La nuit commence à tomber, l’obscurité engloutissant petit à petit la ville autour de moi. Il fait sombre, le soleil couchant a bruni le ciel. Je ne sais pas à quoi m’attendre, alors je fixe l’horizon à travers le pare-brise de mon pick-up, je me refuse à sortir. Je ferme les yeux et coupe le moteur. Le ronronnement familier de mon unique compagnon de voyage cesse enfin, je sais maintenant qu’il est temps de sortir, de descendre et de faire face à cette nouvelle ville. Banff, quel nom ridicule. J’ouvre la porte et sors, doucement. Je commence par respirer l’air froid qui m’entoure ; comment vais-je pouvoir supporter ce temps .. Il y a quelques jours encore je n’avais jamais eu de bonnet et de gants de ma vie. Je frissonne et lorsque que je claque enfin la porte pour la fermer, j’ouvre mes yeux. Je ne sais même plus combien de jouer j’ai conduit avant d’arriver enfin à ma destination. Je sors un morceau de papier chiffonné de ma poche : Driftwood Inn, Banff, Canada. Je lève la tête, dirige mon regard vers le bâtiment en face de moi et oui, ça y est j’y suis. Avant de me diriger vers la porte d’entrée, je fouille la poche de ma veste, là où je garde mon argent, pour découvrir qu’il ne me reste plus qu’un seul dollar, et un dollar américain en plus. Je le range soigneusement dans la poche dont il provient, comme un souvenir que je ne voudrais pas abîmer. Mais je n’ai pas vraiment l’esprit à réfléchir sur le passé, c’est plutôt le présent qui m’inquiète maintenant. Je n’ai pas un rond, et il faut que j’attende encore une dizaine de jour avant d’avoir ne serait-ce qu’un centime déposé sur mon nouveau compte bancaire. Il faut croire pour que la première nuit dans cette nouvelle vie, je dois encore me contenter de la banquette arrière de mon pick-up. Je regarde autour de moi et constate que j’ai encore au moins une heure avant que la ville ne soit vraiment plongée dans le noir de la nuit. Je m’appuie contre la portière et allume une cigarette, tout en fixant l’entrée du hôtel miteux où je passerais certainement mes prochaines nuits. Il fait froid. Je frisonne, mes vêtements ne sont définitivement pas assez chaud pour le Canada. « Saloperie de froid. » je peste doucement entre mes dents.

Un bruit de moteur me sort de mes pensées. Je relève la tête et aperçois une voiture dans l’obscurité, garé juste devant l’hôtel. La route nous sépare mais j’arrive tout de même à discerner la couleur de cette étrange voiture qui ose s’aventurer ici à la tombée de la nuit. Elle est jaune, je pense. Si je m’avère avoir raison, ça explique pourquoi sa venue. Un taxi. Qui peut bien prendre un taxi pour aller dans un coin aussi pommé que Banff. Je fixe donc ce mystérieux taxi jusqu’au moment où une silhouette se décide à sortir du véhicule. Je baisse les yeux immédiatement, pointant mon regard sur le sol, comme si le fixer le rendrait instantanément plus intéressant. Je force mon esprit à se fixer sur le murmure du vent, le son de la nuit qui finit par tomber. Les bruits des animaux au loin. Le vent dans les feuilles. Le hululement des chouettes ou hiboux qui s’aventurent dans la ville durant la nuit. J’ai beau essayé de me concentrer, je n’arrive pas à m’isoler, je ne peux m’empêcher d’entendre la conversation entre le chauffeur de taxi et son ancien client. Un homme si mes yeux ne m’ont pas trahi lorsque j’ai observé la silhouette sortir de la voiture. Ou bien une femme d’une carrure masculine, avec une voix plutôt grave. Le sujet de conversation n’est autre que la somme de la course. Quelle idée aussi d’avoir pris un taxi pour venir ici. Je jette un coup d’oeil à mon propre véhicule, j’ai traversé mon pays et une bonne partie du Canada avec, un road trip c’est tellement mieux qu’un avion et un taxi. L’homme s’éloigne du taxi et se plante devant l’hôtel. J’imagine tout à fait ce qu’il est en train de se dire. Où est-ce que je suis tombé. Qu’est ce que c’est que ce motel miteux. Je continue de le fixer, de l’autre coté de la route, ou plutôt de fixer son dos. « C’est sur que ce n’est pas le grand luxe. » je lui balance assez fort pour qu’il entende. Je tire sur ma clope et baisse instantanément la tête. Qu’est ce qu’il me prend de parler à un inconnu comme ça. Il pourrait très bien être un fugitif en cavale, on m’a toujours dit que le Canada était une bonne idée si jamais tu fuyais les États-Unis, enfin je crois. Peut-être que le froid qui commençait à me glacer les os est la raison pour laquelle j’ai engagé la conversation. Mais il n’y a rien qui laisse penser qu’il aurait de quoi me payer une nuit au chaud, ou bien qu’il voudrait le faire, ou encore qu’il serait sans danger de l’accepter. J’aurais dû la fermer.