fauche(u)r

Il est là, assis sur le sol, dans la rue. Les gens passent devant lui et le regarde de travers. Milo il s'en fout des gens, il se fout de tout. Bientôt il reprendra la route le Milo, mais d'abord il lui faut quelques pièces pour pouvoir réparer sa voiture. Son moteur est trop vieux et il a lâché. Il a lâché comme le cœur de Milo. La voiture ne roule plus et Milo ne bouge plus. Encore un mauvais coup du destin. Les mauvais coups il les collectionne Milo.
Il décide de se lever, il traine sa carcasse abimée jusqu'à sa voiture qui ressemble à une épave. Milo aussi il est une épave sauf que lui personne ne peut le réparer. Il ouvre la portière qui grince et s'assoit sur le siège, devant le volant. Il tente de faire démarrer le moteur.
Il s'est noyé encore une fois et Milo aussi.

cesar pavese a écrit:: il arrive qu'une femme rencontre une épave et qu'elle décide d'en faire un homme sain. elle y arrive parfois. il arrive qu'une femme rencontre un homme sain et qu'elle décide d'en faire une épave. elle réussit toujours.

Il est en retard. Grimm, il est souvent en retard. Il était en retard à son premier jour d'école. En retard le jour de son dix-septième anniversaire. En retard au chevet de sa mère. En retard pour donner le premier coup à son père. En retard, toujours en retard. Il était en retard aussi, pour son premier amour. En retard pour le dernier en date. En retard toujours, en retard sur sa vie. Il a loupé le coche, Grimm. Longtemps que les siens sont devenus grands, et qu'il n'a su que rester un enfant jusqu'à la prochaine gare.
Sa montre est arrêtée. Il est midi onze, depuis au moins trois ans. Ou peut-être juste trois semaines, il ne sait plus trop. De toute façon, même avant ça, Grimm n'avait que ses jambes pour rattraper le temps. On peut rattraper le temps perdu. Mais comment rattrape-t-on le temps qu'on n'a pas perdu ? Il s'arrête, essoufflé, à la fenêtre d'une voiture arrêtée. Miracle. Il se penche, vers l'habitacle. Dans l'obscurité, il distingue une silhouette. « Dîtes, s'il vous plait, je suis en retard, vous pouvez me déposer quelque part ? » Il ne sait pas, Grimm. Que la voiture marche plus, que le conducteur non plus, qu'la panne est générale. Mais il est en retard.

(merci pour la quote )

La vie fuie entre ses doigts, il le sait bien Milo, il l'a vite compris que tout est éphémère. Tout se fait puis se défait. C'est comme ça, c'est la vie. Milo il finira bientôt sa vie lui aussi. Bientôt il rejoindra le ciel, les nuages et peut-être même, les étoiles. En attendant il lutte chaque jours un peu plus, il lutte contre la vie, contre le temps qui va trop vite. C'est dur de rattraper le temps lorsqu'on ne sait pas courir.
Milo il regarde l'homme devant lui. Il est essoufflé parce qu'il a couru. Milo, lui, il est essoufflé de vivre. Il fronce les sourcils, il s'énerve, la tempête arrive dans sa tête puis soudain il comprend. L'inconnu ne sait pas que la voiture est cassée, qu'elle ne fonctionne plus. Il faut la réparer, vite. « Elle ne démarre pas, elle est morte. » Milo il n'est pas certain de choisir les bons mots, il n'est pas certain de choisir la bonne voie. Alors il se contente de baisser les yeux sur le volant. Milo il est triste, dans sa voix et dans ses yeux. Il est toujours triste.

Tu regarde la scène depuis déjà un moment. Assise dans ce café, tu vois ce type, là, se faire dévisager par les gens. N'ont-t-ils pas un peu de compassion ? Toi t'aimerais en avoir. T'aimerais avoir le courage de commander un second chocolat et aller lui dire qu'une boisson chaude l'attend, à l'intérieur. T'aimerais avoir le cœur gros, tellement gros que tu pourrais offrir, comme ça, à n'importe qui. Oh que tu aimerais. Hélas, tu n'y arrive pas. Les battements de ton cœur accélère, tu stresse, tu prends peur. Soudain, lueur, onde de courage, tu te lance, puis, avant la décision finale, il se lève. Il va dans sa voiture. Il a une voiture ? Tu regarde encore, curieuse. Tu essaie de lui inventer une histoire, tu le vois marin à bout de souffle, se battant pour quelque chose qu'il ne comprends pas. Et ce blond, comment tu le vois ? Non, pas ce blond là. Il te fait peur. Il a une tête d'ange. Une tête d'ange. Il cache un démon. Tu regarde encore, tu n'ose pas, tu ne bouge pas.

Qu'est-ce qu'il a dit ? Qu'elle était morte. Mais rien n'est jamais vraiment mort. Ni une voiture, ni un homme, ni les souvenirs. Rien. Tout survit, au travers de quelque chose, de quelqu'un. Au travers d'un vieux journal, au travers d'un regard clairvoyant, au travers d'une mélodie enregistrée. Il fronce doucement les sourcils, Grimm. L'être en face de lui semble porter sur ses épaules affaissées toute la misère du monde. Et ça, Grimm, il ne le supporte pas. Il ouvre la portière. « On va la réparer, d'accord ? » Il a oublié. Oublié qu'il était en retard. Ou peut-être est-il maintenant en retard d'avoir oublié. Sans attendre plus longtemps, le français et son accent écorché s'installe sur le siège conducteur. « Alors, qu'est-ce qu'elle a ? » Il parle comme si elle était malade. Pas condamnée. Juste malade. Qu'ils allaient la réparer. La soigner. Le soigner.
Il n'a pas vu qu'on les observe, de l'intérieur.