Il flotte. La pluie s'infiltre dans tes vêtements comme si elle y avait été cordialement invitée, glisse sur ton visage, dégouline le long de ton corps. Tes cheveux sont trempés eux-aussi, plaqués sur ton front. Tu ne ressembles à rien, comme ça. A un chien mouillé, peut-être. Ton sac pèse lourd sur tes épaules. Il n'est que minuit et toutes les baraques sont éteintes. C'est quoi ce trou paumé ? Tu arrives alors dans une rue un peu plus animée. Un soupir de soulagement s'échappe de tes lèvres entrouvertes. Tu vas enfin pouvoir poser ton cul sur une chaise. Tu pousses la porte du premier bâtiment qui passe. Un bar. Quelques poivrots traînent dans un coin mais ton regard ne daigne pas s'attarder sur eux. Tu te diriges simplement vers le comptoir et te laisse tomber sur un tabouret, laissant ton sac et ce qu'il contient - ta vie, somme toutes - glisser à tes pieds. « Un whisky. ». Tu lances, de ta voix rauque, sans prendre la peine de déballer les formules de politesse toutes faites. Un filet d'eau dégouline dans ton dos. Tu frissonnes.

S'il ne pleuvait pas tant, Rae serait rentrée depuis longtemps. Elle n'aime pas traîner dans les bars le soir mais elle déteste encore plus la pluie. Pas question de se risquer sous le ciel orageux. Alors elle reste, au milieux de ses hommes puants l'alcool et de ces femmes désespérées.
En venant à Banff, elle avait cru à un nouveau départ : elle avait cru pouvoir trouver ce qu'elle cherchait. Mais au final tout est comme avant, sauf qu'en plus, elle est seule. Rae jette un coup d’œil par la fenêtre, pour voir ou en est la pluie, si c'est pire qu'avant. Elle esquisse une grimace, retourne s'asseoir au bar et pose sa tête entre ses bras. Elle ferme les yeux et laisse son esprit divaguer, il n'y a que les odeurs et les sons qui lui rappellent ou elle est. Elle entend la porte s'ouvrir, un tabouret racler le sol et une voix demandant un whisky. Quelqu'un s'est assied à côté d'elle.
Doucement, Rae ouvre les yeux et regarde la nouvelle venue qui est complètement trempée. Elle la plaindrait presque mais à la place elle se redresse, appuie sa tête contre sa main et ajoute d'une voix fatiguée : "La même chose s'il te plait." Le barman leur lance un regard vide et s'affaire à les servir sans cérémonie. La nuit promet d'être longue.

T'as à peine ouvert la bouche pour commander que tu t'impatientes déjà. Les indulgents t'excuseront en mettant ça sur le compte de tes fringues trempées qui te font comme une seconde peau. T'es gelée jusqu'aux os, tes lèvres ont pris une couleur violette qui te fait ressembler à un cadavre. T'as l'air effrayante, un peu. Encore moins engageante que d'habitude, si c'est possible. Tu soupires et laisse tes doigts courir sur le bar. « La même chose s'il te plait. ». Tu tournes la tête et remarque enfin qu'il y a quelqu'un à côté de toi. Une brune. Elle doit être là depuis un moment déjà, parce qu'elle n'a pas l'air d'avoir subi les attaques de la pluie, elle. Ton whisky arrive enfin. T'attrapes le verre, ou plutôt tu essayes, mais tes doigts sont complètement engourdis et tu ne fais que renverser son contenu sur le comptoir. « Putain ». Tu lâches, entre tes dents.

Rae se dit qu'elle a bien fait de rester au chaud : sa voisine a tellement froid qu'elle renverse son verre en lâchant un charmant "Putain !". Mais le liquide alcoolisé se répand sur le comptoir, la jeune femme se recule pour éviter une attaque de whisky, hélas, elle le fait trop brusquement et manque de tomber en arrière. Elle se rattrape alors au bar trempé, ses doigts glissent, Rae saute sur ses pieds et cherchent à retrouver son équilibre : son tabouret s'écrase sur le sol dans un vacarme qui fait gémir les plus bourrés. La jeune femme rougit de honte, relève la chaise haute mais reste debout. Elle attrape un mouchoir et essuie le comptoir pour finalement s'y accouder : "Prends mon verre, je crois qu'il vaut mieux que je m'arrête là."
Elle ne sourit pas, se contentant de soupirer. Elle a encore les idées claires mais son sens de l'équilibre est perturbée. Elle coule un regard sur l'horloge accrochée au mur et remarque qu'il se fait vraiment tard mais la pluie ne cesse pas, la faisant prisonnière de ce bar... Si seulement la trotteuse pouvait allé plus vite.

