J'crève littéralement la dalle. Alors, muni de mon sac à dos, je gagne le premier resto que je vois. Ça sent la sauce bolo à plein nez et ce n'est pas pour me déplaire. Bien au contraire, ça m'ouvre davantage l'appétit. Je m'assois seul à une table, tel un vilain petit canard et patiente jusqu'au moment où le serveur débarque. J'commande des spaghettis, quelle surprise. Et, une bière. J'sais que je devrais pas boire de conneries à l'heure du déjeuner, on me l'a rabâché toute ma vie, mais j'suis assez grand, je pense, maintenant pour prendre ce genre de décision. L'endroit est bondé, ça m'énerve. Je n'aime pas tellement être entouré. Sauf quand il s'agit de chair féminine. Ici, en l'occurrence y a que des vieux avec leurs morveux casse-cou qui ne cessent de brailler. Bande de sauvages. Je les regarde, à peine, je supporte déjà, assez, comme ça, le bruit. D'façon, j'ai jamais été quelqu'un de sociable ou d'avenant, c'est connu.

Adrix, il avait décidé de se détendre un peu. Oui, vous voyez, ça n'était pas réellement dans ses habitudes de se relaxer. C'était un sportif, le genre de garçon pouvait courir un marathon sans pour autant reprendre son souffle. Alors oui, aujourd'hui, il s'était dit qu'il allait y aller "doucement". Bon cela dit, sa définition n'était pas franchement obligée d'être la même que celles des autres, et puis de toute façon, il serait bien incapable de devenir un de ces mollassons arrivant à peine à pousser un cadi de supermarché. Alors, en cette première matinée de bonne résolutions, il avait décidé de se rendre au restaurant, histoire de ne pas faire la cuisine lui même. La fille à l'accueil lui signalait que toutes les places étaient prises, mais Adrix était quelqu'un d'insistant, d'ailleurs, il avait fini par entrer de lui même, cherchant une chaise de libre. Y'avait ce gars là bas, qui semblait dévisager son voisinage, et il était tout seul, alors bon, il n'allait pas se prier. « Tenez, c'est lui mon pote ! Voilà, j'vous ai dit que je mangerai ici ! » qu'il lâche à la serveuse. Celle ci semble un peu gênée, et finit par tourner les talons alors qu'il prend place face au garçon. « Désolé, faut que j'mange, et c'est mon restau préféré... »  mensonge « Donc, si tu voulais bien de moi, ce s'rait cool. » Enfin, il ne lui laissait pas réellement le choix non plus.

Affamée, je tournais en rond dans cette ville que je n'arrivais toujours pas à comprendre. Aucun repère, aucune aide. Rien. J'étais paumée, seule et affamée. Mon ventre ne cessait de m'expliquer à quel point il me détestait. C'était fou. Incessant et fatiguant. Alors j'entrais dans ce restaurant, touchant du bout des doigts ses pièces que je contenais dans ma poche. Putain, ce monde. Quelle bonne idée venais-je d'avoir. Je grimaçais tout en regardant autour de moi. Trop de monde. Beaucoup trop de monde. On me demanda de partir, ou d'attendre. Oui mais non, j'avais faim. Maintenant. Puis là, j'ai entendu ce mec. Il rejoignait son pote. Qui s'avérait finalement ne pas l'être. Deux inconnus, pourquoi pas trois ? Mon ventre contrôlant mon corps, je décidais de m'asseoir auprès de ce type qui venait d'envahir la tranquillité du pauvre client. Ça m'arrangerait que tu veuilles bien de moi aussi soufflais-je, tout en esquissant un léger sourire. Être gênée, mais pourquoi ? Cette situation était parfaitement normale.

