the sound of silence.

chiffo triture ses doigts. Depuis qu'il est entré là, il n'a que ces choses-là en tête. Ses pensées s'accrochent à tout ce qui n'a aucune importance. A la saleté sous ses ongles, aux manches de son pull toujours trop grand jusqu'au vrombissement étouffé des voitures derrière l'immense porte en bois. Tout l'importe mais pas lui. Non, lui le torture, c'est différent. Et chiffo est seulement là pour se faire un peu du mal. Son phare lui manque, qu'est-ce qu'il y peut ? Faut bien s'en souvenir parfois. Son dos quitte le banc et ses doigts fouillent ses poches. Un dollar, peut être même deux. C'est tout ce qu'il a. Deux dollars deux moins et une bougie entre les mains. La brûler, ce serait faire table rase du passé. Mais Chiffo n'est pas certain d'être encore tout à fait prêt. C'est qu'il aime s'entêter à courir derrière ce qui n'existe pas.

Ca ne changera rien Gin de venir prier, tu le sais aussi bien que moi. Je fais taire cette voix dans ma tête, qui ressemble beaucoup trop à la mienne. Au moins je fais quelque chose, j'essaye de trouver un moyen de me libérer. Voilà c'est ça. Au moins je ne reste pas sans rien faire. Je ne sais pas prier, je me contente de m'adresser à quelqu'un de supérieur à tout ça. Mes mots sont maladroits, je murmure faiblement quelques remerciements et je retiens de justesse une ou deux insultes. Confusion, tout s'embrouille, trop de sentiments contradictoires. Je finis pas me taire. Je reste assise sur ce banc en bois, les yeux dans le vague, les bras croisés et les mains crispées. Comment dois-je faire ? Comment est ce qu'il faut s'y prendre ?

Courir après du vent doit sans doute ressembler à ça: avoir l'air d'un rien, bougie éteinte entre les mains. Et ses doigts serrent un peu plus fort le verre. Chiffo ne perçoit pas grand chose. Il oublie peu à peu les voitures vibrante et s'attache au silence assourdissant. Même les murmures et l'air troublé de cette silhouette juste à côté ne lui font aucun effet. Il lui aurait déjà gueulé dessus, le Chiffo, s'il n'était pas dans une église, s'il n'était pas aussi troublé et si son esprit n'était pas des kilomètres déjà. Il lui aurait même pointé la sortie du bout des doigts, avec son air grincheux qui lui scie bien. Mais il ne dit rien. Il ne jette qu'un léger regard à la silhouette et s'avance enfin. La bougie entre ses doigts s'allume. Cela fait mille ans au moins qu'il n'a plus fait ce geste-là et lorsqu'il la dépose, là, juste là, au milieu de toutes les autres, Chiffo commence à la perdre du regard. Il n'aime plus les églises, n'aime plus les bougies, les prières et les vitraux. Il aime seulement la nostalgie et les souvenirs qui affluent. Alors il souffle, revient sur ses pas et s'assoit. Juste à côté de la jeune femme à l'air troublé.

Mon esprit parait loin, hors de moi tandis que mes muscles sont tendus, mon corps figé dans cette position. Qu'est ce que je vais faire ici ? Qu'est ce que ça changera pour moi ? Les mêmes choses ne feront que se reproduire, inlassablement et moi je suis fatiguée. Usée de faire semblant. De faire comme si tout allait mieux. Je ne suis plus moi. Mes ongles s'enfoncent dans ma peau, traversant mon pull. C'est vrai qu'il fait froid aussi dans les églises. Je ne remets pas mon manteau pour autant, je veux laisser ma carcasse ressentir quelque chose. Prouves-moi que tu es toujours d'attaque ! Quelqu'un s'assied à côté de moi. J'ai bien fait de me taire, je devais déranger. Je reviens à moi et me tourne lentement. Pas de façade. Je n'en ai pas la force, pas ici. Mes yeux se posent sur cet homme, il me semble las lui aussi. Je me contente de le regarder, comme s'il pouvait m'apporter une quelconque solution. Je lui cris de m'éclairer en silence.

