j'entre dans le welch's pour la deuxième fois depuis que je suis là. la première, j'étais avec lilou, et c'est pas si pire que j'ai rendez-vous ici, parce que leur chocolat est vraiment bon. alors je commande un chocolat chaud pis m'installe à une table en attendant tom et le petit monstre comme il dit. j'aimerais bien que ça se passe bien quand même, j'aime bien moi le baby-sitting. enfin, s'il est gentil, l'enfant.

Je serre Cosmo un peu trop contre mon cœur, j'ai toujours peur qu'il s'envole, qu'on me le vole. J'ai toujours peur quand les gens le regardent de trop près et me disent : il est beau. J'ai toujours peur quand il va là où mes yeux ne peuvent plus le voir. Je ...
Putain.
Je fais presque demi-tour, y a pas moyen que je largue mon fils, ma chair et mes étoiles, à un inconnu. Ou une fleur. Fleur.
Fleur je le vois tout de suite, il a rien d'une fleur mais ça je m'y attendais. Fleur il a pas de pétales, mais Fleur c'est le garçon le plus mignon et tendre du café, j'ai un peu moins peur. J'entre, on entre, on apporte la fin d'un hiver coriace avec nous.
- Fleur ? Salut ! J'suis Tom, voilà Cosmo. Dis bonjour au garçon Coco.
Cosmo. Cosmo au chocolat. Et puis moi, blanc comme un flocon de neige. Moi, son papa pourtant.

j'attends patiemment. j'attends tom, et son enfant, sa petite boule de bave. et moi, la petite boule d'amour, peut-être que j'pourrais en prendre soin. il arrive, je le vois à travers la vitre. en fait, je crois que c'est lui. je suppose. c'est le seul garçon qui arrive avec un enfant. alors je suppose. et je suppose bien, visiblement, puisqu'il vient se poster face à moi. un grand sourire étire mes lèvres alors que je tends mon doigt vers l'enfant pour caresser sa joue. cosmo c'est mignon. un enfant, c'est mignon. j'suis toujours très attendri par les enfants, j'ai toujours un peu des étoiles dans les yeux quand j'en vois, c'est plus fort que moi. comment ça se fait que tu cherches quelqu'un pour le garder? quand même, faire garder un enfant si mignon, ça doit être dur. il doit vraiment avoir de bonnes raisons.

Cosmo et moi c'est un peu le choc des couleurs, c'est pas ma faute, sa maman était (est) toute faite de nutella. Y avait pas moyen qu'elle accouche d'une perle pâle. Pas moyen.
- Cosmo c'est mignon.
J'aimerais qu'entre mignons, ils s'entendent.
- Comment ça se fait que tu cherches quelqu'un pour le garder?
Bam, mal de cœur. Je m'assois pour pas flancher, et je garde Cosmo tout contre moi. Cosmo, boule de chair foncée, endormie, silencieuse. Sur le visage de Fleur, y a quand même un air souriant quand il regarde Cosmo, ça me plaît.
C'est pas un méchant loup, quoi.
Son sourire s'estompe, s'éteint, petit à petit, et je nous commande un grand chocolat. Les sourires sont comme ça. Peu importe le degré de bonheur, les sourires ne hantent jamais les lèvres éternellement.
- On vient juste d'arriver et j'ai besoin de bosser pour avoir un peu d'argent ... Avant j'étais chez mes parents, ils me payaient mes études tout ça, mais quand je me suis retrouvé avec Coco c'est devenu un peu compliqué, j'ai arrêté la fac et je suis parti, et là les économies suffiront pas donc ...
Ouah tais-toi un peu.
- Enfin bref, j'pense que t'es intéressé par le boulot pour la même raison - l'argent ?

moi je lui demanderais bien des choses, à tom. je lui demanderais bien comment ça se fait qu'il est tout seul avec cosmo, je lui demanderais bien où elle est passée sa maman, qu'est-ce qu'il s'est passé pour qu'il se retrouve seul avec lui. c'est pas banal de voir un garçon seul avec son fils. d'habitude c'est les mamans qui sont seules. je lui demanderais bien, mais j'ai peur, un peu. peur d'être trop intrusif, trop curieux. je me sens déjà trop quand il m'explique tout ça. c'est triste. j'hoche la tête, je crois que je comprends un peu. pas beaucoup. ça n'serait jamais devenu compliqué, moi, avec mes parents. ils auraient eu le bonheur d'avoir un petit-fils, et rien n'aurait pu jouer trouble-fête. je comprends, t'as trouvé un job, déjà? les jobs sont difficiles à trouver, ici. mais peut-être que moi, je n'ai pas assez cherché. et pis, la cueillette de pommes, moi, ça me va. c'est peut-être pour ça. oui, c'est pour ça que je suis ici, j'ai besoin d'argent moi aussi. pis j'ari arrêté la fac, moi aussi. je suis parti, moi aussi. mais moi, je crois que j'en ai pas aussi besoin que lui. j'vais pas pouvoir, tom. je fais la moue, un peu. j'peux pas garder cosmo et te prendre l'argent que tu vas gagner, t'en as trop besoin. plus besoin que moi. et moi, je suis trop honnête, je crois. et ça serait bête de lui prendre tout ce qu'il gagne. prends ça comme un service d'un ami si tu veux, je te le garderais en échange de ses sourires. et moi, ça me va. je me sentirais pas mal, comme ça, en le gardant, cosmo. théana aura un peu moins d'argent, mais j'en ai déjà beaucoup à lui envoyer, ça ira. elle comprendra.

