Elle se promène dans les rayons et caresse des yeux les marchandises. Du chocolat. Des noix enrobées, du caramel en fines couches, du chocolat blanc, noir, entre les deux, amer, sucré, doux, dure, fondant, croquant. C'est enivrant, c'est amusant. Un petit sourire enjoué, elle défait le ruban doré d'une boîte qu'elle a choisie parce qu'elle trônait à l'écart des autres. Personne ne regarde et c'est celle là qu'elle va acheter; elle fait sauter la bourse qu'elle a dans sa main et en se retournant, elle heurte de plein fouet une personne. Qui ? Pourquoi ? Qu'est ce qu'il se passe ? Elle n'en sait rien. Lorsqu'elle ouvre les yeux, elle ne se souvient plus ce qu'elle veut. Trou noir. Où est sa mère ? Elle ne connaît pas cet endroit. Qu'est-ce qu'elle fait ici ? Elle ramène ses genoux contre sa poitrine et scelle ses lèvres, elle n'a pas fait exprès d'avoir tout gâché.

on dit que un chocolat équivaut à un baiser sur les lèvres. alors j'aime ça. parce qu'un baiser signifie amour, je posais sur le bout de ma langue un, puis deux, puis trois chocolats. je me sentais seule, personne ne m'a jamais aimé, et jamais je ne retomberais dans les vices des sentiments. je soulageais mes peines en m'imaginant la douce caresse sur mes lèvres, l'amertume de la confiserie dans ma bouche. et je pleurais, une goutte, deux gouttes, trois gouttes. alors, nostalgique, tu erres dans les abysses de ce magasin, à la recherche d'un chocolat qui te ressemble. un chocolat seul, isolé, qui aurait besoin de quelqu'un qui l'aimerait à sa juste valeur. alors tu vagabondes, de couloirs en couloirs, sans trop regarder autour de toi, et puis tu finis par bousculer une jeune fille, qui tombe sur le sol. tu portes ta main à ta bouche, tu t'en veux. tu t'agenouilles à ses cotés, tu ne sais plus quoi faire. elle finit par se relever, s'adosser contre le mur, genoux contre poitrine. elle te ressemblait, cette petite. elle te touchait, en plein coeur. tu n'osais pas caresser sa joue afin de sécher ses larmes, de peur qu'elle s'enfuit. comme un oiseau, qui prend peur. toi aussi, tu te sens seule ? tu t'assois alors à ses cotés, en regardant l'horizon. vous ressembliez à deux sœurs égarées dans ce magasin, qui ont perdu leurs parents et qui attendent qu'on leur tende la main.

Il y a une autre personne. Une fille. Elle est toute près de Nève, elle est jolie, elle a le visage des filles qui portent des couronnes de fleurs, comme les fées ou les nymphes. « toi aussi, tu te sens seule ? » Elle a le visage dans la lumière, c'est merveilleux. Nève opine, ferme fort les yeux pour ravaler les larmes puis entend des bruits de pas. D'autres gens. Elle se met soudainement à détester cet endroit. Elle a la gorge nouée; elle n'aimerait pas qu'on l'entende ou la voie parler. Elle déteste ça. Elle ne veut pas. Elle se penche vers la fille - elle ressemble à une fée, oui, voilà, c'est une fée - et place sa main devant ses lèvres pour lui chuchoter à l'oreille « Je crois m'être perdue, aussi. » La vie est si grande ici, à l'extérieur, elle s'est perdue encore une fois. Mais cette fois il n'y ni Spirou, ni maman. Elle est seule. Il n'y a que la fille, celle qui ressemble à une fée, à ses côtés. Des mèches de cheveux brunes retombent sur la peau opaline de son visage, elle hausse les épaules.

