitation sur le début de sa phrase. L'invitation polie et concernée. Le ton de la gentilesse.
Priceless.
Je regarde autour, inspecteur, j'essuie mes mains salées de larmes sur mon jean.
- S'tu veux.
Genre.

si j'veux. bah si j'propose, c'est pas pour rien. j'veux dire, j'suis tellement pas du genre à inviter qui que ce soit chez moi, il pourrait au moins apprécier. « ah non, mais si ça doit être une torture pour vous, hein... » j'vais pas le forcer non plus. moi j'demande ça gentiment, c'est assez rare comme ça, alors ce serait pas mal s'il était un minimum content genre. « bon, c'est juste là. » que j'dis, en pointant du doigt la porte et en faisant quelques pas vers la route, histoire de la traverser pour aller jusqu'à la porte.

Je regarde son visage qui se déforme un peu sous une vague de mécontentement, de rechignement silencieux. Ça me fait un doux rire à l'intérieur.
- Ah non, mais si ça doit être une torture pour vous, hein...
Je dis rien, je la laisse mariner dans son ignorance, pauvre petite cookie qui est venue exprès pour me sauver de mes larmes et moi je la malmène.
- Bon c'est juste là.
Il y a quelques mètres à manger, une route à traverser à la perpendiculaire. Une porte à découvrir. Je la rejoins, abandonne mes larmes et l'autre fille, je dis en passant :
- C'est gentil.
Elle ouvre la porte. J'entre dans un nouveau monde.

« je sais. » que c'est gentil. évidemment que c'est gentil, j'ouvre pas ma porte à n'importe qui, j'suis pas Adrix moi. j'fais entrer personne, quand les gens demandent à crécher chez moi, c'est avec grand plaisir que j'leur dit de crécher ailleurs parce que c'est pas mon problème, leur détresse. là j'sais pas, c'est différent, parce que j'le connais vite fait, c'est tout. j'ouvre la porte, j'le laisse rentrer et puis quand on arrive dans le salon, j'le dépasse et j'vais vers la cuisine. « vous voulez quoi ? », c'est pas un palais chez moi, alors j'ai même pas besoin fort. j'ouvre le frigo, prend un verre et met du jus d'orange dans celui-ci, en bois une gorgée en attendant une réponse. « vous pouvez vous asseoir où vous voulez, au fait. » j'suis vraiment trop gentille.