Il ne manquait plus que ça. Tu regardes le liquide qui forme une flaque sur le comptoir, exaspérée. Pas autant que le barman qui pousse un soupir en contemplant le désastre. Le sang te monte à la tête. « Alors quoi ? ». T'argue, agressive, vrillant tes yeux sombres dans les siens mais ton attention est bien vite détournée par ta voisine qui manque de tomber et arrive avec peine à rester debout alors que son tabouret s'écrase au sol lamentablement. Tu arques un sourcil tandis qu'elle le relève. « Prends mon verre, je crois qu'il vaut mieux que je m'arrête là. » Tu la regardes essuyer le comptoir, un instant interdite, hésitante. « Je pense aussi. ». Ça t'échappe. Mais comme il faut être polie, tu ajoutes : « Merci. ». Sans te faire prier, tu prends le verre, avec quelques précautions cette fois et le porte à tes lèvres. Le liquide te réchauffe le cœur et tu te sentirais presque d'humeur aimable. « Qu'est-ce que tu fais là ? T'attends quelqu'un ? ». A moins que ce ne soit l'ambiance poivrots-vomissants qui l'ait charmée.

Rae esquisse un sourire amusé, elle a assez d'autodérision pour ne pas se vexer quand l'autre brunette lâche un "Je pense aussi." bien mérité. Elle la détaille du coin de l’œil, elle est plutôt jolie, assez jeune, brune aux yeux chocolats et a une tête à s'appeler Cassie.
Celle-ci la remercie pour le verre qu'elle prend et ne fait pas tombé cette fois et puis elle commence une conversation ce qui surprend presque la jeune femme, persuadée qu'elle terminerait la soirée à tenter de se défaire d'un ivrogne complètement bourré : "Qu'est-ce que tu fais là ? T'attends quelqu'un ?".
Elle secoue négativement la tête en cherchant à rassembler ses pensées. Elle ne sait plus très bien comment elle est arrivée ni depuis combien de temps elle est là mais elle n'oublie pas ce qui la retient ici : "J'attends le soleil. Enfin, que la pluie cesse." ; elle commande un verre d'eau avant de continuer : "Et toi ? Tu fuyais le déluge ?".
Rae se demande vaguement depuis combien de temps Cassie est en ville et quel est son vrai nom mais, mieux que personne, elle sait que chacun a ses secrets et que parfois, il vaut mieux se contenter de quelques phrases sans intérêt.

Tu reposes le verre sur le comptoir et balaye le bar d'un regard dédaigneux. Tu te demandes bien quels sont les malheurs qui ont amenés ces hommes à s'échouer dans l'alcoolisme, qu'est-ce qu'ils ont bien pu surmonter pour arriver à cet état de loques ambulantes, mais dire que t'éprouves une quelconque empathie pour eux serait mentir. C'est leur problème, pas le tien. Tu reportes ton attention sur la brunette à tes côtés. Elle secoue la tête lorsque tu lui demandes si elle attend quelqu'un. « J'attends le soleil. Enfin, que la pluie cesse. ». Tu ne dis rien. C'est clair que se retrouver dans le même état que toi ne doit pas la tenter spécialement. « Et toi ? Tu fuyais le déluge ? ».. Tu reprends une gorgée, laisse un petit silence s'installer avant de répondre « Ouais. J'viens de débarquer dans ce trou et j'ai pas trouvé mieux pour m'abriter. ».

Des silences, des regards perdus, des pensées embrouillées : c'est bel et bien une rencontre à un bar. Il y a même les ivrognes écœurants en fond et le barman gras et désagréable qui essuie ses verres en fixant d'un mauvais œil les deux jeunes femmes plutôt maladroite.
C'est pour ça que Rae n'a jamais aimé ce genre d'endroit, elle ne s'y sent pas à l'aise, épiée et scrutée comme si elle était de trop. Et certainement qu'elle l'est. "Cassie" est donc pour elle un cadeau du ciel. Une présence rassurante parce que féminine et à l'air fréquentable : "Ouais. J'viens de débarquer dans ce trou et j'ai pas trouvé mieux pour m'abriter.", Rae sourie légèrement, elle aussi est une petite nouvelle.
Banff c'est son nouveau départ, c'est là que tout recommence. En mieux si possible même si pour l'instant elle était plus seule et désespérée qu'autre chose : "C'est pas toujours facile de tout reprendre à zéro (elle parle d'expérience), tu vas vivre dans le coin ?". L'alcool l'a rendue curieuse alors elle boit un peu d'eau en se demandant ce qui attire autant de monde dans cette ville sans grand intérêt.