Un jour Cosmo m'est tombé sur le coin du nez. J'ai pas compris. Ça m'a fait tout drôle, mais ça m'a fait tout bonheur. Les autres, familles et amis en tous genres, eux, eux ça leur a rien fait du tout, enfin ça leur a un peu fait dégoût. On m'a appelé par tous les noms d'oiseaux - mais j'étais pas un colibri ou une colombe, pas vraiment. Plutôt un connard, un salaud, même un vaurien.
Pour un vaurien, j'ai plutôt bien bossé.
J'ai créé un chouette de gosse, et Fleur, ça se voit dans ses yeux, il a l'air de penser comme moi.
- Je comprends, t'as trouvé un job déjà ?
Non de la tête.
- Oui, c'est pour ça que je suis ici, j'ai besoin d'argent moi aussi.
Il prend une longue pause, cassée par l'arrivée de mon grand chocolat. Je sens qu'il y a quelque chose qui monte, qui galope vers nous, des mots qui prennent sens en forme de phrase. Je laisse venir.
- J'vais pas pouvoir, Tom.
Je deviens un point d'interrogation.
- J'peux pas garder Cosmo et te prendre l'argent que tu vas gagner, t'en as trop besoin. Prends ça comme un service d'un ami si tu veux, je te le garderais en échange de ses sourires.
Il suffit qu'il les évoque pour que je m'y perde - dans les sourires de Cosmo. Il en a un, là, tout de suite, braqué sur le visage de Fleur, comme s'il l'aimait bien, déjà. Un sourire du silence qui veut dire, je t'aime bien, oui.
Reste avec moi/nous.
Je bégaie, moi.
- M, mais ...
Wow tout doux.
- Non mais c'est pas ça le deal. Enfin j'peux pas user de tes services et puis te dire merci et au revoir. T'inquiète pas pour moi. J'survis. Non, j'veux pas faire ça comme ça, c'est pas cool ... J'te dis pas que tu seras payé au jour près et tout ça mais tu le seras, enfin sinon ça s'fait pas ... Et puis tu sais c'est juste en attendant que j'décide de le mettre à l'école ou pas ...
Si j'peux m'en séparer toute une journée.

j'en sais rien, j'en sais trop rien. moi ça m'embête, tout ça. j'ai le cœur trop grand, je crois. peut-être trop gentil. peut-être que je devrais me mettre à penser aux autres avant de penser à moi, des fois. j'veux bien aider tom, mais j'veux pas le ruiner. ça, ça serait loin de l'aider. loin de m'aider moi aussi, c'est vrai. on ira sans doute me faire la morale encore une fois à me dire que je suis trop bête fleur, trop naïf. je le sais bien moi. j'y peux rien. je soupire un peu. cosmo est vraiment mignon. j'ai vraiment envie de les aider. d'accord, mais.. tu m'payes que si t'es sûr de pouvoir payer là où vous vivez, et de quoi manger, et tout ce qu'il faut, ok ? pas avant, oh ça non. ça, j'veux pas. je refuse. j'pourrais pas. je m'en voudrais toute ma vie. je reste un long moment les yeux rivés sur cosmo et son sourire. son sourire qui m'a fait sourire, moi aussi. instantanément. je peux le prendre ? les bras mi-tendus vers lui. j'aimerais bien le prendre. dans mes bras, contre moi, sur mes genoux.

Je le vois bien que ses yeux se posent pleins de questions, j'ai envie de leur dire, dégagez, allez, qu'est-ce que vous faites encore dans les parages ?
- D'accord, mais.. Tu m'payes que si t'es sûr de pouvoir payer là où vous vivez, et de quoi manger, et tout ce qu'il faut, ok ?
J'ai l'impression d'être un gars vraiment dans la misère, un mec de la débrouille, j'ai envie de lui dire que je préfère faire le mendiant dans la rue pour pouvoir le payer la même somme à la poussière près tous les mois plutôt que de dire nan ... c'mois-ci c'est pas possible ... faut manger, faut boire ...
Non.
Mais je dis oui oui, oui oui merci c'est gentil, c'est prévenant.
- Je peux le prendre ?
Il a les déjà les bras en forme de câlin alors j'y dépose Cosmo tout joyeux avec sa tasse de chocolat brûlant, le liquide marron danse dans la tasse mais reste bien à sa place. C'est le chauffage portatif de Cosmo dans cette ville et ce café refroidis.
Fleur est une fleur, finalement, il capture la lumière du soleil, et puis il vous caresse de ses pétales.
- Tu t'es déjà occupé d'un enfant ?