Alors que j'pensais que ça ne pouvait être pire, y a un type que je ne connais ni d'Adam, ni d'Eve qui débarque à ma table, prétextant être mon pote. Je le dévisage d'abord quelques secondes, ne prêtant pas attention à l'hôtesse qui tourne les talons. Puis je penche la tête sur la droite, les sourcils froncés. Ce serait son restaurant préféré, apparemment. Alors, j'émets un léger rire. "Quoi ? Ça ?", que je balance en grimaçant et balayant la pièce du regard. Mes traits se durcissent aussitôt que j'ai fini ma phrase et je renchéris: "J'ferme ma gueule si tu me payes mon déjeuner." Et je ne plaisante pas, non. Il croit quoi, au juste, celui-là ? Qu'il peut débarquer, comme ça ? Empiéter sur mon espace vital sans que je ne dise rien ? Puis, comme si de rien n'était, une nouvelle inconnue s'incruste. Je la reluque de haut en bas. Mignonne. Mais, ce n'est pas une raison pour accepter aussi facilement, non plus. "J'vous laisse vous partager l'addition." La galanterie ? Ah non, désolé, je ne connais pas.

Le mec semble plutôt intrigué par la présence d'Adrix, et il devait bien avouer qu'il l'aurait tout autant été si il s'était retrouvé dans son cas. Bon par contre, il ne semblait clairement pas croire qu'il s'agissait là du restau favori de l'anglais. En même temps, ça n'était qu'un endroit où ils servaient des spaghettis, soit pas le truc le plus classe au monde. Cela dit, Adrix n'avait jamais clamé être particulièrement compliqué de ce côté là. « Ouais bon, j'ai juste la dalle quoi. » qu'il lâche en haussant les épaules. Y'a une fille qui se ramène, et le blond la prend un court instant pour la serveuse, sauf que non, apparemment elle veut aussi s'asseoir. L'autre veut partager l'addition. Réfléchis Adrix. « J'étais assis avant, donc tu paieras soixante dix pourcent du repas, et moi trente pourcent, à prendre ou à laisser. » Il était prioritaire après tout. « C'est quoi vos noms d'ailleurs ? »

A peine assise, que le type dont on perturbait l’existence imposait ses conditions. Partager l'addition avec ... ? Charmant. L'autre, lui, il m'expliqua que je devais payer soixante dix pour-cent du repas. J'en rigolais presque. Ils étaient sérieux ? Pff, j'en laissais échapper un soupire. J'étais tellement affamée que j'allais accepter ce maudit arrangement. C'est donc ça les mecs de nos jours ? Elle est belle votre galanterie. J'attrapais le menu du restaurant, sachant pertinemment que j'allais prendre un plat de pâtes à la bolognaise. Originalité quand tu nous tiens. Mais c'est vendu. Deux secondes plus tard, je reposais la carte et fis signe à la serveuse de revenir vers nous. C'est limite si je ne la sifflais pas. Je ne pouvais plus. Si je ne mangeais pas dans les minutes qui suivent, mon ventre allait finir par exploser de colère. Si je pouvais éviter de transformer le restaurant en un fouillis de morceaux d’intestins. Romane lâchais-je avant de réclamer mes pâtes à la serveuse. Je déposais alors mon regard sur les deux individus à mes côtés. Ce repas allait être mouvementé.

Attendez, je n'vais quand même pas me laisser faire. Le blondinet accepte l'arrangement, tant mieux. D'ailleurs, il est même plus malin que ce que je ne pensais puisque, quand j'impose mes règles à la nouvelle arrivante, il en profite pour lui refiler soixante-dix pourcent de l'addition, contre trente, pour lui. Je ne peux me contenir de sourire. Pas mal, vraiment. La belle parle de galanterie, je ne connais pas ce terme. "Couilles ou pas couilles, tu restes un élément perturbateur, alors, tu payes." Ce qui ne semble plus tellement la déranger. A leur place, je serais allé m'assoir ailleurs. Enfin, personnellement, je retrouve enfin la tranquillité, je me sens plus léger. Manger sans rien payer. J'aurais dû prendre le truc le plus cher. Elle appelle la serveuse, alors que l'autre type nous demande nos noms. Je lâche un furtif: "Travis et toi ?" D'ailleurs, alors qu'on papote, un autre serveur débarque avec, cette fois, le plat que j'ai commandé dans les mains. Et, ma fameuse bière aussi. Je le laisse les installer devant moi, les yeux brillants. "Vous m'excuserez." Ou pas, en fait je m'en fiche complètement. Et, je commence à manger sans eux. "T'es très charmante Romane. T'as un numéro, peut-être ?", que je renchéris en avalant ma première bouchée.

La brune semble râler quelque peu avant de finalement accepter. Oh bah, il n'aurait pas pensé que ça serait si simple de la berner celle la. Bon, cela dit, il n'allait pas non plus revenir sur ses paroles, d'autant plus que l'autre blond semblait être amusé. En attendant, Adrix se permet de passer commande, un plat de spaghettis ainsi qu'un simple Coca. Il n'aimait franchement pas la bière, et n'avait pas envie d'alcool. Les deux se présentent, Romane et Travis. Un sourire étire les lèvres du blondinet. « Harrison. » c'était comme ça qu'il s'était introduit la dernière fois, à une parfaite inconnue, alors autant rester sur ces bases, non ? L'autre commence ainsi à manger tout en faisant des avances à la jeune femme. Son numéro ? « J'peux commander une chandelle aussi, si vous voulez. » qu'il reprend, rempli d'ironie avant d'ajouter « T'as un peu de sauce blanche au coin d'la bouche, c'est clairement étrange pour un gars qui fait des avances à une fille, s'tu veux mon avis. » reprend-t-il en un sourire.

Couilles ou pas. Compris chef. Reçu cinq sur cinq. En attendant j'avais faim, alors qu'elle se magne la petite serveuse. Parce que l'autre, Travis, il avait déjà son assiette sous le nez. Et l'odeur commençait à me tordre encore plus le bide. Putain. J'allais dévorer ma fourchette. Littéralement. Puis là, il me demanda mon numéro. Sérieusement ? J'arquais un sourcil et me laissais envahir par le rire suite aux remarques bien placées de ce cher petit manipulateur d'Harrison. J'étais bien consciente d'être une jolie pigeonne dans cette histoire. Je te passe mon numéro si tu payes quinze pour-cent du repas ! C'est un bon compromis, non ? Pas conne, je savais que j'allais me faire refouler. Mais je m'en foutais. Il était beau, certes, mais j'en survivrais. Qui vivra verra, alors autant tenter d'économiser un peu. Puis au pire, me suffisait de prétexter un problème féminin pour m'éclipser aux toilettes et échapper à l'addition. Basique. Le serveuse nous déposa nos assiettes, rapide finalement celle-là. Aussitôt, ayant oublié de commander de quoi boire, j'attrapais celui d'Harrison et en bu une longue gorgée, une très longue gorgée. Merci à toi, c'est gentil ! Vu la personnalité qu'il dégageait, je doutais que ça lui plaise. Qu'importe, je n'avais pas envie de parler. Pas du tout. Je mangeais. Ou devrais-je plutôt dire, j'avalais comme une tarée ces pâtes tant désirées.

Le mec se présente à son tour. Harrison ? Vraiment ? "Ton père s'appelait Harry ?" Non, parce que dans certains pays, ils appellent leurs bambins "nom du père + son", alors je demande. "T'as plutôt une tête de Charlie." J'suis comme ça, je dis ce qu'il me passe par la tête. Alors, le serveur débarque avec mon plat. Je n'attends pas mes camarades, de toute façon on n'est pas potes. Et tandis que j'ai engloutis ma première bouchée, je me mets à draguer la petite brune, Romane. L'autre, là, Charlie, s'en mêle. Ce con veut briser toutes mes chances ou quoi ? "Je t'ai pas dis ? J'ai su- Hm.", je finis par me censurer, constatant la présence de gamins sur la table voisine. Je n'aime pas les mioches, c'est vrai, mais quand même un peu de respect, merde ! Et, alors que je pensais que Romy Scheider me recalerait, celle-ci me propose un marché. "J'accepte." Je me tourne ensuite vers Charlot, puis balance sèchement: "Tu prends mes quinze pourcent ou je fais un scandale et te fais mettre dehors." Chose qui serait vraiment dommage puisque son plat arrive tout juste. D'ailleurs, aussitôt sa boisson posée sur la table, la brunette se jette dessus. "Tu veux attraper le sida ou quoi ?" Bon, il n'a pas encore bu dedans, mais quand même, sachant que je veux me la faire, ce serait cool qu'elle ne chope pas de trucs chelous en attendant.

Il ne savait pas trop pourquoi il avait opté pour Harrison. Faut dire que c'était pas trop son truc de donner son prénom à de purs inconnus. Qu'on se le dise, il était quand même du genre à se préserver un peu trop des autres, et ce malgré l'image qu'il pouvait renvoyer. « J'sais pas, j'lui demanderai quand j'le rencontrerai. » Il n'avait jamais connu ses parents. Adrix, il était de ces garçons qui avaient été baladés de famille d'accueil en famille d'accueil. Il avait appris très tôt le mot "indépendance". « C'est canon Charlie ouais. » peut-être un peu trop féminin pour lui, cela dit, mais il s'en fichait pas mal. De toute façon, il se doutait qu'il n'allait jamais les revoir, ces deux là. L'autre se coupe lorsqu'il parle d'avoir gobé le zob d'un gars, probablement à cause des gosses d'à côté. Un sourire s'étale finalement sur les lèvres du blond lorsque Romane essaie de refiler une partie de son addition à Travis, qui essaie lui même de s'en débarrasser en la reportant sur Adrix. « Si tu m'fais sortir, je paierai strictement rien, et je doute que Romane soit assez généreuse pour payer ma part. » autrement dit, il ferait bien mieux de le garder à ses côtés, hm. La fille s'empare alors du verre du blond lorsque la serveuse les sert. Adrix ni prête pas une réelle attention, surtout parce qu'il n'est pas aussi matérialiste qu'ils pourraient le croire. Travis lâche qu'elle pourrait attraper le sida, alors que le blond murmure « En tout cas, pour en avaler autant, elle doit avoir une gorge sacrément profonde. » Oh lui, il dit ça, il dit rien. « Pas de chance, t'as pas de quoi la combler pleinement... » oops ?

Ils s’échangeaient les quinze pour-cent restant de l'addition, comme une balle de tennis. Moi, je mangeais en silence. Rien ne pouvait me faire plus plaisir que d'avaler comme une grosse. Ici Fiona. Où est Shrek ? Puis, leur petite discutions, je m'en foutais, royalement. Je m'en foutais jusqu'à ce qu'Harrison sorte que j'avais une gorge profonde. Ah oui, d'accord. Intéressant. Je croisais mes jambes, reposais mon fourchette et regardais Harrison. Parce que toi, tu penses avoir de quoi remplir ma gorge ? Autant s'intégrer pleinement à la discuter. Nous étions entre couilles, non ? Puisque la galanterie n'était aujourd'hui pas de mise. Permet-moi d'en douter rajoutais-je avant de recommencer à manger. A cette allure là, j'allais finir par bouffer le plat de mes voisins.

La remarque du blondinet sur son géniteur ne m'atteint pas plus que ça. C'est triste, c'est sûr, mais on a tous nos problèmes. "Il s'est fait la malle ?", que je dis le moins compatissant au monde. Puis, je déclare que je le voyais mieux s'appeler Charlie. Ça lui va bien.. au teint. "C'est toujours mieux que Harrison, c'est vrai." Mais, c'est laid quand même, Charlie. Ça fait vachement paysan célibataire, amoureux de ses vaches. Tout comme Harrison d'ailleurs. Enfin, j'fais des avances à la Schneider, mais elle se la joue prostituée en carton. Elle me propose de payer quinze pourcent de l'addition contre son numéro. Si ce n'est pas faire sa pute, ça. J'accepte, mais refile ma part à Blondie. "Sauf que si je te fais sortir maintenant, tu n'auras eu que le temps de renifler ta bouffe." Ce serait bête ça. Se lécher les babines pour, finalement, être mis à la porte. De mon côté, je vide doucement mon assiette, et ma bière. Romane en profite, quant à elle, pour se servir dans le verre de Harrison. Maligne, la petite. Et ça commence alors à parler de gorges profondes et de teubs. "Hé mec, tu peux insulter qui tu veux, mais pas Jerry." Oui, Jerry. C'est comme ça que j'appelle mon beau sabre laser. D'ailleurs, le vagin du groupe se fout de Harrison et ça me fait sourire. "Au fait, tu m'as toujours pas passé ton numéro." Attends, je vais pas me laisser avoir non plus.