Tu finis ton whisky et presque immédiatement tu regrettes que ton verre soit vide.  « C'est pas toujours facile de tout reprendre à zéro, tu vas vivre dans le coin ? ». Comme tu n'as plus rien à boire, tu reportes toute ton attention sur ta voisine. Tu ne pensais pas trouver de la compagnie ce soir, c'est vrai, t'es pas non plus un modèle de sociabilité. Mais tu te rends compte que ça fait déjà quelques jours que tu n'as pas eu une vraie conversation avec qui que ce soit, ça et l'alcool qui te délie un peu la langue et te voilà en train de parler avec la petite brune. « Je ne sais pas trop. J'espère trouver un hôtel, un truc pas trop cher.  ». Tu te limites à ces quelques paroles, mais franchement c'est déjà pas si mal, pour quelqu'un comme toi. C'est à ce moment là que tu réalises que tu ne connais pas son prénom, c'est quand même la base lors d'une rencontre et tu t'apprêtes à le lui demander lorsque tu vois débarquer un brun qui pose sa main sur l'épaule du barman. Son conjoint ? « à ta place, je changerai d'avis. ». De toute évidence non. T'as pas suivi ce qui s'est passé donc tu l'observes sans mot dire, à demi-intéressée seulement. « les filles, vous êtes en avance, comment ça va ? ». C'est à vous qu'il s'adresse, pourtant. Détraqué. Psychopathe. Alcoolo. Taré. Tu ne sais pas qui il est, mais à la limite, tu t'en fous parce que tu vois là une occasion. « Ah, Paul, t'es enfin là ! Tu te rappelles que c'est à toi de payer la tournée, ce soir. ». Tu lui adresses un clin d’œil, empli de ton putain de culot. T'espères bien l'avoir, ton deuxième verre amer.

Spoiler:

Rae a l'impression que pour une fois tout ne va pas de travers : cette fille lui est sympathique, elle a bu plus qu'elle n'en a besoin et elle a réussi à oublier que dehors il pleut averse. Oui, c'est une bonne soirée ou du moins, c'en est une pour la jeune fille : « Je ne sais pas trop. J'espère trouver un hôtel, un truc pas trop cher.  », Rae acquiesce, c'est à peu près ce qu'elle a fait puisqu'elle loge dans une auberge de jeunesse. Au moins c'est pas cher et elle a un toit. La brunette s'apprête à répondre qu'elle aimerait trouvé un appartement parce que Banff l'a charmé mais elle n'en a pas le temps. Elle et « Cassie » sont dérangés par le barman et un mec : « à ta place, je changerai d'avis. ». Rae étudie rapidement la situation sans vraiment en saisir le sens, c'est que ce gars là, elle ne le connait ni d'Adam ni de Eve et qu'elle ne comprend pas trop ce que fait le barman du mauvais côté de son bar : « les filles, vous êtes en avance, comment ça va ? ». ça aussi elle a du mal à comprendre. Que leur veut ce type ? En tout cas, le barman s'éloigne en lançant un regard mauvais au nouveau venu. Elle jette un coup d’œil rapide à sa camarade de beuverie, est-ce que celle-ci sait ce qu'il se passe ? Elle n'arrive pas à le savoir car « Cassie » répond très naturellement : « Ah, Paul, t'es enfin là ! Tu te rappelles que c'est à toi de payer la tournée, ce soir. ». Tout ça semble être une vaste blague mais Rae n'est pas en reste et finalement, elle rentre dans le jeu  : « Ouaip, en plus on n'est pas en avance  : tu es en retard. Mais installe toi, reste pas debout ! », et elle lui sourit hypocritement comme si c'était un ami de longue date. Intérieurement elle rit, elle a l'impression que cette vie n'est pas la sienne : elle n'était pas sensée faire ça de ses soirées et, sans crier gare, son rire s'extériorise et elle glousse doucement. Tout ça lui paraît bien fou.

Spoiler: