Il pleut Abel, tu ne t'y attendais pas. Tu ne lève jamais la tête, toi. Tu passes déjà trop de temps à regarder tes pieds alors le ciel, tu le vois presque jamais. Tu presses tes doigts contre ton crâne. Elle est affreuse, cette image. tu n'aimes pas la pluie qui coule contre tes joues. Tu t'es promis de ne plus pleurer, même pour de faux. C'est pourtant ce que tu fais. Ça pleure mais tu n'as rien d'autres que tes doigts pour t'en protéger.

chapeau haut de forme; volé. long manteau flottant d'une autre époque; volé. grosses bottes de cuirs; volées. gants renforcés; volés. t'as bien joué ton coup cette fois, tu te dis que t'as vraiment assuré. même sous la pluie battante, t'arrive encore à être heureux. et le nouveau manteau, dans une matière que tu ne connais pas, te permet de rester au chaud, malgré l'eau qui dégringole du ciel en torrent. tu avances dans la rue, tu profites de ce que tu as dérobé, tu sais que tu ne pourras pas le garder bien longtemps, parce que c'est trop repérable. mais peut être que tu conserveras quand même les bottes et les gants. tu n'as pas encore décidé, tout ce qui compte, c'est que dans le manteau, il y avait un porte-feuille, et dans le porte-feuille, une coquette somme d'argent, et tout ce que tu as à faire, c'est décider ce que tu achèteras. grandiose. magnifique. t'en es là de tes réflexions lorsque tu te retrouves face à une jeune-homme d'à peu prêt ton âge. mais lui, est découvert, et tu ne saurais dire, si c'est la pluie qui s'abat sur son monde, ou les larmes du ciel qui le défigure comme cela. tu t'arrêtes, incertain. tu restes là, presque à lui bloquer le passage. sans réfléchir, tu retires ton haut de forme, et le pose sur ses cheveux trempés.

Tu grimaces Abel, tes habits te collent à la peau, ils dévoilent tout ce que tu ne veux pas montrer et tu détestes ça. T'as l'impression qu'on ne voit que toi, tes yeux, ton vieux sourire et ton air de gosse. Toi et ton air misérable, Abel. toutes ces choses qu'elles n'aimait pas chez toi et que tu t'entêtes à cacher. Tu rêves de te faire avaler par la pluie, de disparaître dans le caniveaux, comme le torrent qui s'abat. T'as besoin de soleil Abel, de sourires, de lumière. T'as besoin de te cacher derrière le rayonnement pour te sentir léger. Et là il n'y a rien. Rien d'autre qu'un ciel gris et des épaules qui te malmènent un peu. Tu croises tes doigts, les pressent contre ton crâne et accélères le pas. les gouttes dévalent, s'écrasent contre ton nez, t'as déjà envie d'éternuer. Demain, tu seras drôle à voir Abel, c'est certains et tendit que tu lèves le nez dans l'espoir de trouver un endroit où t'habiter, tu l’aperçois, cette silhouette dressé devant toi. Elle ne bouge, elle t'observe, te dévores un peu et te gêne. Ton coeur se plaint. Lui non plus, n'aime pas ça. T’essuies tes yeux et lève à peine le menton. Il a une allure qui t'impressionnes ce garçon, avec sa drôle de dégaine. Tu murmures, rougissant. J-je...p-pardon...je dois p-passer... Pas de passage mais un chapeau sur la tête. Pourquoi ? et lui ? et toi ? Tu n'oses même pas le toucher. Mais et v-vous ? Il doit avoir pitié Abel, t'es au moins doué pour inspirer ça. V-vous ne p-pouvez pas perdre votre chapeau...ça v-vous va mieux qu'à moi.

J-je...p-pardon...je dois p-passer... il bégaie, il murmure, mais dis moi, de quoi t'as peur toi ? qui est-ce que tu fuis comme ça ? et où tu vas dabord ? t'aimerais bien lui demander, mais il parait que ça se fait pas, et puis t'oses pas trop, tu voudrais pas le mettre mal à l'aise. alors tu le regardes avec patience, avec gentillesse. il t'attendrit, celui là, un chaton oublié dans un carton, un carton qui prend la flotte. c'est ça qu'il t'évoque. pas sûr que la comparaison lui aurait plu. dans le doute, tu la gardes pour toi. tu penches ta tête découverte sur le côté, t'es légèrement plus grand que lui alors qu'il prononce à grand peine, une deuxième phrase. Mais et v-vous ? t'as un sourire, un vrai sourire de Scå. et tu ris en silence, pas pour te moquer, juste parce que personne ne t'as jamais vouvoyé jusqu'à présent. parce que toi aussi t'es un chaton abandonné dans un carton. toi aussi tu prends la pluie et parfois t'aimerais mieux qu'elle te noie. mais pas aujourd'hui, pas ce soir. ce soir t'es riche. et tu veux tout lui donner. juste pour le plaisir de le voir heureux. V-vous ne p-pouvez pas perdre votre chapeau...ça v-vous va mieux qu'à moi. impulsivement tu lui caresse la joue. j'suis pas daccord. tu retires tes doigts et te penches à son oreille. tu veux que j'te dise un secret ? j'les ais volés. rien de ce que j'ai sur le dos n'est à moi, le manteau, les bottes, les gants tout ça. c'est comme.. je sais pas, un empreint à long terme ? tu ris doucement et puis tu recules pour de bon. tu veux bien venir avec moi ? boire un truc chaud ou je sais pas. tu lui demandes en le regardant dans les yeux, et ce regard ça veut dire s'il te plaît.