tu te sens bien, avec cette petite. elle est jolie, elle est mignonne, elle te ressemble. ces cheveux voilaient ses yeux, ou peut-être était-ce intentionnel ? ses traits graves et forcés, mais en même temps si enfantin et doux. un si beau visage ne méritait pas d'être isolé du monde. alors elle penche sa tête vers toi. tu frissones. sa crinière brune te chatouillait le cou, mais tu aimais cette sensation. ce contact qu'elle t'offrait. ce moment de bonheur que vous partagiez. tu savais qu'elle te comprenait. tu l'voyais, même du son regard est vide, tu la vois cette étincelle qui illumine ses yeux noirs. tu la vois, t'es la seule à la voir. elle se rapproche de ton oreille, tu te laisses faire, et sa voix te monte à la tête. un ange déchu. un ange que même dieu a rejeté. un ange qui cherche un peu d'solitude. un ange qui n'veut qu'on lui accorde aucun regard. une sœur je crois m'être perdue aussi tu ne souris pas. aucune expression anime ton visage. pas un pleur, pas un rire. tu te contentes sans même t'en rendre compte de caresser ses cheveux ébènes, comme pour apprivoiser un lion enragé. lentement, doucement, dans le sens du poil. alors nous sommes deux tu regardais les gens passer, vous regarder, puis vous ignorer. ton visage sévère éloignait les éventuels âmes charitables qui voudraient vous accorder un peu d'aide. vous aviez besoin de solitude. trop d'inconnus passaient devant vous. ça t'éblouissait mais tu voulais garder ce ton grave qui faisait fuir les intrus. comme si ils voulaient faire du mal à ton nouveau trésor. comme s'ils voulaient te m'arracher des mains, comme on t'a volé ton amour propre. non, tu l'aimes cette petite. quand tu la regardes, c'est comme si tu te voyais dans un miroir. si on lui arrachait le coeur, c'est comme si on réduisait le tien à néant. vous êtes différentes des autres, alors vous partagez le même sang. je m'appelle skye. sky, comme le ciel qui nous ferme ses bras. sky comme le paradis perdu qui nous rejette. sky, comme le ciel qu'on regarde quand on n'a plus rien à faire de son existence. skye. et toi ? quel est ton nom ? tu posais ta tête sur la sienne, toujours tes doigts entremêlés dans ses cheveux. éloignez-vous de mon trésor.

J'aurais pu acheter un caddie de courses. J'aurais pu acheter une nouvelle tente, la vieille a été arrachée par le vent. J'aurais pu acheter des pommes de terre pour manger ce soir. De la lessive. Des oranges. Des poivrons. Des sardines en boite. De la pâte brisée. Des nouilles. Du beurre. De la confiture. Et du pain aussi. Un sac de couchage. Une nouvelle paire de godasses. J'aurais bu acheter tout ce dont j'avais besoin. Mais je n'en ai pas voulu. Alors j'ai acheté du chocolat. Beaucoup de chocolat. De toutes les sortes. Noir. Blanc. Lait. Au caramel et aux éclats de framboises séchées. L'enfance est très loin mais parait si proche. Peu de gens n'aiment pas le chocolat. Chocolat est synonyme de plaisir. Il vous embaume les sens. J'aime plus le chocolat que je n'aime les femmes. Noir. Très intense. Il rebondit sur mes papilles. Extase. Je déambule, les bras chargés de victuailles. Mon regard devient moins dur, moins fermé avec le chocolat. Ce regard, il tombe sur deux têtes. Deux regards perdus. Et je les regarde. Sans un mot, sans un bruit, je me dirige vers elles. Elles sont très belles, toutes les deux. Leurs cheveux et leurs doigts s’entremêlent. Je m'arrête à leur niveau. Je les regarde. Je leur tends du chocolat. C'est tout dont elles ont l'air d'avoir besoin.

Perdues à deux. Le ciel et elle, une étoile égarée, une étoile sans lumière, une étoile essoufflée. Elle laisse faire, elle aime bien Skye, elle est apaisante, elle n'est pas bruyante, elle n'est pas agaçante, elle est maternelle, adorable. Elle lui ferait bien un câlin mais, elle a peur de bouger. Elle se contente de secouer la tête, regarder le morceau de ciel qu'elle peut entrevoir par la vitrine, vers l'entrée du magasin, ça paraît si lointain. Avait-elle marché ici tout le jour ? Elle tire sur le pendentif à l'intérieur de son pull et se penche légèrement, encore, vers Skye. Derrière le médaillon, son prénom, gravé dans l'or en lettres cursives, rondes, belles, classiques. Elle regarde dans ses yeux. Déception ? Émerveillement ? Surprise ? Nève. Elle s'appelle Skye, toi Nève. Nève et Skye, Skye et Nève, perdues dans une rêverie chocolatée, assises au milieu du monde. Puis il y a ce garçon qui arrive et qui, plutôt que de les ignorer, les regarde un instant qui semble les figer. Nève range son médaillon, ses menottes s'agitent, une mèche y reste coincée, elle fait une grimace. Au bout de sa main, entre ses doigts, du chocolat. Nève est un peu inquiète, elle le juge gentil mais son regard est vacillant; Skye, morceau de chocolat, Skye, morceau de chocolat, Skye. Elle cache son visage dans ses mains. Non, elle ne va tout de même pas pleurer. Elle se souvient des conseils de sa mère, de ce qu'on lui a répété mille fois; elle se méfie trop, tout le monde n'est pas mauvais, tout le monde ne va pas chercher à nuire à son bien être, tout le monde n'est pas comme ça. Son médaillon, elle le ressort. Ses gestes son gracieux, elle bondit habilement, silencieusement et ses cheveux ne font qu'un avec le courant d'air frais qui s'engouffre dans la boutique. Nève. Elle tend le médaillon et regarde en implorant. Tu comprends ? Je suis Nève. Puis elle prend le morceau de chocolat à deux mains, le brise, le tend à Skye en esquissant une ébauche de sourire, un rictus, une mimique amicale, parce qu'elle l'apprécie vraiment beaucoup. Et comme elle le fait toujours, elle fait barrage entre ses mots et le monde et chuchote à l'oreille du garçon. « skye. » elle pointe du doigt la gentille Skye et lui sourit. Sa tête s'incline alors légèrement vers la gauche. Et toi, qui es-tu ? Une de ses mains se dirige vers sa nouvelle amie, sa nouvelle sœur, Skye. Elle agite les doigts. Reviens-moi, s'il te plaît.

ces cheveux ébènes, c'est ton petit coin de paradis, tu te sens chez toi, à l'aise. tant qu'elle restait dans tes bras, tu savais que t'étais en sécurité, que vous étiez en sécurité. parce que ton trésor, tu l'aimes, tu la protèges. tu ne sais rien d'elle, elle ne sait rien de toi, à part ton nom, l'étiquette qui te poursuit depuis tes premières larmes. alors tu la protèges, et tu inspires. son odeur te monte à la tête. elle sent les fleurs. elle sent les prés. elle sent les champs. elle sent le paradis. t'aimerais bien te perdre pour toujours dans ses yeux, t'aimerais ça hein. mais t'as trop souhaité, pour au final n'avoir que des larmes pour pleurer. vous êtes immobiles, vous ne dites rien, mais tu finis par lui demander son nom. elle tire sur le pendentif à l'intérieur de son pull. elle le retourne, et tu peux lire NEVE nève, nève. dans nève, il y a ève, et il y a ce n. ce n qui symbolise le contraire, la différence, l'intolérance. elle est différente de la pureté, de la perfection, de la femme, nève. nève, nève, nève, ton coeur, qui bat au même rythme que son nom qui résonne dans ta tête. et un jeune homme vint interrompre ton rêve. tu serres un peu plus fort ton trésor. tu grimaces, tes sourcils se froncent, tes traits deviennent sévères. qui es-tu, bel homme ? ne me quitte pas, nève. il vous tend sa main, divers chocolats posés entre ses doigts. tu te détends, mais pas trop. alors, tu cherches à te rassurer dans les yeux de ton amie, de ta soeur, de ton adorée. elle te tend un morceau de chocolat, tu ne sais pas si elle sourit. alors, tu le prends, de bon coeur, et ta gourmandise vint doucement rassurer ton palet. tu restais méfiante, tout de même, tu regardais l'homme en face de vous, mais tu semblais triste, tu semblais fermée, tu semblais prête à tout pour ta nève. elle s'agite, et souffle ton nom à l'oreille du garçon, tu grimaces. tu préférais ce doux paradis immobile qui vous entouraient il y a à peine quelques minutes. merci tu te contentes de murmurer au bel homme, l'adam de ève, qui vous proposait la confiserie. et tu te décales légèrement, pour lui faire signe qu'il y a une place pour lui s'il le souhaite. que s'il souhaite se perdre dans votre paradis, il le peut. s'il souhaite vous tenir la main dans votre monde, il le peut. tu regardes nève. elle te fixe aussi, agitant ses doigts sous mon nez, alors tu souris, pareillement à une mère qui rassure son enfant. tu lui prends la main, doucement, pour ne pas la brusquer, et tu poses ta tête sur son épaule, en te demandant si le garçon au chocolat restera à vos côtés, pour soulager votre solitude.