Il s'éveille un petit peu et les yeux de Chiffo quittent enfin les flammes qui s'animent sous ses yeux. Maintenant qu'il pose à nouveau ses pieds sur terre, il l'entend enfin, ce bruit qu'il aurait pu trouvé agaçant. Il baisse les yeux sur ses doigts et souffle un peu. Il la ressent, cette étrange sensation d'être épier. Ce regard vif et impoli qui lui brûle le visage. Qu'est-ce qu'elle lui veut ? Est-ce qu'il ressemble à un phare aujourd'hui ? Et quand bien même c'était le cas, il n'a pas envie de l'être, pas pour elle en tout cas. Et pourtant il souffle, tendit qu'il torture ses doigts. Qu'est-ce qu'il y a ? Il n'est pas prêtre Chiffo, la seule croix qu'il porte, c'est celle qu'il accroche parfois à ses oreilles. Si tu ne sais pas prier, lui parler suffit. C'est ce que je faisais.

Le temps se suspend dès que l'inconnu commence à me parler. Je le dérange probablement, qu'attends-tu d'eux Gin ? Ils ne peuvent rien pour toi, ni cet homme ni cette puissance supérieure. Le premier s'en fiche probablement et le second t'a déjà redonné ce qu'il y a de plus précieux. Normalement c'est ton tour de te battre. Un vague sourire en coin, amer et résigné. J'ouvre la bouche mais rien ne sort. Mes jambes remontent se coller à mon buste et mes bras les entourent. Je ne contrôle pas ce geste mais il me rassure. Un moyen de me cacher, de le cacher. C'est ce que je faisais un peu bruyamment sûrement. Désolée. Je baisse le regard, réalisant soudainement que je n'ai pas à crier à l'aide. Ce sentiment bien connu de culpabilité laisse un goût insupportable dans ma bouche, avant de rejoindre son fidèle compagnon le dégoût. Tourmente de mon esprit. Il a déjà fait un miracle, alors je devrais uniquement le remercier sans doute. C'est un murmure que seul le silence de l'église permet d'entendre. Dis moi que ce n'est pas grave de lui demander encore plus. Dis moi que c'est humain.

Bruyamment. Peut être, sans doute mais il n'écoutait pas. Pour quoi faire d'ailleurs ? C'est déjà bien assez préoccupant de s'écouter soi-même, alors les autres, les autres tout le monde s'en fou, même dans une église et une jésus crucifié à quelques pas. C'est la deuxième fois. Il écoute beaucoup mais ne parle pas assez. C'est peut être ça, son défaut: accumuler sans chercher forcément à se débarrasser de tout ce qu'il a. S'il le fait, Chiffo a peur d'être vide comme tout et ne plus avoir grand chose auquel se raccrocher. Alors il écoute. Il souffle. Non, je m'en foutais en fait. Il n'avait d’intérêt que pour sa bougie, son deuil et les lumières. Les remerciements aussi, il s'en fou. Il passe ses doigts dans ses cheveux et soupire doucement. Puis un miracle ? Quel genre de miracle ? C'est qu'il aurait bien besoin d'un, de miracle. Qu'elle lui révèle son secret, là, tout de suite.

Il n'a pas vraiment tort l'étranger. Tout le monde s'en fout des autres, alors pourquoi attendre une quelconque réponse à mon problème. J'ai laissé le seul individu qui se préoccupait de moi, il faut assumer. Je pensais juste que le Divin, ça lui ferait plaisir. Il doit probablement en avoir de mon cas et se dire que j'ai tout gâché. Tous autant qu'ils sont me diraient que je ne suis qu'une égoïste. Mais ils ne peuvent pas comprendre, personne. Chacun d'eux est capable de passer devant un miroir normalement, ça fait deux ans que j'évite de croiser le reflet de mon corps. Mes yeux retournent se poser sur lui. Inconnu sur qui je place sans raison un poids. Je le vois, véritablement. Un miracle qui te garde en vie et qui t'empêche d'être paralysé. Un miracle qui laisse des marques. La dernière phrase n'est qu'un chuchotement, presque inaudible. Mes dents se plantent dans ma lèvre inférieure. Je sens la tension qui envahit ma chair. On a pas le droit de se plaindre après ça, tu crois pas ? Si réponse il y a, je la redoute. Rassure moi, chuchote moi quelque chose qui fera partir cette culpabilité.

Peut être bien qu'il en a marre le Chiffo, qu'il est désabusé et fatigué. Ce serait une bonne excuse, pour son ton et ses yeux dures. Cette fille n'y est pour rien, pourtant. Elle se contente seulement d'être là lorsque Chiffo aurait aimé se perdre dans le silence. Ce n'est pas une bonne idée, ce n'est pas non plus la solution. C'est seulement un abris, ce qui garde les monstres loin de la maison. Il souffle, frotte ses mains l'une contre l'autre et observe doucement la jeune femme. L'église est vide et pourtant Chiffo se retrouve obligé de se pencher un peu pour entendre. Ici, il n'y a que son souffle qui résonne. Tu as eu un accident ? Il lance, doucement et l'air de rien. Le sujet est vif et délicat, Chiffo l'entend au ton de sa voix. Je ne crois pas grand chose. Il baisse les yeux et serre un peu la mâchoire. Normalement, on ne se plaint jamais. Si quelque chose arrive, c'est que dieu en a décidé ainsi. C'est le destin, la voie du seigneur. Blabla et cetera. Mais c'est un peu chiant. Il lève son visage vers elle, la transperce presque de ses yeux bleu. T'as bien le droit de t'en plaindre. T'as jamais eu le choix de toute façon.

C'est le moment où je suis censée t'avouer que je ne crois pas en Dieu, sauf que ça ne servirait à rien alors je passe sous silence ce fait. Ta question est légitime, je l'ai cherché. J'aurais dû faire abstraction de ta présence. Oui, il y a deux ans. Pas plus, surtout pas plus de détails. Ca reviendrait à m'ouvrir en mille morceaux. Sa réponse donnera un infime répit à ma conscience. Pourtant son regard est inattendu, dérangeant. Ca te fait peur Gin. Tu ne veux pas qu'il voit ce que toi tu vois. Surtout pas. Je serre plus fort mes jambes. Chut. Un peu de silence dans mon esprit, je ne demande pas énormément. Peut-être qu'aller voir des personnes spécialisées m'aurait aidé. J'en ai pas eu le courage. Si, je crois que je l'avais. Sa dernière phrase sonne bizarrement à mon oreille, me donnant l'impression qu'il parle de lui. Et toi, tu l'as eu le choix ? Après tout pourquoi est ce qu'il est venu juste à côté de moi alors qu'il y d'autres bancs, libres qui plus est. A mon tour de l'écoute parce que cet inconnu souffle souvent et a l'air tout aussi à l'aise que moi.

Ce sont les petits détails qui changent tout. Ces petits trucs qu'on possédait avant sans vraiment s'en rendre compte et dont on réalise l'importance une fois enterré. Oui il y a deux. C'est si récent. Aux yeux du Chiffo, deux ans ce n'est pas grand chose, une poignée de secondes peut être; et même dix ans, même dans dix ans, tout lui semblera encore récent. Les détails dont tout le monde s'en fou, une fois disparu, ne reviennent pas. Il y en a un tas de conneries auquel il n'a jamais prêté attention et qui se sont transformés en gouffre suintant. Si, je crois que je l'avais. Il relève la tête. Chiffo cesse un petit instant de se torturer l'esprit et l'observe un peu. C'est étrange, comme phrase, sans doute autant que la sienne. A t-il le droit de poser des questions ? Et en a t-il envie ? Son fardeau pèse déjà trois tonnes, Chiffo n'a pas besoin de ceux des autres. Non. Il souffle doucement et détourne les yeux. Un rire, presque aussi lourd que l'atmosphère vibre à travers sa gorge. Si je l'avais eu, je ne serais pas ici.

Il suffit d'une chose pour que tout s'effondre et on se rend compte de notre fragilité tant physique que psychologique. Les plus forts, les plus grands, les plus intelligents aussi peuvent s'effriter, sombrer. Devenir étranger à soi même, il n'y a rien de pire comme sentiment. C'est quelque chose qui use, abîme et fatigue. C'est bien pour ça que je suis dans cette église, malgré le fait que je sois athée. Sûrement parce qu'il s'agit d'un lieu où de nombreuse personnes avant moi, ont placé leur espoirs. Avec de la chance, j'arriverai à en prendre un petit peu. Pas beaucoup, juste assez pour me donner du courage et faire ce que j'aurai dû faire depuis longtemps. Y en bien qui vienne ici quand tout va bien. Ceux qui viennent pour des gens comme nous. Du moins c'est ce que j'ose croire. Une question trotte dans ma tête. A son attitude, le ton de sa voix, son regard, on voit bien qu'il aimerait être seul. Seul avec lui-même au milieu du silence et de ses tempêtes. Ca n'explique pas pourquoi t'es venu là, à côté de moi. Je le regarde mais d'une manière un peu plus bienveillante. J'ai déjà trop attendu de toi étranger.